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Étrangement, alors qu'elle contient en elle-même suffisamment de choses pour capter l'attention du spectateur, Mildred Pierce semble avoir été la série de tous les malentendus. On a tout dit à son sujet, n'importe quoi inclus, qu'elle marquait un tournant dans les rapports consanguins (mais néanmoins très féodaux) entre cinéma et télévision, qu'elle consacrait le renouveau du genre historique à travers le format série, et encore ceci et encore cela... à tel point qu'au moment de projeter le premier épisode, on est presque surpris par la simplicité et l'humanité du projet.
Tentons brièvement de remettre les choses dans leur juste orbite. Pour ce qui est de la vieille lune de la série se mesurant au cinéma, déjà abondamment traitée (et moquée) dans ces pages, on se contentera de noter que l'immense différence entre une Mildred Pierce et un (au hasard) Carlos, c'est tout simplement que c'est bien. Sans doute parce qu'il n'est pas un grand cinéaste mégalomane (ou autoproclamé comme tel), Todd Haynes, habile artisan à qui l'on doit surtout le formidable Velvet Goldmine, ne donne jamais l'impression d'avoir fait un long film découpé en rondelles, mais bien un feuilleton à part entière, pensé comme tel et donc, par extension, beaucoup moins artificiel dans son architecture narrative. Si Mildred Pierce marque à l'évidence un tournant dans les relations complexes entre cinéma et télévision, c'est plus certainement parce qu'il met en haut de l'affiche Kate Winslet, pas tout à fait la ringarde de service ou une star en bout de course, mais tout simplement l'une des plus grandes actrices de notre époque (et de loin), qui témoigne ainsi une fois encore d'une grande finesse dans le choix des projets auxquels elle associe son nom. On arguera d'ailleurs qu'avec Winslet en Mildred Pierce, la moitié du job est déjà assurée - d'autant que Haynes a déjà démontré à maintes reprises qu'à défaut d'être le metteur en scène les plus inspiré de sa génération, il était un brillant directeur d'acteurs.
Concernant la partie historique, on sera tenté là aussi de nuancer. Le roman éponyme de James M. Cain, assez moyen bien que devenu un classique de la littérature américaine presque malgré lui, est paru en 1941 et a été écrit à la fin des années trente ; il parle bel et bien de son époque, avec tout au plus un léger recul. Toujours cette vieille réflexion que l'on ne peut s'empêcher de se poser par rapport aux adaptations de classiques : est-ce que faire un film de Madame Bovary peut s'apparenter à faire un film historique pour cette seule raison qu'il a été écrit il y a très longtemps ?
La question résonne d'autant plus qu'à la vue du Mildred Pierce de Haynes, on sera immanquablement tenté de répondre "non". Alors que le roman de Cain et le film de Curtiz (1945, avec rien moins que Faulkner au scénario 1) articulaient une grande partie de leurs axes sur les ravages de la grande dépression et le combat d'une mère courage quasi archétypale pour maintenir le rang social de ses enfants, cette nouvelle version, plus actuelle, plus férue de psychanalyse, prend rapidement le parti de ne garder cela qu'en toile de fond et de s'atteler à un portrait vitriolé des relations mère/fille. Si les costumes sont une sorte de figure imposée de ce genre d'adaptation, il faut rendre grâce à Haynes d'avoir su tenir la grande reconstitution spectaculaire à l'écart (échappant ainsi au syndrome Boardwalk Empire) pour ausculter un drame intime à la tension parfois suffocante. L'interprétation subtile de Kate Winslet, mais également celle de Morgan Turner, qui interprète une jeune Veda Pierce crissante de vérité (on sera plus réservé quant à Evan Rachel Wood, qui campe la "version adulte" du personnage), introduisent une complexité et une tension extraordinaire en comparaison avec un roman extrêmement schématique. Veda n'est pas qu'un petit tyran domestique, monstre de snobisme et d'intolérance, mais un être cassé voyant le monde qu'elle a connu s'effriter sous ses pieds. De l'autre côté de la pièce, Mildred n'est pas qu'une héroïne de mélo sur laquelle le sort s'acharne avec une effarante régularité, mais encore une femme complexe et bien plus orgueilleuse qu'il y paraît, capable d'une grande injustice vis-à-vis de ceux qui l'entourent (et plus encore de ceux qui la soutiennent), profondément aveuglé par la passion qu'elle nourrit pour son enfant. Avec une grande finesse, Haynes et son scénariste Jon Raymond (qui l'assistait déjà sur Far from Heaven) rapprochent ces deux personnages en apparence inconciliables, les rendent indissociables l'un de l'autre (c'est d'autant plus vrai que le narcissisme pathologique de Veda est le produit direct du complexe de classe de sa mère, et son inhumanité d'une éducation incroyablement libérale... surtout pour les années trente). Leurs scènes de face à face en deviennent des moments de tension extraordinaire, dévorés par les silences et le non-dit, d'une violence psychologique presque insoutenable par instants. La grande force de cette version de Haynes, ce n'est pas de faire du revival fresque historique (!), mais bien du revival mélo-à-l'ancienne, en y injectant des obsessions toutes contemporaines, notamment quant aux relations hommes/femmes (il est vrai que le personnage de Mildred Pierce étant par bien des aspects très en avance sur son temps, le cinéaste joue sur du velours). Dénué de longueurs ni de temps morts malgré des épisodes plutôt copieux (une heure cinq en moyenne), le résultat est bluffant et particulièrement addictif. Une grande réussite.
