...
J'aurais préféré, quitte à écrire sur Rammstein dans ces pages, commencer par évoquer Herzeleid. Revenir aux sources de l'histoire compliquée et ancienne qui me lie à ce groupe, au choc esthétique violent que provoqua un des mes camarades de classe de retour d'Allemagne lorsqu'il me fit écouter ce disque OVNI, qui ne sortirait qu'une bonne année plus tard chez nous. J'aurais aimé vous raconter tout cela pour vous faire comprendre pourquoi je défendrai toujours ce groupe, quoiqu'il arrive et même si ses derniers albums sont loin de m'avoir captivé. Mais ce n'est pas vraiment le sujet, puisque les hasards des calendriers ont voulu que, dans le cadre de la rubrique 10 Years After, je me retrouve à évoquer d'abord Mutter, album au demeurant remarquable qui, chronologiquement, a sans doute été le dernier disque de metal à réellement me fasciner. J'en ai aimé d'autres par la suite, y compris du même groupe ; mais je doute qu'aucun ait jamais exercé sur moi un tel pouvoir d'attraction, m'ait à ce point paru vital au moment de sa sortie.
Ce qui est amusant, c'est qu'avec le recul je n'accorde pas à ce disque la même importance, dans ma vie d'auditeur, qu'aux deux premiers opus du groupe. Mutter m'a littéralement happé à l'époque, mais il n'a jamais compté parmi mes disques préférés. D'une certaine manière, je l'ai adoré non pour ce qu'il était, mais pour ce qu'il représentait par rapport à Herzeleid et Sehnsucht. Peut-être parce que l'œuvre du groupe a irrémédiablement décliné par la suite, j'ai toujours plus ou moins considéré ce troisième album comme le dernier volet d'une trilogie, comme le Zénith et le commencement de la fin pour un groupe alors en quête de reconnaissance internationale mais plombé par les tensions internes, qui se transcende une dernière fois avant la chute. Relative (aucun des albums suivants n'est réellement mauvais) mais inexorable tant il était évident, dès 2001, que le groupe était parvenu au bout de son concept. Herzeleid avait inauguré la formule (largement inspirée par leurs amis de Clawfinger et leurs compatriotes d'Oomph!), rythmique martiale, riffs dantesques, ambiances dévastées, voix gutturale pour un techno-metal malsain et anxiogène. Sehnsucht avait introduit les refrains catchy et développé l'esthétique (notamment les textes, remarquablement chiadés), c'était le même album en plus affuté, donc en plus tranchant, ce qui compensait largement l'absence d'effet de surprise. Mutter, pour sa part, est le disque où le groupe, devenu très célèbre, rapporte son plumage à son ramage. Une super-production made in... France (il a été enregistré dans le Var, au Studio Miraval), rutilante, au arrangements léchés et au son monstrueux.
A l'époque, on a beaucoup écrit que Mutter était un album moins brutal que ses prédécesseurs, ce qui a de quoi étonner si l'on considère qu'il renferme quelques titres d'une belle sauvagerie ("Feuer Frei !", "Rein Raus" - pas vraiment le genre de truc qu'on jouerait pour le mariage de sa sœur, sauf si elle est goth. Et encore). L'utilisation de cordes, de chœurs, la production habile (quoique volontairement grandiloquente) du fidèle Jacob Hellener confère à l'ensemble une puissance et une emphase impressionnantes, et la musique de Rammstein a rarement paru aussi heavy que sur le kashimirien "Mein Herz Brennt". Mais il est vrai qu'en substance, de manière discrète, l'univers du groupe est en train de changer. Les textes s'éloignent de l'habituelle musée des déviances sexuelles. Les ambiances ne sont plus tout à fait aussi malsaines que du temps de "Spiel Mit Mir" ou "Das Alte Leid". Le groupe réussit même, avec "Links 2 3 4", à signer simultanément l'une de ses meilleures chansons ET à casser son mythe, en levant une fois pour toutes les ambigüités quant à ses convictions politiques (on notera qu'en contre-partie, le groupe sonne ici presque soviétique, ce qui n'est certainement pas un hasard). En fait, Rammstein subit le même genre d'évolution que Manson à la même époque : après quelques albums glauques et sulfureux, il découvre les joies de la célébrité et, sans rien renier de ce qui fait sa force musicalement, devient plus ou moins volontairement un groupe acceptable, dont le second degré est connu et reconnu, et qui cherche à produire de bons disques plutôt qu'à nécessairement déranger. De fait, à aucun moment on éprouve le même malaise, à l'écoute de Mutter, que l'on ressentait inévitablement avec les deux précédents disques. Il serait absurde de le considérer comme plus policé - il est effectivement plus poli. Moins tourné vers l'austérité, sinon en quête de lumière ("Mutter", "Sonne"). Au-delà du fait d'être deux albums industriels de haute volée, les premiers pas de Rammstein puisaient aussi leur pouvoir d'attraction dans leur côté bande-son de l'ex-RDA (Paul Landers expliquait d'ailleurs à leurs débuts que la singularité de leur son découlait en grande partie de ce décalage culturel initial). Mutter est par bien des aspects un album plus occidental, évolution qui culminera sur les trois opus suivants, notamment Reise, Reise (qui ironiquement s'avèrera être le meilleur de trois).
