...
C'était il y a seulement quatre ans mais par instants, cela semble se dérouler au siècle passé. Dans un autre pays et dans une autre époque, sur une autre chaîne que Canal +, dont les fameuse "créations originales" (l'expression me fera toujours rire) n'étaient alors que balbutiantes, tant formellement que dans le dispotif marketing leur garantissant le succès que l'on sait (rappelons que Canal vend désormais de la "création originale" comme d'autres des paquets de lessive, c'est d'autant moins une critique que les chaînes américaines font pareil, mais le fait est là...). Pour ces raisons, revoir La Commune en 2011 a quelque chose d'un voyage dans le temps. Soyons honnêtes : la regarder pour elle-même demande une relative abnégation tant le travail y est imparfait, plein de bonnes idées mal exploitées, de mauvaises idées chipées ailleurs (lire : "chez ces satanés Ricains"), de maladresses touchantes et de réussites hasardeuses. En revanche, cela peut avoir valeur de témoignage historique. Gageons que dans quinze ans, quand les séries françaises auront explosé, un large chapitre sera consacré à celle-ci dans le livre Comment nous avons finalement appris à faire de bonnes séries dans l'Hexagone. Ou comment parvenir à faire date tout en étant ratée à mesure de 50 % environs.
C'était donc dans une époque télévisuelle déjà lointaine, lorsqu'on ne savait pas encore tout à fait comment faire des séries regardables chez nous, qu'on avait bien quelques idées mais qu'on tâtonnait encore. On se disait - on n'avait pas tort - qu'il faudrait essayer de repiquer le savoir-faire américain tout en y injectant notre vraie personnalité à nous, les Français. Sauf qu'en la matière - on ne l'a su que bien plus tard - de personnalité, nous n'avions pas vraiment. Les séries américaines révolutionnaires de la fin 90/début 2000 ne sont pas apparues comme ça du jour au lendemain ; elles sont le fruit d'une lente évolution, d'une tradition - d'un héritage. Des choses qui n'ont jamais vraiment existé chez nous, en matière de séries. Alors on fantasmait, et Abdel Raouf Dafri fantasmait mieux et plus fort que les autres. Il allait nous la faire, notre série noire à nous. Avec du no future et du sans issue. Il allait nous l'offrir, notre Oz. Notre The Wire. Ca s'appelait La Commune, ça repiquait l'idée du microcosme de fiction (une téci pour une prison), du chœur de tragédie antique (un Tomer Sisley pour un Harold Perrineau, why not ?), du politicien tout pourri et de l'atmosphère de fin du monde.
A voir certains comédiens jouer, à voir certains dialogues un peu clichés, on pourrait être tenté de se dire qu'Abdel Raouf Dafri n'avait rien compris. Ce serait inexact : il avait au contraire compris l'essentiel. Qu'une bonne série tenait principalement à trois choses : une atmosphère, un style, des personnages. Le reste n'est qu'accessoire, c'est pour cette raison que les Américains parviennent à nous vendre du cop show à tourne-bras depuis trois décennies. Un crime est un crime, comme dirait Dick Wolf, tout est question de style et de la manière dont on l'appréhende. Ça, Dafri l'a bien saisi. On arguera même que par certains aspects, La Commune tient encore la dragée haute aux productions françaises du moment - ne fût-ce que parce ses personnages existent réellement à l'écran (ce n'est pas Braquo qui peut en dire autant). Elle n'évite hélas pas toutes les chausses-trappes, et part dans la bonne direction pour finir, hélas, sur la mauvaise pente.
