...
Le narrateur du dernier Blondel donne le sentiment d'être en permanence à bout de souffle. Le rythme de ses phrases est haché. Ses pensées s'enchevêtrent sèchement. Tout chez lui semble en alerte. On le serait à moins, bien sûr : non content de venir de se faire larguer pour son meilleur pote, et non content de se payer un petit séjour à l'hôpital, voici qu'il perd son père, quelques années seulement après sa mère et son frère. Comme ça, d'un coup. Presque aussi sèchement que je viens de le dire. Son père est mort. Il était vivant encore il y a quelques instants - et donc son fils ne pensait absolument pas à lui - et d'un coup, il ne l'est plus. La mort aime bien faire ce genre de trucs. Plus vous êtes jeunes et fragiles, plus elle vous frappe brutalement. Ah ça, quand vous êtes vieux, vous agonisez lentement et vous avez le temps d'aller aux enterrements de tous vos proches avant d'organiser le vôtre. Mais alors quand vous êtes jeune, ça ne pardonne pas ; elle frappe vite et elle frappe fort, et Blondel capte à merveille cette espèce de brutalité absurde, cette illustration si parfaite de l'expression un coup du sort (en-dessous de la ceinture, bien entendu).
Comme tout livre de Blondel, celui-ci ne brille pas par sa grande puissance comique, malgré quelques tentatives d'humour noir plus gênantes que convaincante (on imagine aisément les mêmes phrases balancées nerveusement en public, et tout le monde qui baisse les yeux et se met à mater ses pompes ou son assiette de frites), et qui d'une certaine manière disent tout de la fragilité émotionnelle du jeune narrateur. Est-ce du fait de la portée autobiographique revendiquée (mais quel roman ne l'est pas du tout ? Surtout signé Blondel...) ? Le ton est souvent moins bouillant qu'à l’accoutumée, plus distancié, le clavier serré comme on ferait grincer ses dents : "Je me voyais bien, dans une trentaine d'années, au cours d'un dîner. La conversation roule sur les parents qui vieillissent et qui deviennent pénibles [...] ah là là les vieux, c'est d'un chiant. La parole passe. Mon voisin de table me pose la question : « Et toi, les tiens, ils sont comment ? - Oh moi, tu sais, ça va. Ils sont morts il y a trente ans. Enfin, ma mère et mon frère d'abord. Accident de voiture. Et puis mon père, quatre ans après. Accident de voiture aussi [...] » Le froid que je vais jeter dans les soirées. L'effroi qui va les saisir tous. La panique dans leurs yeux.".
En fait, le récit met un certain à temps avant de réellement s'enclencher et de révéler sa vraie nature. Rien d'étonnant d'ailleurs, puisqu'on imagine mal un road book qui aurait tout donné avant même que le voyage n'ait commencé. Non qu'on ne s'attende pas à ce qu'un roman intitulé Et rester vivant (titre d'un pathos consommé pour un livre ne l'étant que très peu) s'avère raconter un retour à la vie, ou à tout le moins au monde des vivants. Mais la technique développée pour y parvenir est habile. Pas que le déplacement de l'intrigue en direction de Morro Bay (sur les traces de Lloyd Cole, rien moins), soit d'une inspiration implacable ; le talent de Blondel dans ce roman, c'est d'enrober le récit de manière délicate et progressive. Sauf à être une âme très sensible ne pouvant entendre que trois personnes sont mortes sans pouvoir retenir ses larmes (il paraît que cela arrive), le début ne sera que moyennement convaincant, émouvant peut-être, je ne suis pas connu pour mon émotivité, plutôt sec en tout cas, dans le style, dans l'univers. La mort et sa brutalité ne sont que dévastation, n'est-ce pas ? Aussi plus le texte avance et plus l'univers semble se redessiner, se colorer. L'environnement, quasi invisible dans des premières pages très mentales, se détaille peu à peu, s'enrichit, tout comme les personnages, ce meilleur pote et cette future ex - de vagues silhouettes prenant progressivement corps (certes, on s'y attendait : les amateurs de l'auteur sont coutumiers de ce genre d'amitié un peu folle, un peu déviante, un peu passionnelle, souvent à la limite de l'Amour et toujours touchante). La franche réussite d'Et rester vivant, c'est de parvenir à être un livre en mouvement, même lorsqu'il ne bouge pas. C'est presque un coloriage, qui finit par compléter un puzzle : les passerelles sont nombreuses entre ce roman et Passage du gué (qui aurait pu être son tire aussi) ou This Is Not a Love Song, et ceux qui ont aimé ceux-là risquent de goûter celui-ci, qui après quelques textes plus posés, dont Le Baby-sitter et G229 (nous y reviendront) constituent les exemples les plus évidents, renoue avec cette littérature plus agitée, plus fêlée qui a fait le succès de son auteur.