Mutter, de Rammstein (2001)
J'aurais préféré, quitte à écrire sur Rammstein dans ces pages, commencer par évoquer Herzeleid. Revenir aux sources de l'histoire compliquée et ancienne qui me lie à ce groupe, au choc esthétique violent que provoqua un des mes camarades de classe de retour d'Allemagne lorsqu'il me fit écouter ce disque OVNI, qui ne sortirait qu'une bonne année plus tard chez nous. J'aurais aimé vous raconter tout cela pour vous faire comprendre pourquoi je défendrai toujours ce groupe, quoiqu'il arrive et même si ses derniers albums sont loin de m'avoir captivé. Mais ce n'est pas vraiment le sujet, puisque les hasards des calendriers ont voulu que, dans le cadre de la rubrique 10 Years After, je me retrouve à évoquer d'abord Mutter, album au demeurant remarquable qui, chronologiquement, a sans doute été le dernier disque de metal à réellement me fasciner. J'en ai aimé d'autres par la suite, y compris du même groupe ; mais je doute qu'aucun ait jamais exercé sur moi un tel pouvoir d'attraction, m'ait à ce point paru vital au moment de sa sortie.
Ce qui est amusant, c'est qu'avec le recul je n'accorde pas à ce disque la même importance, dans ma vie d'auditeur, qu'aux deux premiers opus du groupe. Mutter m'a littéralement happé à l'époque, mais il n'a jamais compté parmi mes disques préférés. D'une certaine manière, je l'ai adoré non pour ce qu'il était, mais pour ce qu'il représentait par rapport à Herzeleid et Sehnsucht. Peut-être parce que l'œuvre du groupe a irrémédiablement décliné par la suite, j'ai toujours plus ou moins considéré ce troisième album comme le dernier volet d'une trilogie, comme le Zénith et le commencement de la fin pour un groupe alors en quête de reconnaissance internationale mais plombé par les tensions internes, qui se transcende une dernière fois avant la chute. Relative (aucun des albums suivants n'est réellement mauvais) mais inexorable tant il était évident, dès 2001, que le groupe était parvenu au bout de son concept. Herzeleid avait inauguré la formule (largement inspirée par leurs amis de Clawfinger et leurs compatriotes d'Oomph!), rythmique martiale, riffs dantesques, ambiances dévastées, voix gutturale pour un techno-metal malsain et anxiogène. Sehnsucht avait introduit les refrains catchy et développé l'esthétique (notamment les textes, remarquablement chiadés), c'était le même album en plus affuté, donc en plus tranchant, ce qui compensait largement l'absence d'effet de surprise. Mutter, pour sa part, est le disque où le groupe, devenu très célèbre, rapporte son plumage à son ramage. Une super-production made in... France (il a été enregistré dans le Var, au Studio Miraval), rutilante, au arrangements léchés et au son monstrueux.
A l'époque, on a beaucoup écrit que Mutter était un album moins brutal que ses prédécesseurs, ce qui a de quoi étonner si l'on considère qu'il renferme quelques titres d'une belle sauvagerie ("Feuer Frei !", "Rein Raus" - pas vraiment le genre de truc qu'on jouerait pour le mariage de sa sœur, sauf si elle est goth. Et encore). L'utilisation de cordes, de chœurs, la production habile (quoique volontairement grandiloquente) du fidèle Jacob Hellener confère à l'ensemble une puissance et une emphase impressionnantes, et la musique de Rammstein a rarement paru aussi heavy que sur le kashimirien "Mein Herz Brennt". Mais il est vrai qu'en substance, de manière discrète, l'univers du groupe est en train de changer. Les textes s'éloignent de l'habituelle musée des déviances sexuelles. Les ambiances ne sont plus tout à fait aussi malsaines que du temps de "Spiel Mit Mir" ou "Das Alte Leid". Le groupe réussit même, avec "Links 2 3 4", à signer simultanément l'une de ses meilleures chansons ET à casser son mythe, en levant une fois pour toutes les ambigüités quant à ses convictions politiques (on notera qu'en contre-partie, le groupe sonne ici presque soviétique, ce qui n'est certainement pas un hasard). En fait, Rammstein subit le même genre d'évolution que Manson à la même époque : après quelques albums glauques et sulfureux, il découvre les joies de la célébrité et, sans rien renier de ce qui fait sa force musicalement, devient plus ou moins volontairement un groupe acceptable, dont le second degré est connu et reconnu, et qui cherche à produire de bons disques plutôt qu'à nécessairement déranger. De fait, à aucun moment on éprouve le même malaise, à l'écoute de Mutter, que l'on ressentait inévitablement avec les deux précédents disques. Il serait absurde de le considérer comme plus policé - il est effectivement plus poli. Moins tourné vers l'austérité, sinon en quête de lumière ("Mutter", "Sonne"). Au-delà du fait d'être deux albums industriels de haute volée, les premiers pas de Rammstein puisaient aussi leur pouvoir d'attraction dans leur côté bande-son de l'ex-RDA (Paul Landers expliquait d'ailleurs à leurs débuts que la singularité de leur son découlait en grande partie de ce décalage culturel initial). Mutter est par bien des aspects un album plus occidental, évolution qui culminera sur les trois opus suivants, notamment Reise, Reise (qui ironiquement s'avèrera être le meilleur de trois).