D'une part, il y a dans La Commune à peu près autant de bons comédiens que de mauvais. A l'époque, on était tellement content de voir une telle série qu'on avait tendance à ne pas vouloir le voir. En 2011 on pardonne moins facilement, et si l'on admire une fois de plus Francis Renaud et Alain Doutey, dont les images d'éternels seconds couteaux ne disent rien - ou trop peu - de leur talent, on est plus circonspect concernant les autres. Stefano Casseti était bien plus convaincant en Roberto Succo qu'en petite frappe serbe, et l'on comprend soudain pourquoi : son regard vide et son inexpressivité collaient parfaitement au tueur immortalisé par Koltès. Les autres ont pour la plupart bien du mal à jouer juste, à l'exception notable de Patrick Descamps, que l'on voit malheureusement peu. Noter que Tomer Sisley est un cas à part, qui rejoint l'autre problème fondamental de La Commune : son personnage est un décalque pur et simple du Augustus Hill d'Oz. Il a beau exceller dedans, il ne peut rien faire contre ce péché originel, d'autant que Hocine est employé exactement de la même manière (à savoir que, lorsqu'il n'est pas le coryphée de service se fendant de sentences définitives - et parfois un peu fastoches - sur la vie et la mort, il est le brave gars regardant plus ou moins en spectateur l'horreur du microcosme qu'il nous raconte). Or ce péché est loin d'être véniel. En effet, non content de chiper l'une de ses plus grandes spécificités à Oz, Dafri lui pompe aussi... ses défauts. Et là, le bât blesse carrément.
Il n'est un secret pour personne que si Tom Fontana révolutionna la télévision, il n'était pas nécessairement le type le plus subtil du monde. En témoigne une carrière post-Oz au cours laquelle il tomba rapidement le masque, et révéla qu'il était un des meilleurs gauchos démagogues de la télé US. Sans le vouloir, Abdel Raouf Dafri suit cette pente glissante. Oz ne s'encombrait que rarement de gants, mais elle pouvait se le permettre car son écriture était au cordeau et que la multiplication des points de vue la sauvait de la bêtise crasse dans laquelle elle aurait sombré si le seul héros avait été Tim McManus. Dans La Commune, les disparités de niveau sont trop importantes d'un comédien à l'autre pour que la vision échappe à la caricature. Surtout, l'auteur sous-estime considérablement l'importance du milieu dans lequel se déroule son intrigue. Oz est un QHS dont les prisonniers sont (pour la plupart) de dangereux criminels. Il a beau être vécu par les personnages (et notamment Augustus Hill) comme une allégorie de la société, le pénitencier est un lieu propice au développement de certains comportements que l'on qualifiera pudiquement d'extrêmes. Mais le monde extérieur n'est pas Oswald et la Commune, si l'on croit volontiers qu'il soit ardu d'en sortir, n'est pas une forteresse ni un lieu clos. Aussi ce qui semble radical, tragique et sublime dans Oz, téléporté dans l'univers de La Commune, semble avant tout excessif et caricatural, pour ne laisser finalement que cette impression que tous les personnages sont des demi-fous bons à enfermer. Et pourtant, dans l'absolu, l'auteur avait raison de ne pas s'encombrer de ce réalisme didactique qui plomba tant de ces collègues.
En d'autres termes, ce qui aurait pu marcher ne marche ici que par intermittence. Le conditionnel est important, car le drame de La Commune, dans le fond, est que Canal ne vendait pas aussi bien ses lessives en 2007. Si comme d'autres elle avait eu la chance de connaître une seconde saison deux ou trois ans plus tard, sans doute aurions-nous assisté à une évolution drastique comparable à celle subie par (au hasard) Un village français entre ses deux premiers chapitres. Ce ne fut pas le cas, et en 2011 La Commune sert surtout à mesurer les progrès exceptionnels que la fiction française a accompli en seulement trois petites années. C'est peu et énorme à la fois. Anodin autant qu'important.
C'était il y a seulement quatre ans mais par instants, cela semble se dérouler au siècle passé. Dans un autre pays et dans une autre époque, sur une autre chaîne que Canal +, dont les fameuse "créations originales" (l'expression me fera toujours rire) n'étaient alors que balbutiantes, tant formellement que dans le dispotif marketing leur garantissant le succès que l'on sait (rappelons que Canal vend désormais de la "création originale" comme d'autres des paquets de lessive, c'est d'autant moins une critique que les chaînes américaines font pareil, mais le fait est là...). Pour ces raisons, revoir La Commune en 2011 a quelque chose d'un voyage dans le temps. Soyons honnêtes : la regarder pour elle-même demande une relative abnégation tant le travail y est imparfait, plein de bonnes idées mal exploitées, de mauvaises idées chipées ailleurs (lire : "chez ces satanés Ricains"), de maladresses touchantes et de réussites hasardeuses. En revanche, cela peut avoir valeur de témoignage historique. Gageons que dans quinze ans, quand les séries françaises auront explosé, un large chapitre sera consacré à celle-ci dans le livre Comment nous avons finalement appris à faire de bonnes séries dans l'Hexagone. Ou comment parvenir à faire date tout en étant ratée à mesure de 50 % environs.
