mardi 22 novembre 2011

It's the Anesthesia, Stoopid!

...
J'avais commencé un très long édito. Un vrai, un beau, à l'ancienne, avec du démontage en règle, de la morgue et même des idées. Et puis je ne sais pas pourquoi, je me suis arrêté net. D'un coup, je n'avais plus envie. Ce genre de chose m'arrive assez régulièrement, et pas que sur des éditos d'ailleurs, mais rarement aussi proche de la conclusion. J'arrive généralement à mettre un dernier coup de pédale. Là, non.

Ce n'était pas relatif au sujet, d'autant que celui-ci me tenait particulièrement à cœur (l'enseignement, pensez donc !). Ce n'était pas non plus une question d'inspiration - j'avais déjà écrit trois pages. Non, c'était quelque chose de plus profond : je n'avais tout simplement pas envie de publier ce genre de texte. De même que bien souvent, sur ce site ou d'autres, lorsqu'une polémique éclate, j'ai de moins en moins souvent envie de réagir. J'écris un brouillon bien senti, et puis au moment de donner le coup de boule fatal, je me dégonfle et allume une cigarette.

J'aimerais y voir la manifestation d'une quelconque sagesse. J'aimerais me dire que je vieillis bien, et que la bagarre m'échauffe tout simplement moins les neurones. Je sais qu'il n'en est rien. Que je suis juste fatigué, comme anesthésié sur toute une kyrielle de sujets - la même qui me faisait grimper aux rideaux il y a peu. Le bon côté des choses, c'est que rien ne me blesse. Le mauvais, c'est que j'en viens à m'ennuyer moi-même, et que cette mollesse me dégoûte un peu.

Y-a-t-il encore une chose en ce monde qui saurait m'arracher autre chose qu'un soupir, las et entendu ? Je me faisais une joie de faire quelques éditos durant cette saison présidentielle, et finalement je m'aperçois que cela ne m'intéresse pas particulièrement. Le contexte, c'est vrai, n'aide pas trop. Quand le vote se limite à choisir entre la rigueur de droite et la rigueur de gauche, difficile de se sentir motivé. J'entends déjà s'élever des voix : non, mais attends, il n'y a pas que cela quand même, il faut aussi prendre en compte... Mais... si : au bout du compte, il n'y a que cela. La rigueur - comment ? Avec qui ? Combien de temps ? Dans quelle proportions ? On notera au passage l'absence de la question pourquoi ?, égarée en route. La rigueur est nécessaire, indispensable, ce n'est pas discutable et ce ne sera pas discuté.

Je ne suis certes pas aidé sur ce genre de sujet car, comme tout un chacun, je n'y connais pas grand-chose. Parlez-moi d'art, d'enseignement, de droit, de métaphysique, de rhétorique, de société, de la nature humaine... là, j'aurai sans doute des choses à dire. L'économie, comme pour une écrasante majorité de la population, ne fait en revanche pas partie de mes sujets de prédilection. Je ne suis pas le seul. C'est bien parce que trop peu de gens, y compris parmi les plus hautes autorités, sont pointues sur le sujet que les marchés, les agences de notation, ces entités abstraites, impalpables, peuvent régner sur un monde qui, inexorablement, nous échappe. Et comme ceux qui savent pensent tous peu ou prou la même chose...