(1) Façon de parler puisque ce film, comme la plupart co-écrits (souvent de manière officieuse) par Faulkner, fut avant tout un travail alimentaire. Mais la précision était utile car dans celui-ci comme souvent, Faulkner fit basculer le scénario vers une histoire aux confins du polar et du roman noir.
Étrangement, alors qu'elle contient en elle-même suffisamment de choses pour capter l'attention du spectateur, Mildred Pierce semble avoir été la série de tous les malentendus. On a tout dit à son sujet, n'importe quoi inclus, qu'elle marquait un tournant dans les rapports consanguins (mais néanmoins très féodaux) entre cinéma et télévision, qu'elle consacrait le renouveau du genre historique à travers le format série, et encore ceci et encore cela... à tel point qu'au moment de projeter le premier épisode, on est presque surpris par la simplicité et l'humanité du projet.
Tentons brièvement de remettre les choses dans leur juste orbite. Pour ce qui est de la vieille lune de la série se mesurant au cinéma, déjà abondamment traitée (et moquée) dans ces pages, on se contentera de noter que l'immense différence entre une Mildred Pierce et un (au hasard) Carlos, c'est tout simplement que c'est bien. Sans doute parce qu'il n'est pas un grand cinéaste mégalomane (ou autoproclamé comme tel), Todd Haynes, habile artisan à qui l'on doit surtout le formidable Velvet Goldmine, ne donne jamais l'impression d'avoir fait un long film découpé en rondelles, mais bien un feuilleton à part entière, pensé comme tel et donc, par extension, beaucoup moins artificiel dans son architecture narrative. Si Mildred Pierce marque à l'évidence un tournant dans les relations complexes entre cinéma et télévision, c'est plus certainement parce qu'il met en haut de l'affiche Kate Winslet, pas tout à fait la ringarde de service ou une star en bout de course, mais tout simplement l'une des plus grandes actrices de notre époque (et de loin), qui témoigne ainsi une fois encore d'une grande finesse dans le choix des projets auxquels elle associe son nom. On arguera d'ailleurs qu'avec Winslet en Mildred Pierce, la moitié du job est déjà assurée - d'autant que Haynes a déjà démontré à maintes reprises qu'à défaut d'être le metteur en scène les plus inspiré de sa génération, il était un brillant directeur d'acteurs.
Concernant la partie historique, on sera tenté là aussi de nuancer. Le roman éponyme de James M. Cain, assez moyen bien que devenu un classique de la littérature américaine presque malgré lui, est paru en 1941 et a été écrit à la fin des années trente ; il parle bel et bien de son époque, avec tout au plus un léger recul. Toujours cette vieille réflexion que l'on ne peut s'empêcher de se poser par rapport aux adaptations de classiques : est-ce que faire un film de Madame Bovary peut s'apparenter à faire un film historique pour cette seule raison qu'il a été écrit il y a très longtemps ?
