...
Salut Rivers,
Comment va ? Mal, j'imagine. Tu ne vas jamais vraiment bien, non ?
Ça fait un bail que je dois t'écrire, j'espère que tu ne m'en veux pas trop. Un an ou pas loin, depuis que tu as sorti cet album avec la tronche de Jorge Garcia en guise de couverture. J'avoue ne pas l'avoir réécouté depuis. C'est pour ça que je ne t'ai pas écrit, en fait : ne pouvant sincèrement te féliciter pour ton dernier album, j'ai décidé - et je comprendrais que tu trouves cela un peu lâche - de ne pas te donner de nouvelles. Du tout. Je crois que j'avais besoin de digérer. Faut dire aussi, j'y ai cru jusqu'au bout. Plus fort et plus longtemps que tous les autres. J'ai compatis et j'ai pardonné comme peut-être aucun de tes anciens fans ne l'a fait. Je me suis forcé à être impartial, à ne pas me laisser déborder par mes émotions, à reconnaître des qualités objectives à tous tes albums depuis des années. Hurley n'était sans doute pas plus mauvais que les deux précédents mais là, bizarrement, ça m'a semblé trop. J'ai su que je ne pouvais plus. Et je n'ai même pas écrit une ligne dessus. Et aujourd'hui que je dois réécouter l'album vert pour cette putain de rubrique 10 Years After (quelle idée à la con, entre nous), je réalise que cela fait dix ans que nous ne nous sommes plus parlé. Plus vraiment. Plus tel que nous le faisions alors.
Qu'est devenu mon vieil ami ? Je ne devrais pas parler comme ça alors que tu as toujours tellement détesté ce genre d'attitude, toi qui est si pudique... toi qui sais si bien te cacher. Mais tu vois j'écoute "Smile", qui n'est même pas une très grande chanson, et je ne peux m'empêcher de me demander où est passé ce type qui comprenait si bien ma peine, qui s'en emparait et qui chaque fois la façonnait en une chanson pop simple et étincelante. Je pense à "O Girlfriend", à ces mots banals et bouleversants, à cette voix dont on jurerait qu'elle est étranglée par les sanglots. Je pense à "Glorius Days" et à cette manière de mettre du baume au cœur. Il est vicieux, cet album vert : chaque fois que je m'apprête à le réécouter je me dis qu'il symbolise le commencement de la fin, qu'il n'est pas si bon... et chaque fois je me fais baiser. Les souvenirs m'assaillent. La mélancolie... je sais ce que les lecteurs de mes chroniques diraient : qu'il a été important pour moi à un moment M, que c'est normal mais qu'à la limite, ça ne regarde que moi. On sait bien toi et moi que ce n'est pas vrai. Que les gens ne sont pas marqués par n'importe quoi n'importe quand, que déjà cela nécessite une force irrationnelle puissante. Que si les albums les plus minables peuvent rappeler des souvenirs, seuls les grands albums savent les ressusciter. La madeleine de Proust n'aurait certainement pas eu le même effet avec un gâteau Leader Price.
Alors c'est vrai, le Green Album est irrigué par une douleur dont à force, j'ai fini par ne plus trop savoir si c'était la tienne ou la mienne. In your arms / I was happy as a little boy could be / Taking pills and mellowing out / Now I just want to shout. Quand j'appuie sur PLAY c'est comme si j'appuyais sur REWIND. "Dont Let Go", et ce sont même les odeurs qui me reviennent. "Photograph" et les vitres sont ouvertes sur la route des vacances. Je me revois lire une chronique de l'album sur la plage. A l'époque, c'était déjà ton grand come-back après cinq ans de silence. Depuis tu n'es jamais reparti, mais j'aurais bien des fois préféré que tu te taises. Peut-être ai-je beaucoup vieilli. Peut-être ne l'as-tu pas assez fait. Dix ans après plus rien n'est pareil. C'est comme si toute magie avait disparue - or ta musique n'était que magie. Sans cet étrange feeling, sans ce sentiment inexplicable mais évident qu'"Island in the Sun" parlait du cœur au cœur, elle n'était qu'une ballade FM parmi d'autres, et ton disque une de ces rondelles power-pop/punk dont les college radios font des overdoses depuis trente ans. Tu me fais penser à une de ces séries habiles qu'on finit par ne plus regarder que par habitude, les appréciant juste parce qu'on les apprécie, alors qu'elles n'ont plus rien à offrir depuis longtemps - sinon peut-être l'illusion que le temps n'a pas passé. Jusqu'au jour inévitable où l'on finit par tomber sur une rediff' de la saison 2 sur le câble, où l'on s'aperçoit alors que les actrices ne sont pas encore botoxées, que les fringues ont changées, que les vannes sont meilleures. Que le temps n'a fait que ça : passer. 10 Years After. Cette rubrique ne m'a jamais semblé si bien nommée.