C'était donc dans une époque télévisuelle déjà lointaine, lorsqu'on ne savait pas encore tout à fait comment faire des séries regardables chez nous, qu'on avait bien quelques idées mais qu'on tâtonnait encore. On se disait - on n'avait pas tort - qu'il faudrait essayer de repiquer le savoir-faire américain tout en y injectant notre vraie personnalité à nous, les Français. Sauf qu'en la matière - on ne l'a su que bien plus tard - de personnalité, nous n'avions pas vraiment. Les séries américaines révolutionnaires de la fin 90/début 2000 ne sont pas apparues comme ça du jour au lendemain ; elles sont le fruit d'une lente évolution, d'une tradition - d'un héritage. Des choses qui n'ont jamais vraiment existé chez nous, en matière de séries. Alors on fantasmait, et Abdel Raouf Dafri fantasmait mieux et plus fort que les autres. Il allait nous la faire, notre série noire à nous. Avec du no future et du sans issue. Il allait nous l'offrir, notre Oz. Notre The Wire. Ca s'appelait La Commune, ça repiquait l'idée du microcosme de fiction (une téci pour une prison), du chœur de tragédie antique (un Tomer Sisley pour un Harold Perrineau, why not ?), du politicien tout pourri et de l'atmosphère de fin du monde.
A voir certains comédiens jouer, à voir certains dialogues un peu clichés, on pourrait être tenté de se dire qu'Abdel Raouf Dafri n'avait rien compris. Ce serait inexact : il avait au contraire compris l'essentiel. Qu'une bonne série tenait principalement à trois choses : une atmosphère, un style, des personnages. Le reste n'est qu'accessoire, c'est pour cette raison que les Américains parviennent à nous vendre du cop show à tourne-bras depuis trois décennies. Un crime est un crime, comme dirait Dick Wolf, tout est question de style et de la manière dont on l'appréhende. Ça, Dafri l'a bien saisi. On arguera même que par certains aspects, La Commune tient encore la dragée haute aux productions françaises du moment - ne fût-ce que parce ses personnages existent réellement à l'écran (ce n'est pas Braquo qui peut en dire autant). Elle n'évite hélas pas toutes les chausses-trappes, et part dans la bonne direction pour finir, hélas, sur la mauvaise pente.
D'une part, il y a dans La Commune à peu près autant de bons comédiens que de mauvais. A l'époque, on était tellement content de voir une telle série qu'on avait tendance à ne pas vouloir le voir. En 2011 on pardonne moins facilement, et si l'on admire une fois de plus Francis Renaud et Alain Doutey, dont les images d'éternels seconds couteaux ne disent rien - ou trop peu - de leur talent, on est plus circonspect concernant les autres. Stefano Casseti était bien plus convaincant en Roberto Succo qu'en petite frappe serbe, et l'on comprend soudain pourquoi : son regard vide et son inexpressivité collaient parfaitement au tueur immortalisé par Koltès. Les autres ont pour la plupart bien du mal à jouer juste, à l'exception notable de Patrick Descamps, que l'on voit malheureusement peu. Noter que Tomer Sisley est un cas à part, qui rejoint l'autre problème fondamental de La Commune : son personnage est un décalque pur et simple du Augustus Hill d'Oz. Il a beau exceller dedans, il ne peut rien faire contre ce péché originel, d'autant que Hocine est employé exactement de la même manière (à savoir que, lorsqu'il n'est pas le coryphée de service se fendant de sentences définitives - et parfois un peu fastoches - sur la vie et la mort, il est le brave gars regardant plus ou moins en spectateur l'horreur du microcosme qu'il nous raconte). Or ce péché est loin d'être véniel. En effet, non content de chiper l'une de ses plus grandes spécificités à Oz, Dafri lui pompe aussi... ses défauts. Et là, le bât blesse carrément.