La question résonne d'autant plus qu'à la vue du Mildred Pierce de Haynes, on sera immanquablement tenté de répondre "non". Alors que le roman de Cain et le film de Curtiz (1945, avec rien moins que Faulkner au scénario 1) articulaient une grande partie de leurs axes sur les ravages de la grande dépression et le combat d'une mère courage quasi archétypale pour maintenir le rang social de ses enfants, cette nouvelle version, plus actuelle, plus férue de psychanalyse, prend rapidement le parti de ne garder cela qu'en toile de fond et de s'atteler à un portrait vitriolé des relations mère/fille. Si les costumes sont une sorte de figure imposée de ce genre d'adaptation, il faut rendre grâce à Haynes d'avoir su tenir la grande reconstitution spectaculaire à l'écart (échappant ainsi au syndrome Boardwalk Empire) pour ausculter un drame intime à la tension parfois suffocante. L'interprétation subtile de Kate Winslet, mais également celle de Morgan Turner, qui interprète une jeune Veda Pierce crissante de vérité (on sera plus réservé quant à Evan Rachel Wood, qui campe la "version adulte" du personnage), introduisent une complexité et une tension extraordinaire en comparaison avec un roman extrêmement schématique. Veda n'est pas qu'un petit tyran domestique, monstre de snobisme et d'intolérance, mais un être cassé voyant le monde qu'elle a connu s'effriter sous ses pieds. De l'autre côté de la pièce, Mildred n'est pas qu'une héroïne de mélo sur laquelle le sort s'acharne avec une effarante régularité, mais encore une femme complexe et bien plus orgueilleuse qu'il y paraît, capable d'une grande injustice vis-à-vis de ceux qui l'entourent (et plus encore de ceux qui la soutiennent), profondément aveuglé par la passion qu'elle nourrit pour son enfant. Avec une grande finesse, Haynes et son scénariste Jon Raymond (qui l'assistait déjà sur Far from Heaven) rapprochent ces deux personnages en apparence inconciliables, les rendent indissociables l'un de l'autre (c'est d'autant plus vrai que le narcissisme pathologique de Veda est le produit direct du complexe de classe de sa mère, et son inhumanité d'une éducation incroyablement libérale... surtout pour les années trente). Leurs scènes de face à face en deviennent des moments de tension extraordinaire, dévorés par les silences et le non-dit, d'une violence psychologique presque insoutenable par instants. La grande force de cette version de Haynes, ce n'est pas de faire du revival fresque historique (!), mais bien du revival mélo-à-l'ancienne, en y injectant des obsessions toutes contemporaines, notamment quant aux relations hommes/femmes (il est vrai que le personnage de Mildred Pierce étant par bien des aspects très en avance sur son temps, le cinéaste joue sur du velours). Dénué de longueurs ni de temps morts malgré des épisodes plutôt copieux (une heure cinq en moyenne), le résultat est bluffant et particulièrement addictif. Une grande réussite.
👍👍👍 Mildred Pierce
créée par Todd Haynes, d'après le roman de James M. Cain
HBO, 2011
(1) Façon de parler puisque ce film, comme la plupart co-écrits (souvent de manière officieuse) par Faulkner, fut avant tout un travail alimentaire. Mais la précision était utile car dans celui-ci comme souvent, Faulkner fit basculer le scénario vers une histoire aux confins du polar et du roman noir.
Je trouve que vous exagérez un peu dans le rapprochement entre les deux personnages. Oui, c'est bien moins schématique que dans le livre. Mais Veda demeure tout de même un personnage aussi amoral, que monstrueux, pas particulièrement émouvant ni sympathique, au contraire de sa mère, dont les défauts sont effectivement plus prononcés que dans le livre, mais qui demeure une héroïne très attachante.
RépondreSupprimerBBB.
Moi ce qui m'a fait tiqué c'est de lire que le bouquin est "moyen". J'aimerais bien que tous les livres "moyens" de 2011 soient comme celui-là moi ! :D
RépondreSupprimerVeda est telle que sa mère l'a faite. Et je trouve qu'on voit bien que c'est la mère qui dysfonctionne dans son rapport avec ses enfants.
RépondreSupprimerC'est pour ça que j'ai vraiment adoré ce film (je n'arrive pas à dire que c'est une série...) parce que pour une fois des américains pointent du doigt un de leur grand défaut: mettre leurs enfants sur un piédestal.
Kate Winslet est formidable ains que toute la distribution.
D'ailleurs je ne comprends pas comment on a pu récompenser Downton Abbey à la place de Mildred Pierce aux Emmys.
