...
C’est toujours un moment un peu particulier que de se retrouver en face d’artistes que l’on suit depuis longtemps, pour ne pas dire depuis toujours – en tout cas depuis leur tout début. Cela l’est encore plus, évidemment, dans le cas de Kitty, Daisy & Lewis, ces jeunes prodiges (comme on dit), que l’on a littéralement vu grandir et qui, sur la ligne de départ, étaient plus volontiers moqués qu’encensés. Si aujourd’hui nous sommes au moins deux, avec mon camarade The Civil Servant, à sauter sur chaque sortie ou chaque concert sinon avec plaisir, du moins avec intérêt, nous ne sommes jamais parvenus à être tout à fait d’accord sur le cas de ceux que nous surnommons affectueusement les Castors Juniors – car ce n’est pas à un vieil ours rockab’ que l’on apprend comment chouraver du miel chez les pionniers. La logique nous imposait d’ailleurs de vivre ce moment particulier en binôme, ce qui ne fut pas possible pour des raisons logistiques. Un mal pour un bien, sans doute : mon ami en serait immanquablement sorti en se sentant vieux et fatigué, puisque c’est très exactement ce qui m’est arrivé à moi, qui n’ai pourtant qu’une dizaine d’année de plus que ce power trio pas tout à fait comme les autres.
C’est donc seul que me voici parti à la rencontre de Kitty (étonnante d’assurance, aisance oratoire lui conférant une évidente nature de meneuse), Daisy (créature hors du temps, plus réservée, plus incisive dans ses réponses) et Lewis (grand échalas nonchalant, parfait archétype des garçons de son âge à une coiffure rétro près). Sujets du jour : le repas (ils finissent un chinois tout en badinant) et surtout Smoking in Heaven, nouvel album pas piqué des vers, le second véritable, le premier surtout à ne contenir que leur répertoire personnel. Un passage obligé, se dit-on, pour changer de division. S’il n’y a rien d’infamant à reprendre "Honolulu Rock-a-rolla" ou "Mean Son of a Gun", l’époque, et ils en font partie malgré tout (malgré eux), veut du songwriter. A plus forte raison lorsque l’on a commencé tout gamin, donc été implicitement suspect de n’être au mieux qu’un feu de paille – au pire une escroquerie. On sent une évidente volonté d’émancipation. On soupçonne aussi qu’on ne leur en arrachera pas l’aveu. « En fait, » corrige Lewis entre deux bouchées, « nous n’avions tout simplement plus de morceaux en stock. Sur le premier album on avait enregistré des chansons qu’on jouait depuis à peu près toujours. Lorsque s’est posée la question de chercher de nouveaux titres à interpréter, le choix de nos propres morceaux s’est imposé de lui-même. » Ça presque l’air facile, dit comme ça. D’ailleurs à les écouter, tout dans leur vie paraît d’un naturel déconcertant. Monter un groupe ? Une évidence : « On joue ensemble depuis toujours. Il a même fallu du temps pour qu’on se considère vraiment comme tel. » Passer aux choses sérieuses en enregistrant puis tournant ? « Cela s’est fait très naturellement. » Écrire leurs propres chansons en expérimentant des styles (ici pas mal soul, là nettement steady, là encore carrément ska) qu’ils n’avaient jamais tentés auparavant ? Limite s’ils ne répondent pas que « tant qu’à faire ». Tout au plus Kitty confesse-t-elle avoir tout de même un minimum flippé entre les deux derniers disques. Mais il faut vraiment lui tirer les vers du nez pour voir apparaître lointainement le spectre du doute, qui ne semble pas vraiment être le familier de ces jeunes gens.