Ce n'est pas un inconvénient en soi, car le répertoire y est très, très largement au-dessus de la moyenne du metal de l'époque. Mais il contient aussi en germe tout ce qui fera que Rammstein déclinera par la suite, devenant progressivement un groupe de shock-rock à l'américaine, faisant même parfois rire alors qu'auparavant, il inquiétait. Il n'est pas déraisonnable de considérer qu'après Mutter, Rammstein n'avait que deux choix : creuser dans cette voix et devenir une parodie de lui-même, ou bien tenter de muer au risque de trahir une identité musicale extrêmement forte, quoique finalement très limitée. A ce jour, le sextette allemand n'a toujours pas tranché et enquille les disques inégaux, écartelés entre tentation d'ouverture et retour à des fondamentaux martiaux qu'il maîtrise toujours aussi bien. Une chose est sûre, il n'est pas près de ressortir un objet aussi compact, puissant et déraisonnable que ce Mutter, qui n'a pas pris une ride et s'écoute toujours aussi fort dix ans après.
Mutter, de Rammstein (2001)
Ah ah Rammstein et les souvenirs de Zwitter en concert... Mutter est d'une cohésion exquise et ce n'est pas un hasard si c'est leur disque le plus "artistiquement" sérieux.
RépondreSupprimerUn sacré bon disque en effet. Je te trouve même limite sévère parce que le truc dépote et franchement, c'est son but!!
RépondreSupprimerpour des raisons relativement différentes, mes deux préférées de rammstein sont celles-ci:
RépondreSupprimerhttp://www.youtube.com/watch?v=g0yMR4TJIXw
http://www.youtube.com/watch?v=RYd4b3du3_g
Oui! Moi aussi j'adore cet album!
RépondreSupprimer(et je suis spécialisée dans les interventions inutiles, aussi :P)
100% d'accord! C cool de le rechroniquer. C'est toujours un des mes albums favoris quand je vais courir... Ca à fond dans les oreilles... ca file une patate d'enfer!
RépondreSupprimerTon article fait ressortir de ma mémoire deux groupe que j'écoutais à l'époque... Das Ich et Sopor Aeternus... LOL c'était l'époque "Dark-Arno"
Bien, tout le monde semble aimer cet album, ça me fait plaisir car je pensais que Rammstein était devenu un peu ringard.
RépondreSupprimerBenjamin >>> "artistiquement plus sérieux"... je ne dirais pas ça, Herzeleid me paraît au moins aussi sérieux, même s'il est plus dépouillé. Le truc vraiment pas sérieux dessus, c'est surtout sa pochette dont on n'a jamais trop su si elle se voulait nazi, gay-friendly ou parodique de boys-bands. Remarque, elle est culte maintenant ;-)
gmc >>> excellents choix (comme d'habitude). "Seeman" a toujours été une de mes chansons préférées, j'aime tout, de son atmosphère à son texte à la fois simple et superbe. "Amerika" un peu moins, mais je dois reconnaître que c'est une des rares à m'avoir vraiment marqué (clip compris) parmi les albums récents du groupe (son refrain est imparable).
Kalys >>> allons, tous tes commentaires sont précieux, voyons ^^
Arno >>> j'avais complètement oublié Das Ich... je les écoutais aussi à l'époque, bien sûr... bon, pas sûr que j'aie écouté beaucoup d'albums après Endogram, ma période dark n'a pas duré longtemps (ou disons qu'elle s'est exprimée autrement par la suite). Oomph! me branchait vachement plus (je ne suis même pas loin de penser aujourd'hui qu'ils étaient les meilleurs de toute cette scène... ).
