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Extrêmement attendu dans les mois qui précédèrent sa sortie, finalement unanimement considéré comme décevant, le quatrième album de Suede a acquis avec le temps une aura de disque mal aimé et/ou compris, pas assez réussi pour figurer parmi les classiques du groupe, trop bon pour être retenu comme un vrai flop. Enfin ça, c'est la thèse officielle. La thèse officieuse - jamais confirmée avant ce jour - voudrait que Head Music soit le meilleur album de Suede après Coming up, et de très loin le plus ambitieux (et allez, poussons le comparatif jusqu'au bout : c'est aussi le seul à avoir une jolie pochette). A tout le moins un ouvrage remarquable et méconnu qui constitue, de toute évidence, LE disque qu'il était urgent de faire redécouvrir à l'occasion des rééditions du moment.
Dès les premières notes d''Electricity', somptueux single d'ouverture, le ton est donné - ou plutôt le son. Heavy et sophistiqué, étonnamment groovy et d'une belle densité. Un peu clinquant par instants, certes, car on ne se refait pas : Suede a eu beau s'être débarrassé du tragique Ed Buller, il n'en a pas moins embauché un type fort peu fréquentable en la personne de Steve Osborne, qui certes à l'époque était surtout pour Brett Anderson le producteur du fabuleux Lovelife de Lush, mais qui n'en a pas moins constamment défié le bon goût durant les années suivantes (je vous laisse consulter son CV pour admirer par vous-mêmes un champ de ruines où se côtoient Sophie Ellis Bextor, Peter Gabriel et même A-ha !). Sauf que bizarrement, Osborne a fait plus que du simple bon boulot sur Head Music. On peut même raisonnablement affirmer que c'est presque autant son album que celui de Brett Anderson (qui a composé le plus gros de morceaux) ou du claviériste Neil Codling (qui a composé à peu près tout ce qu'Anderson n'a pas composé). La section rythmique est incroyable, la voix du gars Brett a rarement parue si sexy (sur 'Savoir faire', on jurerait l'avoir en train d'exécuter un numéro de pole-dance à deux mètres), quant à Richard Oakes, s'il s'agit paradoxalement de l'album de Suede sur lequel il a le moins écrit (hors les deux premiers, of course), ses guitares n'ont sans doute jamais aussi bien sonné et le rendu général leur doit énormément. Le tout réussissant l'exploit de ne jamais sonner ni surproduit ni lourdingue, une véritable gageure tant, sur le papier, tout pouvait laisser craindre la grosse choucroute.
Impeccables, les compos plongent Anderson en plein délire funky but chic ('She's in Fashion', 'Asbestos'), invraisemblable mélange de glam au sex-appeal ébouriffant et de rock héroïque, fortement annonciateur, dans le fond, de son mésestimé premier album solo. Du hit single en puissance bien sûr ('Can't Get Enough', 'Elephant Man'), mais aussi des choses bien plus osées pour un petit groupe pop, comme ce 'Hi-fi' quasi industriel ou ces 'Indian Strings' osant les cordes luxuriantes, peut-être le seul titre psyché jamais écrit par Suede (mais quel titre). L'album se referme sur une note mélancolique avec deux superbes ballades ('Crack in the Union Jack', presque lo/fi, et surtout la magnifique 'He's Gone'), et l'on en reste, il faut le bien le dire, assez baba. Non seulement Head Music a très peu vieilli, mais il donne le sentiment de s'être encore bonifié avec le temps. S'il est assez aisé de comprendre pourquoi il ne fut pas le carton prévu à sa sortie (hormis 'Electricity', aucun de ses singles ne pourra rivaliser avec ceux des albums précédents), car moins direct et reposant beaucoup sur des trouvailles de production (ce qui n'est jamais l'idéal pour mettre les charts à genoux), on comprend en revanche beaucoup moins pourquoi il n'est pas devenu culte avec les années. Notez que c'est peut-être pour maintenant.
D'autant que le CD bonus (qui est beaucoup plus) de cette nouvelle version a de solides arguments pour prétendre en faire la réédition du mois. Suffisamment, en tout cas, pour que cet article prévu pour être consacré aux deux derniers albums de Suede devienne un billet sur le seul Head Music. Beaucoup moins connues que sur les précédentes ressorties, puisque ne figurant pas sur la compile Sci-fi Lullabies, les faces B., toutes réunies ici à l'exception curieuse de 'Weight of the World' (titre de Codling qui illustrait le single 'Everything Will Flow'), sont toutes produites par Steve Osborne et exactement dans la même veine que Head Music, pour ne pas dire qu'elles constituent quasiment un second album presque aussi brillant que le premier. Un Head Music 2.0 avec la même énergie sexuelle ('Implement Yeah!'), les mêmes relents de Roxy Music ('Waterloo', 'See that Girl'), les mêmes guitares racées ('Crackhead'), le même groove et le même enchaînement de mélodies imparables (nul autre qu'un grand groupe ne pourrait se mettre d'utiliser un morceau comme 'Jubilee' en face B. plutôt qu'en A). Ajoutez à cela un titre paraissant rescapé de Coming up ('Bored'), deux ballades stellaires ('Pieces of My Mind' et 'Heroin'), la chanson que Liam Gallagher essaie d'écrire depuis dix ans ('Since You Went Away') et une authentique rareté d'excellente facture ('Music Like Sex')... vous aurez un objet idéal à exhiber en soirées, sur le mode "hey ! je parie que tu ne connais pas VRAIMENT cet album".
👑 Head Music [Deluxe Edition]
Suede | Nude, 2011 (1999 pour l'édition originale)
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