mercredi 31 août 2011

Grandaddy - Space Oddity

...
C'est l'album de la consécration, comme le veut l'expression... consacrée. Celui qui aura transformé un petit groupe adulé en pointure de l'indie-rock contemporain, pour ne pas dire en référence. C'est aussi et sans doute, très certainement, le chef-d’œuvre absolu de ses auteurs, même si bien sûr les quatre albums de Grandaddy sont formidables et indispensables (il est de bon d'être particulièrement sévère avec les deux derniers, mais soyons sérieux cinq minutes : si tous les groupes de 2011 sortaient des disques du calibre de Just Like the Fambly Cat, nous serions tous aux anges). Bien sûr, bien sûr. Tout cela a déjà été cent fois, mille fois, et l'on voit mal ce que l'on pourrait ajouter.

Onze ans plus tard, pourtant, on écoute la somptueuse réédition de The Sophtware Slump avec le sentiment de ne jamais rien avoir lu dessus. Rares sont les groupes à pouvoir se targuer d'avoir eu autant de presse tout en restant suffisamment insaisissables pour que tout le monde passe à côté de certaines évidences. Les rééditions ont au moins ce mérite que de permettre, occasionnellement, de remettre les choses en perspective. Ici, dès les premières mesures de 'He's Simple, He's Dumb, He's the Pilot', immense tube indie à l'époque, on est comme assommé par la dimension classique, intemporelle... inaltérable de cette musique. Grandaddy n'était pas qu'un formidable orchestre pop : il était aussi un groupe ne se ressemblant à aucun autre, une faille spatio-temporelle dans le rock de la fin quatre-vingt-dix/début deux mille. Ou comment un nerd au look de bûcheron canadien (ou de grunger) se piqua un jour de bâtir des montagnes psychédéliques sur les cendres du trip-hop et du grunge.

A l'époque, certains parlaient au sujet de Grandaddy de lo/fi. L'expression fait sourire face à une musique capable d'une telle emphase. Elle n'était pas forcément fausse, mais Jason Lytle ne s'inscrivait assurément pas dans la définition contemporaine du genre. Il ne s'agissait pas de sonner crado, pauvre, mais au contraire d'illustrer la vieille expression "le moins peut le plus". Jamais son goût pour le minimalisme ne l'amenait à s'enliser dans les marais du cheap. A l'époque où toute la scène indé américaine n'avaient d'yeux que pour un groupe nommé trottoir, dont l'ex-batteur mixa d'ailleurs The Sophtware Slump, Lytle, ses 'Broken Household Appliance National Forest' et 'Jed's Other Poem', avaient la tête dans les étoiles. Le contenu, à l'humour corsé, n'était pas si différent, avec ses robots mélancoliques et ses paysages sauvages. Mais le contenant se situait très exactement à contre-courant de ce qui se faisait à l'époque, spatial, contemplatif et ne rechignant même pas à se lancer dans une pop progressive à l'élégance rare. Morale de l'histoire ? The Sophtware Slump est l'un des rares albums de l'année 2000 que l'on écoute aujourd'hui avec un plaisir intact, peu importe que l'on connaisse jusqu'au plus petit sillons de ses ballades stellaires ('Miner at the Dial-a-View') ou de ses comptines cosmiques ('The Crystal Lake', 'First Movement/Message Fade' * ou 'Wonder Why in L.A.' sur la présente édition...). Et il en sera sûrement encore de même quand notre monde se sera effondré et que les derniers auditeurs ne seront plus que des robots, bouleversés par 'Jed The Humanoid'. "Merde, diront-ils. Comment cet humain mort depuis deux cents ans peut-il aussi bien comprendre ce que je ressens ?"


👑 The Sophtware Slump [Deluxe Edition] 
Grandaddy | V2 Music, 2011 (2000 pour l'édition originale)


(*) L'une des plus belles chansons de Jason Lytle, initialement parue sur l'EP Through of Frosty Plate Glass (2001), repris ici dans son intégralité.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Si vous n'avez pas de compte blogger, choisir l'option NOM/URL et remplir les champs adéquats (ce n'est pas très clair, il faut le reconnaître).