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[Article précédemment paru sur Interlignage] Les Présidentielles approchent, les programmes sont en cours de bouclage, les esprits commencent à s’échauffer… et pourtant, pourtant, certains sujets demeurent discrètement escamotés du débat public, alors qu’ils sont de première importance. Non qu’on demande aux candidats une nouvelle réforme de la réforme de la réforme des retraites. Mais quelques aménagements pourraient s’imposer, dans des domaines hautement sclérosés tel – au hasard – celui de la musique. On sait que l’industrie a du mal à s’en sortir. C’est la crise, le marasme, des patrons de majors ne parviennent plus à payer leurs impôts et des artistes souffrent. La précarisation du statut de rockstar devient de plus en plus inquiétante chaque année, et comme souvent dans ce genre de situation, ce sont les seniors qui morflent le plus. Imaginez le topo : vous avez bien gagné votre vie dans les années 80, vous avez épargné comme vous pouvez (la drogue et les putes demandent, un certain investissement, tout de même), vous avez trimé comme un malade à faire des concerts dans des patelins pas possible, et alors que vous songiez tranquillement à prendre votre retraite, voilà que vous découvrez que vous n’avez plus un rond. Vous blâmez bien sûr le téléchargement ou les jeunes (de toute façon c’est pareil), vous faites un point rapide sur vos annuités, et puis vous finissez par vous rendre à l’évidence : vous allez encore devoir bosser quelques années, et donc tourner, puisque plus personne n’achète vos disques (que vous êtes quand même obligé de faire parce que – système pervers – vous devez quand même sortir un disque pour qu’on vous laisse tourner. Bonjour la pénibilité du travail).
Prenez ce cher vieux Les. On pourrait croire qu’à son âge (48 ans dont dix passés à faire des petits disques solo dans son coin sans faire chier personne), il se destine désormais à finir sa carrière tranquillement, un demi-pied déjà dans la maison de retraite à taper le bœuf avec des plus vieux que lui (comme le sympathique Tom). Eh bien non. Voilà que, la crise aidant, il se retrouve à sillonner de nouveau les routes de province avec son ex-bande d’allumés, Primus. Couinant entre chaque titre qu’il est trop vieux pour ces conneries (et Dieu sait qu’ils en font, chez Primus), il applique cependant la règle à la lettre : le groupe s’ébrouera jusqu’à ce qu’album s’ensuive, et finira par renverser l’ordre qu’il a lui-même établi. Ainsi sur Green Naugahyde Primus, le groupe improbable, inclassable et imprévisible devient-il un groupe reformé très prévisible, publiant un typique album de Primus comme d’autres remplissent un cahier des charges. Lignes de basses épileptiques, textes délirants, ambiance post-pop… tout y passe, tout y est, mais rien n’y fait : quand le délire et la folie sont devenus des figures imposées, leurs noms ne peuvent que prêter à sourire – celui de Primus aussi. C’est après tout le principe de l’exercice : par définition, il survient lorsqu’absolument personne n’a besoin ni envie d’un nouvel album du groupe en question, à part ses membres et son label. Et encore, c’est vite dit.
C’est vite dit parce que dans certains cas, même les membres du groupe ne veulent pas entendre parler du proverbial nouvel-album-de-reformation-qui-tue (l’amour des fans). Chez Pop Will Eat Itself, par exemple, le grand Clint Mansell et le plus discret Richard Marsh ont dit « non merci » au terme d’une poignée de concerts exceptionnels (et exceptionnellement bons, selon les élus qui y assistèrent). Graham Crabb aurait pu comprendre le message, et sans doute l’a-t-il compris, mais que voulez-vous ? Inquiet pour son avenir et celui de ses enfants, il fut contraint et forcé par les circonstances d’enregistrer malgré tout un nouvel album du « groupe ». Lequel n’a du coup jamais aussi bien porté son nom : effectivement, on se mord un peu la queue, et comme du côté de chez Primus, l’inclassable est subitement devenu très facile à classifier. New Noise Designed by a Sadist (le titre est excellent mais que personne ne s’affole, le contenu ne l’est pas) est un disque d’indus-rock carré aux entournures, du genre comme plus personne (enfin à part Clawfinger) n’aurait l’idée saugrenue d’en faire depuis approximativement 1997. On doute très sérieusement qu’il y ait ne serait-ce qu’une seule personne pour saliver à cette écoute, cependant reconnaissons à Crabb de parfois très bien imiter ses ex-camarades, comme sur "Captain Plastic" ou l’inaugural "Back 2 Basics". Il serait même susceptible de séduire temporairement ceux de ses fans dont l’album préféré de la belle époque serait Dos Dedos Mis Amigos (les fans du vrai grand P.W.E.I. de Cure for Sanity ou This Is the Day… ont déjà passé leur chemin. Ils ne sont même sans doute jamais passés par là). Malheureusement dès le second morceau, d’une laideur à faire rosir Sum 41, Crabb rappelle à tout le monde que ce n’est pas un hasard si la plupart des chansons qu’il a composées pour le groupe l’ont été… avant même la sortie du premier album en 1987. En somme, pour pouvoir espérer capitaliser un peu pour ses vieux jours, le gentil Graham a dû reprendre le même petit boulot qu’il faisait lorsqu’il était étudiant. Tout s’explique, et le voici presque pardonné ( "presque" parce que n’exagérons rien, ce n’est pas la crise qui l’a obligé à composer des trucs aussi médiocres que "Nosebleeder Turbo TV").