Salut Rivers,
Comment va ? Mal, j'imagine. Tu ne vas jamais vraiment bien, non ?
Ça fait un bail que je dois t'écrire, j'espère que tu ne m'en veux pas trop. Un an ou pas loin, depuis que tu as sorti cet album avec la tronche de Jorge Garcia en guise de couverture. J'avoue ne pas l'avoir réécouté depuis. C'est pour ça que je ne t'ai pas écrit, en fait : ne pouvant sincèrement te féliciter pour ton dernier album, j'ai décidé - et je comprendrais que tu trouves cela un peu lâche - de ne pas te donner de nouvelles. Du tout. Je crois que j'avais besoin de digérer. Faut dire aussi, j'y ai cru jusqu'au bout. Plus fort et plus longtemps que tous les autres. J'ai compatis et j'ai pardonné comme peut-être aucun de tes anciens fans ne l'a fait. Je me suis forcé à être impartial, à ne pas me laisser déborder par mes émotions, à reconnaître des qualités objectives à tous tes albums depuis des années. Hurley n'était sans doute pas plus mauvais que les deux précédents mais là, bizarrement, ça m'a semblé trop. J'ai su que je ne pouvais plus. Et je n'ai même pas écrit une ligne dessus. Et aujourd'hui que je dois réécouter l'album vert pour cette putain de rubrique 10 Years After (quelle idée à la con, entre nous), je réalise que cela fait dix ans que nous ne nous sommes plus parlé. Plus vraiment. Plus tel que nous le faisions alors.
Qu'est devenu mon vieil ami ? Je ne devrais pas parler comme ça alors que tu as toujours tellement détesté ce genre d'attitude, toi qui est si pudique... toi qui sais si bien te cacher. Mais tu vois j'écoute "Smile", qui n'est même pas une très grande chanson, et je ne peux m'empêcher de me demander où est passé ce type qui comprenait si bien ma peine, qui s'en emparait et qui chaque fois la façonnait en une chanson pop simple et étincelante. Je pense à "O Girlfriend", à ces mots banals et bouleversants, à cette voix dont on jurerait qu'elle est étranglée par les sanglots. Je pense à "Glorius Days" et à cette manière de mettre du baume au cœur. Il est vicieux, cet album vert : chaque fois que je m'apprête à le réécouter je me dis qu'il symbolise le commencement de la fin, qu'il n'est pas si bon... et chaque fois je me fais baiser. Les souvenirs m'assaillent. La mélancolie... je sais ce que les lecteurs de mes chroniques diraient : qu'il a été important pour moi à un moment M, que c'est normal mais qu'à la limite, ça ne regarde que moi. On sait bien toi et moi que ce n'est pas vrai. Que les gens ne sont pas marqués par n'importe quoi n'importe quand, que déjà cela nécessite une force irrationnelle puissante. Que si les albums les plus minables peuvent rappeler des souvenirs, seuls les grands albums savent les ressusciter. La madeleine de Proust n'aurait certainement pas eu le même effet avec un gâteau Leader Price.