Il n'est un secret pour personne que si Tom Fontana révolutionna la télévision, il n'était pas nécessairement le type le plus subtil du monde. En témoigne une carrière post-Oz au cours laquelle il tomba rapidement le masque, et révéla qu'il était un des meilleurs gauchos démagogues de la télé US. Sans le vouloir, Abdel Raouf Dafri suit cette pente glissante. Oz ne s'encombrait que rarement de gants, mais elle pouvait se le permettre car son écriture était au cordeau et que la multiplication des points de vue la sauvait de la bêtise crasse dans laquelle elle aurait sombré si le seul héros avait été Tim McManus. Dans La Commune, les disparités de niveau sont trop importantes d'un comédien à l'autre pour que la vision échappe à la caricature. Surtout, l'auteur sous-estime considérablement l'importance du milieu dans lequel se déroule son intrigue. Oz est un QHS dont les prisonniers sont (pour la plupart) de dangereux criminels. Il a beau être vécu par les personnages (et notamment Augustus Hill) comme une allégorie de la société, le pénitencier est un lieu propice au développement de certains comportements que l'on qualifiera pudiquement d'extrêmes. Mais le monde extérieur n'est pas Oswald et la Commune, si l'on croit volontiers qu'il soit ardu d'en sortir, n'est pas une forteresse ni un lieu clos. Aussi ce qui semble radical, tragique et sublime dans Oz, téléporté dans l'univers de La Commune, semble avant tout excessif et caricatural, pour ne laisser finalement que cette impression que tous les personnages sont des demi-fous bons à enfermer. Et pourtant, dans l'absolu, l'auteur avait raison de ne pas s'encombrer de ce réalisme didactique qui plomba tant de ces collègues.
En d'autres termes, ce qui aurait pu marcher ne marche ici que par intermittence. Le conditionnel est important, car le drame de La Commune, dans le fond, est que Canal ne vendait pas aussi bien ses lessives en 2007. Si comme d'autres elle avait eu la chance de connaître une seconde saison deux ou trois ans plus tard, sans doute aurions-nous assisté à une évolution drastique comparable à celle subie par (au hasard) Un village français entre ses deux premiers chapitres. Ce ne fut pas le cas, et en 2011 La Commune sert surtout à mesurer les progrès exceptionnels que la fiction française a accompli en seulement trois petites années. C'est peu et énorme à la fois. Anodin autant qu'important.
✋ La Commune
créée par Abdel Raouf Dafr
Canal +, 2007
C'est un très bon article. Dommage que je n'ai pas mais alors PAS DU TOUT envie de mater ce truc :D
RépondreSupprimerMoi je l'ai vue.
RépondreSupprimerMais j'ai tout oublié :)
J'avais regardé le premier épisode... mais même pas j'ai tenu jusqu'à la fin...
RépondreSupprimerInsupportable.
Insupportable, t'exagère pas légèrement (allez, un tout petit peu ;-)))?
RépondreSupprimerok, ok! Mais un tout petit peu... il faut dire c loin.
RépondreSupprimerMais je me souviens à l'époque télérama avait fait un bon papier du coup j'avais été très déçue d'autant que par rapport à the wire par exemple les personnages n'étaient pas très crédibles...
:-)
Ouais, j'avais vécu pareil (mais avec Libé).
RépondreSupprimerCe qui ne fait que prouver une fois encore que malheureusement, les journalistes de la presse télé française ne s'y connaissent vraiment pas en séries...
oui, mais je crois que doucement ça s'améliore...
RépondreSupprimer;-)
Oui, incontestablement. A force de lire Le Golb ^^
RépondreSupprimerc clair!!
RépondreSupprimerVive la golbitude!
:-)
Je n'aurais pas dit mieux !
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