C'est un sentiment étrange, de se dire que notre destin ne nous appartient plus. C'est troublant et c'est violent, d'en arriver à se dire que quoique l'on dise ou fasse, notre influence est proche du néant. Récemment, mon collègue, mon ami GT montait au créneau, s'insurgeant que l'on interroge si peu le peuple sur les questions importantes. Mais GT... qu'aurions-nous à dire de si intéressant ? Que saurions nous faire qui soit susceptible de changer quoi que ce soit ? Rien. Cette crise a ceci de terrible qu'il n'y a personne que l'on ne sache/puisse identifier comme "le méchant". On ne peut décemment pas supposer, sauf à tomber dans la bêtise partisane la plus crasse, que Sarkozy cherche sincèrement à ruiner le pays. Cette crise est fascinante et horrifiante à la fois, parce qu'elle met au grand jour ce que l'on a su feindre d'ignorer durant des décennies : que personne n'y comprend rien et que personne n'y peut rien changer. C'est une apocalypse sans bruit et sans explosion, sans catastrophe naturelle et sans immolation par le feu. C'est un monde qui se consume lentement et en silence, et que l'on regarde se consumer comme si cela n'avait aucune importance - et peut-être dans le fond cela n'en a-t-il aucune. Le bon côté des choses, quand on est pauvre, c'est qu'on l'est déjà. Je vis déjà dans la débrouille, je jongle déjà avec les découverts, j'ai renoncé depuis longtemps à la propriété et compris ce qu'était la précarité. Si le pays achève de s'effondrer, je continuerai à me débrouiller, à ne compter que sur moi-même, à jongler avec les découverts. J'ai renoncé au mieux depuis longtemps. C'est une erreur de croire et de laisser dire que dans l'avenir, ce sera tellement plus dur pour les pauvres comme moi. Ce ne sera jamais aussi dur que pour les moins pauvres, les plus aisés. Eux verront vraiment la différence. On a plus de regret lorsque l'on sait ce qu'on perd - et encore un peu plus lorsque l'on a quelque chose à perdre. Je suis de ces gens, innombrables, majoritaires, sur l'existence desquels l'économie et la politique n'ont plus depuis longtemps qu'un impact marginal. Des gens pour qui la crise n'est jamais que la normalité - et n'entends-je d'ailleurs pas dire que C'EST LA CRISE depuis ma plus tendre enfance ? Cela ne signifie pas ne plus y croire, ne plus s'y intéresser. Cela signifie juste la torpeur. L’anesthésie, au sens le plus littéral du terme : on sent moins la douleur.

29 commentaires:

  1. Bien. Encore un édito gai comme une exécution capitale.

    Heureusement que vous écrivez d'autres articles à côté, on pourrait sinon vous croire dépressif. Encore ! :-)

    Amitiés,

    BBB.

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  2. il reste la musique, quand meme (et pour toi, la littérature j'imagine).
    des choses sur lesquelles la crise n'a pas d'emprise...

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  3. @BBB. : pour les chroniques ça dépend. On peut pas dire qu'on rigole beaucoup quand Tommy nous parle de Louie ou du dernier Jaenada!! :D

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  4. Bon bein, je retourne écouter un peu d'ambient / post-rock lent et glauque moi...

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  5. Moi je trouve cet article très beau et plein d'émotion retenue. N'écoute pas les râleurs :()

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  6. C'est marrant, on a beau ne pas avoir ni la même vie ni le même âge, je me retrouve vraiment dans ce que tu dis au début (3e paragraphe surtout). Beaucoup de blogueurs font part de leur désintérêt croissant à donner leur avis - j'en fais partie - mais c'est également présent en général. Ca me rappelle l'an dernier où, lancé par une énergie rare (du désespoir peut-être ^^), j'avais commencé à écrire un discours pour une des AG de la fac. Et puis, l'AG venue, j'ai laissé tomber, parce que j'avais le sentiment que ça ne servait à rien, je n'avais plus envie de m'emporter. J'ai laissé tombé la rédaction d'une dizaine d'articles depuis la rentrée.

    Assez d'accord avec la fin de ton article aussi, cette crise perpétuelle est démoralisante, et en même temps pas très importante pour le cours de nos vies.

    Dois-je préciser à quel point le titre est bien trouvé ?