RépondreSupprimer@Kath : si les Emmy récompensaient la qualité ça se saurait ;)
RépondreSupprimerhihih oui c'est vrai..
RépondreSupprimerBon en même temps c pas complètement nul Downton Abbey... enfin, la première saison...
BBB. >>> je ne sais pas si j'exagère, je n'en ai pas le sentiment. Je me contente de dire que c'est moins schématique que dans le livre (ce qui est vrai et que vous reconnaissez)...
RépondreSupprimerLil' >>> ah si, le bouquin est moyen, je t'assure. Tu l'as sans doute lu il y a trop longtemps ;-)
(et je ne relèverai pas ta remarque persifleuse sur la littérature contemporaine)
Kath >>> en même temps à partir du moment où on sait que The Wire n'a jamais eu d'Emmy, je crois que tout est dit ^^
ahhhh une série avec Kate Winslet, adaptée d'un roman, pourquoi je ne sais jamais rien moi ?
RépondreSupprimerTu ne lis pas assez Le Golb ;-)
RépondreSupprimerPremier épisode regardé hier soir. Approuvé ! Vivement la suite les jours prochains.
RépondreSupprimerDonc ça n'a pas été Homeland, finalement ? ;-)
RépondreSupprimerNon, mais je vais regarder aussi ! tu m'as tentée !
RépondreSupprimerMais il y a déjà The Big Bang Theory, Walking Dead et Pan Am en cours...
Et sinon tu regardes aussi de bonnes séries de temps en temps ? :-D
RépondreSupprimer(je plaisante, surtout que je n'ai pas vu la reprise de TWD ^^)
RépondreSupprimerJe sais que tu plaisantes ! Tout le monde connait ton avis sur TBBT. Il ne faut pas réfléchir et c'est drôle. Parfois ça suffit.
RépondreSupprimerPan Am, je ne peux pas dire que c'est excellent, mais il y a les hôtesses de l'air, les costumes et Christina Ricci.
Quant à TWD, honte à toi, la reprise était bonne !
Quel est ton top 5 actuel des bonnes séries alors ?
Nouvelles ou tout confondu ?
RépondreSupprimerDisons, relativement nouvelles ?
RépondreSupprimerSur les nouvelles ça va être très difficile de faire un top 5, vu que ce que j'ai vu m'a paru globalement médiocre. Disons un top 2, avec Homeland largement en tête, et Suits (qui est passée cet été).
RépondreSupprimeret sur les 2-3 dernières années alors ?
RépondreSupprimerje m'informe sur Suits.
Bon, disons sur la saison courante (depuis l'été) mon top serait :
RépondreSupprimer1. Homeland
2. Breaking Bad
3. Louie
4. Suits
5. True Blood
Mais bon, pour ce que ça vaut si on considère qu'il n'y a eu que 3 épisodes de Homeland pour l'instant, et que je n'ai pas encore eu le temps d'en voir certaines comme American Horror Story.
(quant à Suits, écoute, il se trouve que ce sera l'article du Golb de demain, donc on va en reparler ^^)
RépondreSupprimermerci !
RépondreSupprimer(j'avais écrit un commentaire plus long mais j'ai oublié de le poster - je n'ai pas envie de le réécrire là)
^^
RépondreSupprimerVu hier soir sur F3 (en VF, bon...) Effectivement une très bonne série. Je ne me prononcerai pas sur le livre (vu il y a trop longtemps), mais je me souviens du film, vraiment quelconque. Cette version est bien mieux, et Kate Winslet est formidable. H.
RépondreSupprimerC'est vrai que la mère ( Mildred Pierce vivait de profonds déchirements personnels, dans sa vie de femme et de femme d'affaire, et était soucieuse de se maintenir et de s'élever au-dessus de la mêlée, elle et ses enfants. Cependant, sa fille Veda, très grande chanteuse, était un véritable monstre, sur le plan humain. Cette femme n'avait de considérations pour personne. La narcissique malade, à vie. Rien à faire avec cela. point final. Les gens comme Veda, sont coulés dans le béton. Le monde tourne autour d'eux. Elle est la fille de sa mère, avec un chaos intime, décuplé, totalement destructeur. Très bonne série. On a adoré et détesté les personnages. C'est donc une grande réussite.
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