mardi 16 août 2011

The Goldberg Sisters - Is the Actor Happy?

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[Article précédemment paru sur Interlignage] L’album d’acteur, un genre à part entière ou quasiment, a toujours sur les neurones du chroniqueur un effet étrange, les vrillant tout d’abord puis les faisant irrémédiablement pencher soit du côté de l’indifférence méprisante, soit de celui de la haine viscérale. Soyons réalistes : nous n’aimons pas les acteurs qui chantent. Surtout en France. Et surtout si ce sont des actrices. On peut éventuellement faire une légère entorse à la règle s’ils sont américains et mâles, ou éventuellement s’ils sont branchés. Mais bon : la plupart du temps, on n’aime pas. Le « on » ne renvoyant pas à une obscure et informe masse critique, mais bien à tout le monde. D’ailleurs, aucun amateur de musique sérieux n’aurait spontanément l’idée saugrenue d’acheter un disque de comédien. Et il faut bien reconnaître que la plupart du temps, le préjugé se révèle largement fondé. On serait même tenté de dire que plus l’acteur est bon, plus l’album a de chances d’être médiocre (voir l’album que publie ces temps-ci le grand Jeff Bridges, à faire passer Mark Knopfler pour Springsteen). Au mieux, le résultat sera sympa mais dispensable, comme par exemple les deux albums attachants de Coconut Records/Jason Schwartzman.

Là, normalement, l’actrice française moyenne – appelons-la Mélanie – monte sur ses grands chevaux, empile quatre ou cinq stéréotypes sur la critique, et termine par le plus fameux cliché national : les Français sont des cons qui font rien qu’à ranger les gens dans des vilaines cases. Genre. En attendant que la science confirme l’existence du gène du talent universel, on se contentera de hausser les épaules en notant que jusqu’à preuve du contraire, être relativement doué pour une forme d’expression artistique n’a jamais signifié avoir un quelconque talent pour une autre, et que ce que d’aucuns appellent « ranger dans des cases », avec toujours cette suspicion sous-jacente d’élitisme (l’injure ultime, la Lettre Écarlate du chroniqueur), pourrait simplement signifier « souhaiter que chacun sache, parfois, rester à sa place ». Le problème n’est assurément pas qu’un acteur talentueux et amoureux de musique fasse un disque, mais bien que pléthore de comédiens s’avèrent si égocentriques et mal entourés qu’ils publient à la chaîne des albums que personne n’aurait signés ni écoutés s’ils avaient été l’œuvre de Robert Bidule, alors qu’ils sont dépourvus de la moindre oreille ou du plus élémentaire goût en la matière (Hugh Laurie, bonjour. Et au revoir). Tant mieux si la critique officielle, pour une fois, fait son job, quoiqu’elle sache se montrer encore largement complaisante en fonction de sa cote d’amour pour tel ou tel individu au cinéma (combien de couvertures pour le dernier Charlotte Gainsbourg et combien pour le dernier Steven Seagal ? Et pourtant, le plus infamant n’est pas forcément celui que l’on croit…)


Je sais, je sais. Cela fait beaucoup de lignes juste pour dire que l’album des Goldberg Sisters d’Adam Goldberg est un bon disque. Mais il faut reconnaître que ce petit objet pop, qui n’est que le soixante-douzième album de comédien à paraître cette année, a le paradoxal mérite de remettre quelques pendules à l’heure. Acteur comique fabuleux, à la télé principalement (le colloc psychotique de Chandler de la seconde saison de Friends, le producteur camé jusqu’à l’os du Voyage au bout de l’Enfer revisité par Entourage, Medellín1), Goldberg s’avère sur ce premier opus un mélodiste hors-paire, capable d’en remontrer à quelques musiciens accomplis. Mettons les choses au clair immédiatement : fidèle aux règles du genre, The Goldberg Sisters ne dépasse quasiment jamais le stade du « sympathique et attachant ». Mais à défaut, il offre quelque beaux moments d’élégance rock’n'roll et démontre que lorsqu’il connaît la musique, un comédien peut aussi réussir quelques prouesses.

Adam Goldberg la connaît, et plutôt bien. Surtout celle de Lennon, ombre qui plane sur l’ensemble de l’album, ici en tant qu’hommage appuyé ("Mother Please (The World Is Not Your Home)"), là sous forme de parodie bon-enfant (le final, que l’on évitera de vous spoiler). De toute évidence, le garçon a passé le plus gros de son adolescence en ne possédant que deux albums : Platisc Ono Band et Imagine (il y a pire compagnie). Mais, suffisamment malin et distancié, il parvient à éviter miraculeusement le mimétisme pataud pour mieux postuler au club des sympathiques faussaire du rock’n'roll, chipant des plans l’air de rien, et trouvant finalement une vraie vibe. On serait tenté de dire qu’il a compris ce que les frères Gallagher ne pigeront sans doute jamais : que John Lennon était avant tout autre chose un bluesman. Il retrouve cet aspect par éclats, sur "Erik Erikson" ou "The Difference Between", qui à défaut de sonner comme le meilleur Lennon explosent sans problème l’intégralité de l’album de Beady Eye.