Ah non, vraiment, cette crise n’en finit plus d’avoir des conséquences dramatiques et imprévisibles. Et bien entendu, plus les seniors sont… des seniors, plus la précarité menace. Ainsi, parvenu aux portes de la soixantaine, Howard D. commence à être très inquiet pour demain. A l’âge où il devrait théoriquement préparer son pot de départ en retraite, voici qu’il prend conscience qu’il vient de passer une trentaine d’années à dépenser sans compter et à multiplier les projets sans se soucier une seconde d’épargner. Le résultat était couru d’avance, tout cela allait finir en reformation de Magazine. Dont acte, avec un nouvel album (rien que l’idée colle par terre) qui démontre que Graham Crabb n’avait pas forcément tort : avec trois membres historiques (Devoto, donc, Dave Formula et le batteur John Doyle), le légendaire groupe mancunien est parvenu à produire un album encore plus innommable que tout ce qu’on aurait pu craindre dans n’importe laquelle des configurations les plus effrayantes. Ce n’est pas compliqué, No Thyself est une espèce d’ode ultime (et glauque) à la désagrégation, ou comment réduire en miette en quelques minutes seulement trente-cinq ans d’une crédibilité amassée avec soin et jamais remise en question. Dernière légende de la fin seventies à avoir réussi à préserver son aura intacte, Devoto se ridiculise ici onze morceaux durant – par moment c’est tellement mauvais que c’en est insoutenable (arriver au bout est un vrai supplice, sans rire). Le grand groupe de Real Life? et The Correct Use of Soap se perd en gimmicks lourdingues, noie ses compositions dans une production absolument laide, lorsque ce ne sont pas les compositions elles-mêmes qui le sont – d’une laideur absolue. On ne saurait dire si "Do the Meaning" est plus ridicule que ringarde, de même que l’on ne saurait affirmer si elle fait plus mal que rire. Si un jeune passe par-là, qu’il sache que ceci n’est pas un album de Magazine. Ce n’est pas même pas Magazine, juste un groupe de vieux clodos qui ont emprunté son nom. Pourtant ironiquement, cette chute terrifiante pourrait être bénéfique. Primus, P.W.E.I., soyons sérieux, tout le monde s’en balance. Magazine, c’est tout de même un nom plus vendeur. La spectaculaire descente aux enfers de ses membres pourrait servir à alerter les pouvoirs publics, jusqu’ici bien silencieux sur le phénomène. Nous guetterons bien sûr les prochaines directives de l’Union Européenne concernant l’emploi des seigneurs seniors de la musique, et vous ferons bien sûr part des nouveaux développement dès qu’il y en aura.
[Article précédemment paru sur Interlignage] Les Présidentielles approchent, les programmes sont en cours de bouclage, les esprits commencent à s’échauffer… et pourtant, pourtant, certains sujets demeurent discrètement escamotés du débat public, alors qu’ils sont de première importance. Non qu’on demande aux candidats une nouvelle réforme de la réforme de la réforme des retraites. Mais quelques aménagements pourraient s’imposer, dans des domaines hautement sclérosés tel – au hasard – celui de la musique. On sait que l’industrie a du mal à s’en sortir. C’est la crise, le marasme, des patrons de majors ne parviennent plus à payer leurs impôts et des artistes souffrent. La précarisation du statut de rockstar devient de plus en plus inquiétante chaque année, et comme souvent dans ce genre de situation, ce sont les seniors qui morflent le plus. Imaginez le topo : vous avez bien gagné votre vie dans les années 80, vous avez épargné comme vous pouvez (la drogue et les putes demandent, un certain investissement, tout de même), vous avez trimé comme un malade à faire des concerts dans des patelins pas possible, et alors que vous songiez tranquillement à prendre votre retraite, voilà que vous découvrez que vous n’avez plus un rond. Vous blâmez bien sûr le téléchargement ou les jeunes (de toute façon c’est pareil), vous faites un point rapide sur vos annuités, et puis vous finissez par vous rendre à l’évidence : vous allez encore devoir bosser quelques années, et donc tourner, puisque plus personne n’achète vos disques (que vous êtes quand même obligé de faire parce que – système pervers – vous devez quand même sortir un disque pour qu’on vous laisse tourner. Bonjour la pénibilité du travail).