Mais n’est-ce pas après tout le principe de la jeunesse que de ne douter de rien ? Quand on lui fait remarquer que ce devait être assez bizarre, ces premiers concerts devant des assemblées de gens bien plus âgés qu’elle, la fratrie Durham nous offre un impressionnant haussement de sourcils collectif. « Au contraire, c’était plutôt sympa, » tempère Lewis, « et de plus ça a changé au fil des années. Je rencontre de plus en plus de jeunes gens à nos concerts. » On pourrait penser l’espace d’une seconde qu’il s’agit d’un début de langue de bois, mais la vérité est autrement plus simple : les deux filles et le garçon s’intéressent principalement à leur musique, qu’ils jouent comme ils l’entendent et sans se poser plus de questions que de raison. A les écouter ainsi badiner, on finirait presque par se dire que rien n’est plus normal que de jouer de la country, du rythm’n'blues et du rockab’ avant même d’être en âge de boire de la bière. Là où l’on pourrait raisonnablement s’attendre à rencontrer des jeunes gens précocement mûris, peut-être même déjà un peu abîmés par le succès et le syndrome du phénomène de foire (ce qu’ils furent indubitablement à leurs débuts et dans leur pays d’origine), on ne trouve que trois frères et sœurs bien dans leurs pompes, auxquels les complexes paraissent tout aussi étrangers que le stress. Sans doute le côté « entreprise familiale de l’affaire » (leur backing-band se compose de… leurs parents) les préserve-t-il en partie, avec tout ce que cela sous-entend de revers de médailles : le reproche évident que personne ne manquera de faire à Smoking in Heaven sera de manquer de soufre, en dépit de qualités instrumentales évidentes et d’une capacité bluffante à trousser des hits évadés d’un autre temps (au hasard : "Baby, Don’t You Know?" ou "I’m so Sorry"). On ne peut pas tout avoir, l’insouciance ET la gravité, la légèreté ET la part d’ombre. A l’écoute des voix des filles, on a bon espoir que d’ici quelques ruptures elles nous pondront des complaintes déchirantes. Pour l’heure, elles sont juste naturelles et souriantes, et même carrément rieuses si l’on s’aventure à leur demander – presque candidement – si ce n’est pas trop pénible d’avoir leur frère sur le dos à longueur d’années. « Disons qu’on a nos hauts et nos bas. » « Vous imaginez la crise familiale en cas de split ! », leur dis-je, goguenard. Les brother & sisters Durham rient de concert tant tout cela leur semble évidemment loin, pour ne pas dire hautement improbable. Ils riront sans doute moins lorsque cela leur arrivera, comme à 99 % des autres groupes, mais il serait cruel de le leur dire : cette indolence aura beau ne pas manquer d’en irriter certains, c’est exactement pour cela qu’on les aime, nos Castors Juniors.
C’est toujours un moment un peu particulier que de se retrouver en face d’artistes que l’on suit depuis longtemps, pour ne pas dire depuis toujours – en tout cas depuis leur tout début. Cela l’est encore plus, évidemment, dans le cas de Kitty, Daisy & Lewis, ces jeunes prodiges (comme on dit), que l’on a littéralement vu grandir et qui, sur la ligne de départ, étaient plus volontiers moqués qu’encensés. Si aujourd’hui nous sommes au moins deux, avec mon camarade The Civil Servant, à sauter sur chaque sortie ou chaque concert sinon avec plaisir, du moins avec intérêt, nous ne sommes jamais parvenus à être tout à fait d’accord sur le cas de ceux que nous surnommons affectueusement les Castors Juniors – car ce n’est pas à un vieil ours rockab’ que l’on apprend comment chouraver du miel chez les pionniers. La logique nous imposait d’ailleurs de vivre ce moment particulier en binôme, ce qui ne fut pas possible pour des raisons logistiques. Un mal pour un bien, sans doute : mon ami en serait immanquablement sorti en se sentant vieux et fatigué, puisque c’est très exactement ce qui m’est arrivé à moi, qui n’ai pourtant qu’une dizaine d’année de plus que ce power trio pas tout à fait comme les autres.