« D’accord, mais et l’identité propre, alors ? », ne manquera pas de demander le lecteur concerné. On sera tenté de lui rétorquer qu’il n’est pas étonnant qu’un acteur n’en ait pas vraiment. Soyons lucides, "Skin of the Patriot (Blame It on Your Youth)" est une ballade sublime, lennonienne jusqu’à la folie, mais on se demande un peu où est passé Adam Goldberg dans l’affaire. On a le sentiment de ne le tenir qu’ici ou là, ponctuellement, sur "The Heart Grows Fonder" par exemple, ou bien le temps de "The Room". Mais on peut aussi se dire que tout bon fétichiste d’un artiste finit par faire corps avec l’univers de ce dernier, tant l’empreinte du second se fait profonde dans l’inconscient du premier. La possibilité n’est pas absurde dans ce cas précis, The Goldberg Sisters étant assez éloigné de la fantaisie caractérisant la plupart des rôles de son auteur. Peut-être n’est-il pas, à titre personnel, un grand fantaisiste, mais un jeune romantique lunaire et angoissé. Après tout, la principale raison de l’inflation des albums de comédiens est certainement un besoin viscéral – et finalement très humain – d’apparaître pour une fois en tant qu’eux-mêmes, plutôt qu’en tant que porte-manteaux psychologiques. Auquel cas Goldberg n’y parvient pas si mal, puisqu’il se permet de proposer un disque non seulement réussi, mais encore que l’on attendait absolument pas de sa part.


👍 The Goldberg Sisters 
The Goldberg Sisters | PiAS, 2011



1. Il fut aussi l’un des héros de l’émouvante et oubliée Relativity, premier projet créé par Jason « Friday Night Lights » Katims.

On en cause aussi chez Mmarsup
 

11 commentaires:

  1. ça fait beaucoup de précautions rhétoriques pour dire que c'est un bon disque ^^

    les acteurs qui chantent, il y en a tellement que dans le lot on en trouve pas mal de bons.
    J'avais fait un début d'inventaire là :
    http://www.arbobo.fr/et-ca-chante-les-comediens/

    et pour enfoncer le clou j'ajoute les disques de mannequins :
    http://www.arbobo.fr/la-voix-modele-quand-le-podium-mene-a-la-scene/

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  2. En même temps j'en sauve pas des masses dans ta liste ;)

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  3. oui, beaucoup de comédiens sont formés au chant, surtout chez les anglo-saxons où pour pouvoir crouter il faut souvent passer un jour un "musical".
    Et pourtant... on trouve de réussites parmi les chanteurs passés devant la caméra, que l'inverse.
    C'est troublant.

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  4. Oui, je me suis déjà fait cette réflexion moi aussi (j'ai failli la mettre dans l'article, mais ça commençait à faire long ^^). On peut supposer qu'il y a dans la comédie une part de "performance" (au sens anglais du terme) relativement instinctive chez des gens habitués à faire de la scène et/ou à avoir une "image publique"... alors que l'approche de la musique et de l'harmonie est tout de même nettement moins évidente s'il s'agit de faire le chemin inverse (d'autant que passer au songwriting est tout de même un ressort très différent de l'interprétation d'un rôle écrit par d'autres, ce qui explique sans doute que beaucoup d'acteurs se contentent de chanter plutôt que de composer).

    Cela dit je me demande s'il n'y a pas une part de "mythe" là-dedans. Beaucoup de chanteurs devenant comédiens le font dans des rôles qui se reposent énormément sur leur charisme naturel, et où ils composent finalement assez peu. Des musiciens qui seraient également de très bons comédiens, à part Bowie (et encore pas dans tout), je n'en ai pas tant que ça qui me viennent finalement...

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  5. Très bon article. Le morceau est sympa, également (mais l'article est mieux).

    BBB.

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  6. Il choupinet cet album.

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  7. Ouais, j'aurais pas pu faire un article de cette taille ^^

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  8. Chacun son style, j'imagine ;-)

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  9. C'est pas toi qui avais bien aimé le ou les albums de Scarlett Johansson ?

    Ça me peine que tu nommes l'actrice moyenne française Mélanie, surtout compte tenu des lignes suivantes, mais je suppose que tu as de bonnes raisons de le faire.

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  10. Hein ? Euh, non, au contraire. De Scarlett j'aime quelques films, éventuellement sa bouche, mais pas sa musique (enfin le premier n'était pas ignoble non plus. Il était mignon. Sympathique. Moyen. Comme expliqué dans la règle ci-dessus).

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