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C'est toujours un peu la même histoire. Pour lui comme pour nous. Il arrive un truc à Philippe Jaenada, il le passe dans son formidable mixer burlesque, le plus souvent dans la douleur (du moins est-ce souvent l'impression qu'il donne), et nous, on l'attend fébrilement, on l'achète le plus tôt possible, on le couve un peu du regard - pour finir enfin par l'ouvrir et s'en délecter et se dire que c'est décidément beaucoup trop court.
Avec La Femme & L'Ours, le voici lancé en plein périple picaro-éthylique, flanqué d'un narrateur gentiment paumé qui abandonne femme et enfant l'espace d'un claquement de doigt qui semble une éternité, pour errer de bars en hôtels et de brunette à gros seins en terrifiant stalker. On y croisera également quelques personnages bouleversants (un homonyme du Christ, une vieille attendant son infirmière), un guest de prestige (Jacques Toubon), un musicien de jazz communiquant par le regard, quelques femmes, aucun ours.
C'est toujours un peu la même histoire et donc, comme à chaque fois, on est amusé par cette écriture alerte et nonchalante qui fait de gros efforts pour nous donner l'impression qu'elle n'en fait pas, et que l'auteur n'a pas la moindre idée de ce qu'il raconte (ce qui n'est pas vrai) mais le fait tout de même avec une sacrée virtuosité (ce qui est indiscutable). Après la mort dans le précédent livre, dont il était sorti vainqueur, Jaenada s'attaque avec bonhomie à la crise de la quarantaine, avec son héros obsédé par sa décrépitude physique et morale - on croirait par moment s'être égaré dans un épisode de Louie. Le rapprochement est d'ailleurs tout sauf absurde tant les éclairs de génie comique de Jaenada, comme ceux de Szekely, semblent des phares dans la sinistrose ambiante (celle de leurs œuvres respectives, donc celle de notre monde). Là aussi, le récit prendra le temps de s'arrêter avec une infinie tendresse sur une impressionnante galerie de destins cabossés et d'individus n'attendant plus rien de l'existence, faisant mentir celui qui déclare vers la fin : "Ce qui m'ennuie le plus [...] c'est que je n'aime plus les gens. Beaucoup m'énervent ou me dégoûtent. Autrefois, je me nourrissais d'eux, je leur pardonnais tout, je les aimais, c'était mieux." Or s'il y a bien une qualité que l'on ne puisse dénier à La Femme & L'Ours, c'est sa vibrante humanité, l'attention portée aux personnages secondaires, dessinés avec finesse et sensibilité derrière les tombereaux de vannes (d'ailleurs jamais bien méchantes).
C'est toujours un peu la même histoire et donc, comme à chaque fois, on se dit aussi que tout cela finit un peu en eau de boudin, que la fin est un peu subite et pas forcément très satisfaisante. Mais ce n'est pas grave, car La Femme & L'Ours est sans doute, à ce jour, le plus simple et le plus touchant des livres de son auteur.
"Aujourd'hui (et depuis combien d'années ?), sans que j'aie pensé à m'en rendre compte, je n'attendais plus rien de spécial, les premiers jours de mai. Ni le reste du temps. Et ce n'est pas seulement parce que j'étais marié, père. Ça joue, bien sûr, mais je sais que j'en serais arrivé au même point si je n'avais pas rencontré ma femme : non pas par manque d'envie réel, mais à la suite d'une manigance amicale de mon esprit, qui avait ingénieusement converti la perception de ma décrépitude physique en manque d'envie apparent. [...] J'étais devenu un infirme de la conquête. Ce qui n'a rien d'insupportable ni de déshonorant (j'étais devenu comme un ancien boxeur, consultant pour la télé, qui reste désormais au pied du ring) mais engendre tout de même quelques regrets, augmente la mélancolie."
C'est toujours un peu la même histoire. Pour lui comme pour nous. Il arrive un truc à Philippe Jaenada, il le passe dans son formidable mixer burlesque, le plus souvent dans la douleur (du moins est-ce souvent l'impression qu'il donne), et nous, on l'attend fébrilement, on l'achète le plus tôt possible, on le couve un peu du regard - pour finir enfin par l'ouvrir et s'en délecter et se dire que c'est décidément beaucoup trop court.
Avec La Femme & L'Ours, le voici lancé en plein périple picaro-éthylique, flanqué d'un narrateur gentiment paumé qui abandonne femme et enfant l'espace d'un claquement de doigt qui semble une éternité, pour errer de bars en hôtels et de brunette à gros seins en terrifiant stalker. On y croisera également quelques personnages bouleversants (un homonyme du Christ, une vieille attendant son infirmière), un guest de prestige (Jacques Toubon), un musicien de jazz communiquant par le regard, quelques femmes, aucun ours.