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  7. Eviedemment d'accord avec ce que dit Joris au début. On retrouve encore plus ici ta capacité à faire dans l'universalité, je finis même par me demander si c'est ce que tu ressens vraiment ou bien si c'est un exercice genre "je capte le moral des gens." 'spèce d'éponge :)

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  8. Ah et sinon la limite de ton raisonnement quand même, c'est que tu arrives malgré ta "molesse" et ton sentiment d'indifférence à écrit de formidables articles. Et celui que tu le veuilles ou pas est de plein de vie(vacité)! ;)

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  9. Lil' : vous avez raison. Le Golb, "blog sponsorisé par Lexomil", ce serait un bon nouveau slogan.

    ;-)

    Leïa : ce n'est pas "râler". Personne ne nie que la prose de Thomas est, toujours, aussi puissante et inspirée.

    BBB.

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  10. Thom a écrit : "Et comme ceux qui savent pensent tous peu ou prou la même chose..."...
    > note que ca vaut la peine de jeter un oeil ici et de laisser traîner une oreille ici : "Goldman Sachs - Les nouveaux (?) maîtres du monde" (doc de 48 mn - Canal +):
    http://www.dailymotion.com/video/xmbcl5_goldman-sachs-les-nouveaux-maitres-du-monde-canal_news#from=embed

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  11. Je réfléchis depuis hier à mon commentaire.
    Ton article m'inspire deux choses:
    D'abord: quel dommage de ne pas avoir lu ton article sur l'enseignement...
    Ensuite, je ne peux que constater la propension générale à la lassitude (la mienne également...):
    Lassitude de la politique (à quoi ça sert de se révolter quand rien ne change jamais...), lassitude des informations (je lisais le monde tous les jours... mais franchement même quand un article retient mon attention je ne m'en souviens plus le lendemain), lassitude culturelle (les films sont trop courts et donc moins intéressants que les séries, les séries commencent à manquer d'originalité.... les livres... trop usée par ma vie professionnelle je n'ai plus aucune énergie pour l'effort long qu'ils requièrent) lassitude des commentaires de blog, lassitude des forums faute de participants....
    Alors pourquoi?
    société de consommation, zapping, dureté de la vie professionnelle.... et surtout: AUCUNE PERSPECTIVE D'AVENIR! comme tu le dis si bien dans ton article, pas une seule étincelle d'espérance, de foi dans quelque chose qui va nous porter plus haut. La seule chose qui se profile à l'horizon c'est toujours plus de difficultés. Quand je pense à mes enfants je suis horrifiée...
    Thomas ton blog est le seul que je lise assidûment, tous les jours. Alors même si les commentaires sont moins nombreux qu'avant... keep the faith!


    Et j'attends ton article sur l'enseignement!

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  12. Bravo Thomas, un bien bel édito. Malgré la sinistrose ambiante et visiblement partagée par tout tes lecteurs (moi inclus), tu conserves ton immense talent d'écriture. C'est déjà ça que "les marchés" n'auront pas.
    Je ne te lis pas depuis longtemps mais j'ai fait beaucoup de rattrapage sur tes éditos, et l'évolution dans le ton me fait un peu penser au différents stades psychologiques par lesquels un malade doit passer. La stupeur, le refus, la colère, et la dépression. Et ce qui m' effraie un peu c'est que le dernier stade est l'acceptation.

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  13. Post-scriptum (l'abreviation m'enquiquine): Bravo aussi au dessinateur, j'ai trouvé ça très drôle.

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  14. "La stupeur, le refus, la colère, et la dépression. Et ce qui m' effraie un peu c'est que le dernier stade est l'acceptation. "
    Ca ressemble beaucoup aux étapes d'un deuil réussit. Je lisait il y a quelques temps une chronique résumant une étude psychologique le Deuil. les cinq étapes étaient : le déni, la colère, le marchandage, la dépression, l'acceptation. On dirait qu'ici on arrive bien à la fin du processus. Le deuil en question semble être celui d'un petit pouvoir politique du simple citoyen. Je suis plutôt d'accord, il est mort. Je ne suis pas d'accord avec l'affirmation qu'il n'y a rien a comprendre à cet état des lieu. Je commence à comprendre des choses je crois, je crois savoir que les choses pourrait être très différentes, du coup, je reviens au stade colère, et c'est moins agréable, mais c'est assez passionnant :) Mince, si l'économie et la politique sont des mystères aussi insondables que la vie et la mort, pourquoi pas la mécanique des fluides, le marketing, la natation, et ma machine à café tant qu'on y est ! Mais bon, je comprends qu'il y ai de quoi désespérer .. puis accepter.