Alors c'est vrai, le Green Album est irrigué par une douleur dont à force, j'ai fini par ne plus trop savoir si c'était la tienne ou la mienne. In your arms / I was happy as a little boy could be / Taking pills and mellowing out / Now I just want to shout. Quand j'appuie sur PLAY c'est comme si j'appuyais sur REWIND. "Dont Let Go", et ce sont même les odeurs qui me reviennent. "Photograph" et les vitres sont ouvertes sur la route des vacances. Je me revois lire une chronique de l'album sur la plage. A l'époque, c'était déjà ton grand come-back après cinq ans de silence. Depuis tu n'es jamais reparti, mais j'aurais bien des fois préféré que tu te taises. Peut-être ai-je beaucoup vieilli. Peut-être ne l'as-tu pas assez fait. Dix ans après plus rien n'est pareil. C'est comme si toute magie avait disparue - or ta musique n'était que magie. Sans cet étrange feeling, sans ce sentiment inexplicable mais évident qu'"Island in the Sun" parlait du cœur au cœur, elle n'était qu'une ballade FM parmi d'autres, et ton disque une de ces rondelles power-pop/punk dont les college radios font des overdoses depuis trente ans. Tu me fais penser à une de ces séries habiles qu'on finit par ne plus regarder que par habitude, les appréciant juste parce qu'on les apprécie, alors qu'elles n'ont plus rien à offrir depuis longtemps - sinon peut-être l'illusion que le temps n'a pas passé. Jusqu'au jour inévitable où l'on finit par tomber sur une rediff' de la saison 2 sur le câble, où l'on s'aperçoit alors que les actrices ne sont pas encore botoxées, que les fringues ont changées, que les vannes sont meilleures. Que le temps n'a fait que ça : passer. 10 Years After. Cette rubrique ne m'a jamais semblé si bien nommée.
👑 weezer
weezer | Universal, 2001
EXCELLENT ARTICLE ! Digne des annales du Golb !
RépondreSupprimerFaut arrêter d'écrire des articles aussi bons sur des trucs comme Weezer, après le lecteur est longuement perturbé ;)
RépondreSupprimerTrès bel article sur un album qui ne l'est pas moins (et en bonus, une formule classe à refourguer en soirée calée en milieu d'article.)
RépondreSupprimerLe truc dommage, avec tes bons articles, c'est que derrière... Ben y a rien à ajouter.
La madeleine de Proust n'aurait certainement pas eu le même effet avec un gâteau Leader Price. --> ENORME :D
RépondreSupprimerAccessoirement, je le réécoute, là, et merci: j'avais oublié à quel point des titres comme "Simple Pages" pouvaient être fabuleux. Et émouvants.
RépondreSupprimerPas emballé au premier abord par le sujet, mais captivé par le texte.Excellent article.
RépondreSupprimer"Que les gens ne sont pas marqués par n'importe quoi n'importe quand, que déjà cela nécessite une force irrationnelle puissante. Que si les albums les plus minables peuvent rappeler des souvenirs, seuls les grands albums savent les ressusciter."
RépondreSupprimerChépa si Guic faisait référence à l'une de ces 2 phrases, mais je les note dans un coin de ma caboche ;)
Sinon Ouizeure, bah spa vraiment pour moi, quoi...
EL-JAM, Lil', Guic', Serious & Dany >>> eh bien... merci pour beaucoup. Je vois qu'on fêtait la Saint Thomas un peu en retard cette année ^^
RépondreSupprimerDahu >>> en fait je crois que Guic' parlait plutôt de la même phrase que Serious...
très bonne madeleine ! je vais de ce pas réécouter la galette (pour rester dans la biscuiterie)
RépondreSupprimerMoi itou!
RépondreSupprimerTout ça me donne des envies de tartines ^^
RépondreSupprimerhttp://youtu.be/8fQllIQ3AfI
RépondreSupprimersuper article! on voit qu on est sur le golb, qui est si je me rappelle bien, comme un blog mais en mieux :-)
RépondreSupprimerJe n'aurais pas dit mieux :-)
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