Prenez ce cher vieux Les. On pourrait croire qu’à son âge (48 ans dont dix passés à faire des petits disques solo dans son coin sans faire chier personne), il se destine désormais à finir sa carrière tranquillement, un demi-pied déjà dans la maison de retraite à taper le bœuf avec des plus vieux que lui (comme le sympathique Tom). Eh bien non. Voilà que, la crise aidant, il se retrouve à sillonner de nouveau les routes de province avec son ex-bande d’allumés, Primus. Couinant entre chaque titre qu’il est trop vieux pour ces conneries (et Dieu sait qu’ils en font, chez Primus), il applique cependant la règle à la lettre : le groupe s’ébrouera jusqu’à ce qu’album s’ensuive, et finira par renverser l’ordre qu’il a lui-même établi. Ainsi sur Green Naugahyde Primus, le groupe improbable, inclassable et imprévisible devient-il un groupe reformé très prévisible, publiant un typique album de Primus comme d’autres remplissent un cahier des charges. Lignes de basses épileptiques, textes délirants, ambiance post-pop… tout y passe, tout y est, mais rien n’y fait : quand le délire et la folie sont devenus des figures imposées, leurs noms ne peuvent que prêter à sourire – celui de Primus aussi. C’est après tout le principe de l’exercice : par définition, il survient lorsqu’absolument personne n’a besoin ni envie d’un nouvel album du groupe en question, à part ses membres et son label. Et encore, c’est vite dit.
C’est vite dit parce que dans certains cas, même les membres du groupe ne veulent pas entendre parler du proverbial nouvel-album-de-reformation-qui-tue (l’amour des fans). Chez Pop Will Eat Itself, par exemple, le grand Clint Mansell et le plus discret Richard Marsh ont dit « non merci » au terme d’une poignée de concerts exceptionnels (et exceptionnellement bons, selon les élus qui y assistèrent). Graham Crabb aurait pu comprendre le message, et sans doute l’a-t-il compris, mais que voulez-vous ? Inquiet pour son avenir et celui de ses enfants, il fut contraint et forcé par les circonstances d’enregistrer malgré tout un nouvel album du « groupe ». Lequel n’a du coup jamais aussi bien porté son nom : effectivement, on se mord un peu la queue, et comme du côté de chez Primus, l’inclassable est subitement devenu très facile à classifier. New Noise Designed by a Sadist (le titre est excellent mais que personne ne s’affole, le contenu ne l’est pas) est un disque d’indus-rock carré aux entournures, du genre comme plus personne (enfin à part Clawfinger) n’aurait l’idée saugrenue d’en faire depuis approximativement 1997. On doute très sérieusement qu’il y ait ne serait-ce qu’une seule personne pour saliver à cette écoute, cependant reconnaissons à Crabb de parfois très bien imiter ses ex-camarades, comme sur "Captain Plastic" ou l’inaugural "Back 2 Basics". Il serait même susceptible de séduire temporairement ceux de ses fans dont l’album préféré de la belle époque serait Dos Dedos Mis Amigos (les fans du vrai grand P.W.E.I. de Cure for Sanity ou This Is the Day… ont déjà passé leur chemin. Ils ne sont même sans doute jamais passés par là). Malheureusement dès le second morceau, d’une laideur à faire rosir Sum 41, Crabb rappelle à tout le monde que ce n’est pas un hasard si la plupart des chansons qu’il a composées pour le groupe l’ont été… avant même la sortie du premier album en 1987. En somme, pour pouvoir espérer capitaliser un peu pour ses vieux jours, le gentil Graham a dû reprendre le même petit boulot qu’il faisait lorsqu’il était étudiant. Tout s’explique, et le voici presque pardonné ( "presque" parce que n’exagérons rien, ce n’est pas la crise qui l’a obligé à composer des trucs aussi médiocres que "Nosebleeder Turbo TV").