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  15. Oui enfin les "étape du deuil", c'est plus un slogan marketing qu'une vraie théorie validée scientifiquement quand même...

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  16. Kath >>> c'est vraiment gentil (ta conclusion, le reste n'est pas très joyeux). Pour la peine, ça te tente qu'on partage un demi-prozac un de ces soirs ? ;-)

    Dany >>> ah oui, tu vois ça, vraiment ? C'est intéressant. Ca t'ennuierait de me dire à peu près où tu situe les étapes dans les éditos ? (désolé, c'est pas un truc qui se fait en trois secondes... mais bon, après tout tu tends la joue ^^)

    Matthieu >>> attention, je n'ai pas dit qu'il n'y avait rien à y comprendre, mais bien que c'était plus compliqué de comprendre, la nuance est importante.

    Serious >>> certes.

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  17. Euh je pourrais essayer, mais c'était plus un ressenti général sur la quinzaine d'éditos que j'ai siroter, une nuit d'insomnie. (Et puis j'ai dit "un peu penser", me permettant de me couvrir si l'analogie te paraissais un peu trop fantaisiste.)

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  18. Non non, l'analogie ne me semble pas si fantaisiste mais je ne suis pas sûr de saisir : stupeur/refus/acceptation ok, mais de quoi au juste ?

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  19. Ben en gros, du monde horrible dans lequel on vit ces dernier temps

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  20. hihih ben c'est non pour le prozac... par contre un café à lyon ou à Paris, pas de problème!!!
    :-)

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  21. Dany >>> ah carrément ? J'ai l'air aussi naïf que ça, dans les vieux éditos ? :-D

    Kath >>> eh bien écoute... vendu !

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  22. Y en a certains qui sont écoeurant de facilité pour la drague.... et encore, ils osent etre déprimés....

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  23. Tu peux toujours te rassurer en notant qu'elle n'a pas répondu à cette avance éhontée ^^

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  24. j'me permettrais pas en public...

    héhé!

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  25. Aaaaah !

    Bon eh bien, j'attends ton coup de fil, alors !

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  26. Un édito qui capte certainement très bien l'air du temps. Ce qui est assez intéressant en ce moment (intéressant n'est peut-être pas le mot), c'est également de voir comment le mouvement des indignés piétine en France. Comme si cette hébétude, cette anesthésie passait dans tous les corps de la société.
    Les pauvres n'ont rien à perdre mais certainement pas grand chose à gagner. Les classes moyennes ont peur de perdre le peu qu'ils ont, et se limitent donc à la préservation. et les riches se gavent, et sentent le vent du boulet très loin d'eux.

    Du coup, paresse globale (intellectuelle, artistique, ...), et comme souvent dans les cas de tension extrême, le divertissement l'emporte (et le succès actuel d'Intolérables en est un symptôme évident.). 2012 risque malheureusement de ne pas changer grand chose, l'horizon est assez bouché !

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  27. Intouchables, le film dont l'affiche montre Cluzet et Sy qui rient ? (ils sont bien les seuls dans tout le pays :-/) La première fois que je l'ai vue je me suis demandé ce que c'était. "Intouchables" aurait fait un super titre de biopic du gouvernement Sarkozy, c'est con quand même ^^

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  28. Ouais, mettre le bon nom de film dans ta réponse est assez malin et gentleman(le lapsus doit couver quelque chose, il faudrait peut-être que je consulte ;-)

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  29. Si ça peut te remonter le moral, c'est un hasard, j'ai lu "intouchables" en lisant ton com et n'ai même pas vu l'erreur ^^

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