C’est donc seul que me voici parti à la rencontre de Kitty (étonnante d’assurance, aisance oratoire lui conférant une évidente nature de meneuse), Daisy (créature hors du temps, plus réservée, plus incisive dans ses réponses) et Lewis (grand échalas nonchalant, parfait archétype des garçons de son âge à une coiffure rétro près). Sujets du jour : le repas (ils finissent un chinois tout en badinant) et surtout Smoking in Heaven, nouvel album pas piqué des vers, le second véritable, le premier surtout à ne contenir que leur répertoire personnel. Un passage obligé, se dit-on, pour changer de division. S’il n’y a rien d’infamant à reprendre "Honolulu Rock-a-rolla" ou "Mean Son of a Gun", l’époque, et ils en font partie malgré tout (malgré eux), veut du songwriter. A plus forte raison lorsque l’on a commencé tout gamin, donc été implicitement suspect de n’être au mieux qu’un feu de paille – au pire une escroquerie. On sent une évidente volonté d’émancipation. On soupçonne aussi qu’on ne leur en arrachera pas l’aveu. « En fait, » corrige Lewis entre deux bouchées, « nous n’avions tout simplement plus de morceaux en stock. Sur le premier album on avait enregistré des chansons qu’on jouait depuis à peu près toujours. Lorsque s’est posée la question de chercher de nouveaux titres à interpréter, le choix de nos propres morceaux s’est imposé de lui-même. » Ça presque l’air facile, dit comme ça. D’ailleurs à les écouter, tout dans leur vie paraît d’un naturel déconcertant. Monter un groupe ? Une évidence : « On joue ensemble depuis toujours. Il a même fallu du temps pour qu’on se considère vraiment comme tel. » Passer aux choses sérieuses en enregistrant puis tournant ? « Cela s’est fait très naturellement. » Écrire leurs propres chansons en expérimentant des styles (ici pas mal soul, là nettement steady, là encore carrément ska) qu’ils n’avaient jamais tentés auparavant ? Limite s’ils ne répondent pas que « tant qu’à faire ». Tout au plus Kitty confesse-t-elle avoir tout de même un minimum flippé entre les deux derniers disques. Mais il faut vraiment lui tirer les vers du nez pour voir apparaître lointainement le spectre du doute, qui ne semble pas vraiment être le familier de ces jeunes gens.
Mais n’est-ce pas après tout le principe de la jeunesse que de ne douter de rien ? Quand on lui fait remarquer que ce devait être assez bizarre, ces premiers concerts devant des assemblées de gens bien plus âgés qu’elle, la fratrie Durham nous offre un impressionnant haussement de sourcils collectif. « Au contraire, c’était plutôt sympa, » tempère Lewis, « et de plus ça a changé au fil des années. Je rencontre de plus en plus de jeunes gens à nos concerts. » On pourrait penser l’espace d’une seconde qu’il s’agit d’un début de langue de bois, mais la vérité est autrement plus simple : les deux filles et le garçon s’intéressent principalement à leur musique, qu’ils jouent comme ils l’entendent et sans se poser plus de questions que de raison. A les écouter ainsi badiner, on finirait presque par se dire que rien n’est plus normal que de jouer de la country, du rythm’n'blues et du rockab’ avant même d’être en âge de boire de la bière. Là où l’on pourrait raisonnablement s’attendre à rencontrer des jeunes gens précocement mûris, peut-être même déjà un peu abîmés par le succès et le syndrome du phénomène de foire (ce qu’ils furent indubitablement à leurs débuts et dans leur pays d’origine), on ne trouve que trois frères et sœurs bien dans leurs pompes, auxquels les complexes paraissent tout aussi étrangers que le stress. Sans doute le côté « entreprise familiale de l’affaire » (leur backing-band se compose de… leurs parents) les préserve-t-il en partie, avec tout ce que cela sous-entend de revers de médailles : le reproche évident que personne ne manquera de faire à Smoking in Heaven sera de manquer de soufre, en dépit de qualités instrumentales évidentes et d’une capacité bluffante à trousser des hits évadés d’un autre temps (au hasard : "Baby, Don’t You Know?" ou "I’m so Sorry"). On ne peut pas tout avoir, l’insouciance ET la gravité, la légèreté ET la part d’ombre. A l’écoute des voix des filles, on a bon espoir que d’ici quelques ruptures elles nous pondront des complaintes déchirantes. Pour l’heure, elles sont juste naturelles et souriantes, et même carrément rieuses si l’on s’aventure à leur demander – presque candidement – si ce n’est pas trop pénible d’avoir leur frère sur le dos à longueur d’années. « Disons qu’on a nos hauts et nos bas. » « Vous imaginez la crise familiale en cas de split ! », leur dis-je, goguenard. Les brother & sisters Durham rient de concert tant tout cela leur semble évidemment loin, pour ne pas dire hautement improbable. Ils riront sans doute moins lorsque cela leur arrivera, comme à 99 % des autres groupes, mais il serait cruel de le leur dire : cette indolence aura beau ne pas manquer d’en irriter certains, c’est exactement pour cela qu’on les aime, nos Castors Juniors.
Nouvel album,
👍 Smoking in Heaven | PIAS, 2011