Ah non, vraiment, cette crise n’en finit plus d’avoir des conséquences dramatiques et imprévisibles. Et bien entendu, plus les seniors sont… des seniors, plus la précarité menace. Ainsi, parvenu aux portes de la soixantaine, Howard D. commence à être très inquiet pour demain. A l’âge où il devrait théoriquement préparer son pot de départ en retraite, voici qu’il prend conscience qu’il vient de passer une trentaine d’années à dépenser sans compter et à multiplier les projets sans se soucier une seconde d’épargner. Le résultat était couru d’avance, tout cela allait finir en reformation de Magazine. Dont acte, avec un nouvel album (rien que l’idée colle par terre) qui démontre que Graham Crabb n’avait pas forcément tort : avec trois membres historiques (Devoto, donc, Dave Formula et le batteur John Doyle), le légendaire groupe mancunien est parvenu à produire un album encore plus innommable que tout ce qu’on aurait pu craindre dans n’importe laquelle des configurations les plus effrayantes. Ce n’est pas compliqué, No Thyself est une espèce d’ode ultime (et glauque) à la désagrégation, ou comment réduire en miette en quelques minutes seulement trente-cinq ans d’une crédibilité amassée avec soin et jamais remise en question. Dernière légende de la fin seventies à avoir réussi à préserver son aura intacte, Devoto se ridiculise ici onze morceaux durant – par moment c’est tellement mauvais que c’en est insoutenable (arriver au bout est un vrai supplice, sans rire). Le grand groupe de Real Life? et The Correct Use of Soap se perd en gimmicks lourdingues, noie ses compositions dans une production absolument laide, lorsque ce ne sont pas les compositions elles-mêmes qui le sont – d’une laideur absolue. On ne saurait dire si "Do the Meaning" est plus ridicule que ringarde, de même que l’on ne saurait affirmer si elle fait plus mal que rire. Si un jeune passe par-là, qu’il sache que ceci n’est pas un album de Magazine. Ce n’est pas même pas Magazine, juste un groupe de vieux clodos qui ont emprunté son nom. Pourtant ironiquement, cette chute terrifiante pourrait être bénéfique. Primus, P.W.E.I., soyons sérieux, tout le monde s’en balance. Magazine, c’est tout de même un nom plus vendeur. La spectaculaire descente aux enfers de ses membres pourrait servir à alerter les pouvoirs publics, jusqu’ici bien silencieux sur le phénomène. Nous guetterons bien sûr les prochaines directives de l’Union Européenne concernant l’emploi des seigneurs seniors de la musique, et vous ferons bien sûr part des nouveaux développement dès qu’il y en aura.
✋ Green Naugahyde
Primus | ATO Records, 2011
👎 New Noise Designed by a Sadist
Pop Will Eat Itself | Cooking Vinyl, 2011
👎👎 No Thyself
Magazine | Wire-sound, 2011
Comment ça caaaaaaaaaaaaaaasse là :)
RépondreSupprimerFaut dire, quelle idée aussi d'aller écouter ces albums...
RépondreSupprimerC'est vrai qu'il ne casse pas des briques ce dernier Primus, en pilotage automatique, se permettant même par moment quelques copier-coller :-S
RépondreSupprimerJe n'ai entendu qu'un morceau du Magazine, mais cela m'a suffi. Une aberration, sur le papier, comme sur le disque !
RépondreSupprimerBBB.
Je l'ai pas dit sur Interlignage, mais ton article éveille ma curiosité perverse : maintenant j'ai envie d'écouter le Magazine pour voir à quoi ressemble le champ de ruines :D
RépondreSupprimerEn tout cas cette année, on aura eu une dose fort conséquente d'albums de (plus ou moins) "vieux", Arbobo l'a bien mis en avant dans son dernier bilan d'étape en date. Dans ce que j'ai écouté, il se trouve que le Faust dépasse tout le reste de la tête et des épaules, ma foi.
(j'ai bien dit "dans ce que j'ai écouté", je ne suis pas encore qualifié pour causer des Jayhawks^^)
Lil' >>> mais justement, le principe de ce genre de disque c'est qu'on a beau savoir que ça risque de pas être très frais... on ne peut pas s'empêcher d'aller écouter.
RépondreSupprimerDoc >>> et encore, le Primus est sans doute le plus frais de ce trio infernal !
BBB. >>> quelle idée aussi d'aller... [ah, tu vois Lil', moi aussi](et BBB)
Dahu >>> et encore, Arbobo ne listait pas Metallica/Lou Reed, Lydia Lunch, No One Is Innocent, Jane's Addiction, Noël Gallagher, Liam, J Mascis, Thurston Moore, ni d'ailleurs aucun des trois dont je parle dans cet article (et il n'a pas encore le courage de mettre PJ Harvey en pension d'invalidité... alors qu'elle à peu près le même âge que Ron Sexsmith, Jennifer Charles ou Brett Anderson). La liste est absolument sans fin, cette année, c'est effrayant.
alors, un single en guise de in memoriam:
RépondreSupprimerhttp://youtu.be/XwKv3H9WAkY
quoiqu'on puisse hésiter en terme de choix^^
RépondreSupprimerhttp://youtu.be/40o_Wb2GYfw
Difficile de choisir ^^
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