J'avais aussi oublié Das Ich...pourtant, c'est hyper brut et singulier comme groupe! J'aimerais bien ouvrir un blog aussi pour causer de tous ces groupes mais j'ai déjà pas le temps de laisser des coms... c'est sans espoir de ce coté la!
RépondreSupprimerPersonnellement, c'est l'album "Die Propheten" que j'avais vraiment adoré. J'ai souvent essayé de le faire écouté mais on me prenait pour un nazi à chaque fois! On aime ou on déteste, mais c'est très brutal, dés la première chanson! Impossible de rester de marbre!
"ma période dark n'a pas duré longtemps (ou disons qu'elle s'est exprimée autrement par la suite)" : pareil... elle s'exprime plus par l'écoute d'un Matt Elliot bien déprimant avec un bon whisky... LOL
Je crois que les remarques sur le nazisme sont inévitables dès qu'on écoute un truc martial chanté en allemand. Ce n'est pas complètement faux d'ailleurs ; une musique comme celle de Rammstein a un côté "fascisant", non pas tant dans le propos ou l'idéologie que pour ce qui concerne la fascination pour la violence froide... oui, martiale. En ce sens sur "Links 2 3 4" le groupe répond à côté de la plaque, ils parlent opinions politiques quand le reproche porte surtout sur une esthétique.
RépondreSupprimerMatt Elliott, oui, voilà, c'est un bon exemple de comment se traduit aujourd'hui mon côté obscur. Current 93, aussi, aujourd'hui je trouve ça infiniment plus violent, intense et sombre que n'importe quel disque d'indus-metal. En fait ma "face sombre" ne s'exprime plus vraiment dans trucs violents... à part peut-être le dernier A Place To Bury Strangers... j'ai bien aimé me défouler avec ce truc surpuissant à fond dans la baraque et je me suis aperçu qu'il m'avait "accompagné" ces dernières années à la manière de certains disques il y a dix ans. Enfin cela dit sur CD APTBS reste audible (c'est sur scène que sa violence est... violente ^^)
C'est limite godwinesque de faire le lien avec le nazisme (je ne dis pas ça pour Arno qui évoque surtout la perception des autres) et je sais gré à l'intro de ton comm précédent d'en nuancer la pertinence.
RépondreSupprimerToujours ces débats, qui me paraissent si dénués de fond (pour Rammstein comme pour Front 242 dans un autre genre). Voire Laibach, qui a toutefois joué avec une forme d'une ambiguïté réellement faf.
Sur le sujet plus intéressant de soigner son côté sombre à coup de musiques impliquantes, l'âge avançant tout comme nos expériences musicales, on évolue tous (c'est une image, disons... à 80% ^^) vers des choses plus introspectives.
Pour ma part, peu accoutumé à Rammstein (mais je pense qu'en écoutant j'aimerais sûrement des trucs, il faudra que je fasse un effort), je dissocie très largement un album comme St Anger de Metallica, pour moi un sommet de rage sonore mais qui me procure la pêche et du peps limite joyeux, et ne me fais jamais serré les dents de rage et le premier RATM, qui par sa musique mais aussi ses paroles (ou le peu que j'en comprends déjà) me foutent dans une transe aboutie.
Mais est-ce le côté obscur ? nu nu nu !
Serait-ce The downward spiral qu'il faudrait que je convoque ? Bah, ce n'est pas vraiment du metal, et ce qui titille ma sombritude n'est ici pas le déluge sonore mais toutes ces ruptures, le traitement electro indus, les cris et chuchottements...
APTBS, justement cité ? Arf, c'est la noise shoegazienne qui me met ici borderline, comme un Nowhere (Ride) de l'ancien temps.
Et je pourrais continuer à dévider. Ce qui m'a toujours plongé dans les ténèbres, en fait, ce sont des musiques plus lentes, électriques, électroniques ou non, dont la violence était contenue (un sommet ? Faith), à part quelques contre exemples (un sommet ? pornography).
Brefle : bruit et fureur ≠ assombrissement de l'esprit, en ce qui me concerne.
Je suis content d'avoir fait cette auto-analyse que je n'avais jamais faite en votre compagnie. Même si c'est au sujet d'un album que je ne connais pas (et promis, je jetterai dessus une oreille un de ces 4 quand King Creosote ou Cheveu m'en laisseront le loisir).
J'avais évidemment pensé à The Downard Spiral en écrivant tout cela hier. Mais je cherchais précisément des choses sombres, hypnotiques et tendues que je n'écoutais pas quand j'étais plus jeune ;-)
RépondreSupprimerC'est marrant ce que tu dis sur StAnger... parce que c'est quand même l'album d'un groupe au bout du rouleau...
pour moi, leur meilleur album, sans frioriture, plein, rapeux, écorché.
RépondreSupprimerAh mais, j'aime beaucoup...
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