C'est toujours un peu la même histoire et donc, comme à chaque fois, on est amusé par cette écriture alerte et nonchalante qui fait de gros efforts pour nous donner l'impression qu'elle n'en fait pas, et que l'auteur n'a pas la moindre idée de ce qu'il raconte (ce qui n'est pas vrai) mais le fait tout de même avec une sacrée virtuosité (ce qui est indiscutable). Après la mort dans le précédent livre, dont il était sorti vainqueur, Jaenada s'attaque avec bonhomie à la crise de la quarantaine, avec son héros obsédé par sa décrépitude physique et morale - on croirait par moment s'être égaré dans un épisode de Louie. Le rapprochement est d'ailleurs tout sauf absurde tant les éclairs de génie comique de Jaenada, comme ceux de Szekely, semblent des phares dans la sinistrose ambiante (celle de leurs œuvres respectives, donc celle de notre monde). Là aussi, le récit prendra le temps de s'arrêter avec une infinie tendresse sur une impressionnante galerie de destins cabossés et d'individus n'attendant plus rien de l'existence, faisant mentir celui qui déclare vers la fin : "Ce qui m'ennuie le plus [...] c'est que je n'aime plus les gens. Beaucoup m'énervent ou me dégoûtent. Autrefois, je me nourrissais d'eux, je leur pardonnais tout, je les aimais, c'était mieux." Or s'il y a bien une qualité que l'on ne puisse dénier à La Femme & L'Ours, c'est sa vibrante humanité, l'attention portée aux personnages secondaires, dessinés avec finesse et sensibilité derrière les tombereaux de vannes (d'ailleurs jamais bien méchantes).
C'est toujours un peu la même histoire et donc, comme à chaque fois, on se dit aussi que tout cela finit un peu en eau de boudin, que la fin est un peu subite et pas forcément très satisfaisante. Mais ce n'est pas grave, car La Femme & L'Ours est sans doute, à ce jour, le plus simple et le plus touchant des livres de son auteur.
"Aujourd'hui (et depuis combien d'années ?), sans que j'aie pensé à m'en rendre compte, je n'attendais plus rien de spécial, les premiers jours de mai. Ni le reste du temps. Et ce n'est pas seulement parce que j'étais marié, père. Ça joue, bien sûr, mais je sais que j'en serais arrivé au même point si je n'avais pas rencontré ma femme : non pas par manque d'envie réel, mais à la suite d'une manigance amicale de mon esprit, qui avait ingénieusement converti la perception de ma décrépitude physique en manque d'envie apparent. [...] J'étais devenu un infirme de la conquête. Ce qui n'a rien d'insupportable ni de déshonorant (j'étais devenu comme un ancien boxeur, consultant pour la télé, qui reste désormais au pied du ring) mais engendre tout de même quelques regrets, augmente la mélancolie."
👍👍 La Femme et L'Ours
Philippe Jaenada | Grasset, 2011
Tu fais bien de parler de la fin, c'est vrai que les fins de Jaenada sont souvent moyennes mais là c'est vraiment la pire qu'il nous ait faite. Et c'est dommage parce que le livre est très bon par ailleurs.
RépondreSupprimerBon moi je n'ai encore jamais lu Jaenada, je passe juste en touriste pour dire bonjour :-))))
RépondreSupprimerAh, c'est gentil, ça ! Ça va, chez toi ?
RépondreSupprimerJ'ai été un peu déçue, parce que comme tu le dis, c'est toujours un peu fébrilement que l'on attaque le dernier Jaenada, et que j'en attends à chaque fois énormément. Le problème c'est que j'ai l'habitude qu'il me fasse rire aux larmes, et que là, il m'a un peu refroidie (j'ai juste souri...).
RépondreSupprimerC'est le problème, quand tu séduis une femme en la faisant rire : après, t'as intérêt à assurer, même quand t'es pas d'humeur !
J'adore ta conclusion :-)
RépondreSupprimerJe n'aime pas cette notion de fin, je crois, c'est pour ça (et puis aussi, ce que j'essaie de faire – modestement, hein – ce sont des livres qui ressemblent un peu à la vie, or dans la vie, je ne sais pas ce que vous en pensez, mais la fin est rarement sublime, ni même satisfaisante). En tout cas, merci Thomas – et heureusement qu'il y a de jolies filles pour venir me prévenir que vous écrivez des textes sur mes romans, parce que j'aurais pu rester longtemps sans le savoir...
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RépondreSupprimerDe jolie filles ? Je croyais que c'était mon ex qui vous aviez rencontré ? ;-)
RépondreSupprimerAh, le mufle. Et moi qui ai tout fait pour ranimer vivement la flamme entre vous, je comprends mieux ses réticences. (Elle a pris le prétexte d'une hygiène approximative pour expliquer son refus, mais la véritable raison est soudain plus claire.)
RépondreSupprimerMoi la fin ne m'a pas dérangée. Un très bon moment, comme d'habitude.
RépondreSupprimerMonsieur l'Ours >>> allons, je plaisantais grassement (mais n'est-ce pas ce que font parfois les ours ? l'animal n'est pas connu pour sa finesse...) ; j'ai beaucoup apprécié votre effort et je ne peux que déplorer qu'il n'ait pas porté ses fruits, ne fût-ce que parce que cela m'aurait donné un formidable sujet de nouvelle ou de chronique : "Comment Philippe Jaenada a sauvé mon couple". Bien entendu, nous vous aurions demandé d'être le parrain de nos enfants, évidemment, vous n'auriez pas osé refuser, peut-être même aurions-nous poussé le vice jusqu'à vous commander un discours pour le mariage... ah ! Quand j'y pense, quelle occasion manquée !
RépondreSupprimerEsthériot >>> non, rien. Ça fait longtemps qu'on ne t'avait pas croisée ici.
J'ai été attirée par l'odeur du miel...
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