Comme tout livre de Blondel, celui-ci ne brille pas par sa grande puissance comique, malgré quelques tentatives d'humour noir plus gênantes que convaincante (on imagine aisément les mêmes phrases balancées nerveusement en public, et tout le monde qui baisse les yeux et se met à mater ses pompes ou son assiette de frites), et qui d'une certaine manière disent tout de la fragilité émotionnelle du jeune narrateur. Est-ce du fait de la portée autobiographique revendiquée (mais quel roman ne l'est pas du tout ? Surtout signé Blondel...) ? Le ton est souvent moins bouillant qu'à l’accoutumée, plus distancié, le clavier serré comme on ferait grincer ses dents : "Je me voyais bien, dans une trentaine d'années, au cours d'un dîner. La conversation roule sur les parents qui vieillissent et qui deviennent pénibles [...] ah là là les vieux, c'est d'un chiant. La parole passe. Mon voisin de table me pose la question : « Et toi, les tiens, ils sont comment ? - Oh moi, tu sais, ça va. Ils sont morts il y a trente ans. Enfin, ma mère et mon frère d'abord. Accident de voiture. Et puis mon père, quatre ans après. Accident de voiture aussi [...] » Le froid que je vais jeter dans les soirées. L'effroi qui va les saisir tous. La panique dans leurs yeux.".
En fait, le récit met un certain à temps avant de réellement s'enclencher et de révéler sa vraie nature. Rien d'étonnant d'ailleurs, puisqu'on imagine mal un road book qui aurait tout donné avant même que le voyage n'ait commencé. Non qu'on ne s'attende pas à ce qu'un roman intitulé Et rester vivant (titre d'un pathos consommé pour un livre ne l'étant que très peu) s'avère raconter un retour à la vie, ou à tout le moins au monde des vivants. Mais la technique développée pour y parvenir est habile. Pas que le déplacement de l'intrigue en direction de Morro Bay (sur les traces de Lloyd Cole, rien moins), soit d'une inspiration implacable ; le talent de Blondel dans ce roman, c'est d'enrober le récit de manière délicate et progressive. Sauf à être une âme très sensible ne pouvant entendre que trois personnes sont mortes sans pouvoir retenir ses larmes (il paraît que cela arrive), le début ne sera que moyennement convaincant, émouvant peut-être, je ne suis pas connu pour mon émotivité, plutôt sec en tout cas, dans le style, dans l'univers. La mort et sa brutalité ne sont que dévastation, n'est-ce pas ? Aussi plus le texte avance et plus l'univers semble se redessiner, se colorer. L'environnement, quasi invisible dans des premières pages très mentales, se détaille peu à peu, s'enrichit, tout comme les personnages, ce meilleur pote et cette future ex - de vagues silhouettes prenant progressivement corps (certes, on s'y attendait : les amateurs de l'auteur sont coutumiers de ce genre d'amitié un peu folle, un peu déviante, un peu passionnelle, souvent à la limite de l'Amour et toujours touchante). La franche réussite d'Et rester vivant, c'est de parvenir à être un livre en mouvement, même lorsqu'il ne bouge pas. C'est presque un coloriage, qui finit par compléter un puzzle : les passerelles sont nombreuses entre ce roman et Passage du gué (qui aurait pu être son tire aussi) ou This Is Not a Love Song, et ceux qui ont aimé ceux-là risquent de goûter celui-ci, qui après quelques textes plus posés, dont Le Baby-sitter et G229 (nous y reviendront) constituent les exemples les plus évidents, renoue avec cette littérature plus agitée, plus fêlée qui a fait le succès de son auteur.
👍 Et rester vivant
Jean-Philippe Blondel | Buchet/Chastel, 2011
à te lire, du félé gentil, pas vraiment de la déjante, non? un truc juste au-dessu du mièvre en terme d'intensité?
RépondreSupprimerTiens, je viens justement de l'acheter, mais je ne l'ai pas encore ouvert. A voir, donc.
RépondreSupprimerBBB.
gmc >>> alors je ne connais pas la fameuse échelle d'intensité :-)) Mais non, ce n'est pas franchement mièvre, et même assez pudique.
RépondreSupprimerla marque des timides, en somme.
RépondreSupprimerps: as-tu lu "les villes de la plaine" de diane meur?
Franchement ça ne fait pas, mais alors PAS DU TOUT envie ce bouquin.
RépondreSupprimergmc >>> non (tu sais chez moi la rentrée littéraire dure 10 mois, et c'est beaucoup mieux comme ça). C'est un livre que tu recommandes particulièrement ?
RépondreSupprimerLil' >>> de toute façon tu n'aimes pas Blondel, non ?...
en matière de lecture, je ne fais plus que du picking chez certains poètes, donc je n'ai pas lu ce livre et je ne le lirai pas, la forme "roman" m'étant devenu indifférente; mais les commentaires faits à droite et à gauche donne à ce livre un certain attrait.
RépondreSupprimerAlors du coup, je vais jeter un œil à ces commentaires...
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