mardi 15 novembre 2011

Jacques Duvall - Désespoir : Mode d'emploi

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[A l'occasion de son passage ce soir à Paris du concert qu'il ne donnera pas ce soir à Paris 0, réédition de ce Meeting... réalisé en avril dernier sur Interlignage] Il arrive que l’on se fasse une montagne de pas grand-chose, et des gens – c’est évidemment encore plus vrai des artistes – une image on ne peut plus erronée. Peut-être parce que je n’ai réellement commencé à m’intéresser à ce qu’il faisait qu’à partir du Cowboy et la Call-girl, album de pop rugueuse hantée par le blues, j’imaginais en allant rencontrer Jacques Duvall tomber sur un type un peu bourru, façon cowboy solitaire revenu de tout, du genre qui en impose et face à qui l’on rougit d’avance à l’idée de questions que l’on devine banales. Je n’aurais pu tomber plus à côté de la plaque : tranquillement attablé dans un café, je trouve un type on ne peut plus charmant, riant beaucoup, dont le regard doux et mélancolique le place assurément plus proche du clown triste de la pochette de son petit dernier que de l’interprète du crépusculaire "Marianne Renoir". Le cowboy solitaire ne porte pas de chapeau et en plus, il n’est pas même venu seul. Tout fout le camp.

Duvall, c’est une drôle de carrière, sans doute l’une des plus bizarres qu’ait généré une scène francophone il est vrai plus prompte à produire des artistes cultes et/ou maudits que des rockstars. Plus de trente ans au service de la pop, des tubes (plein) et des bides (au moins autant), le plus souvent dans l’ombre des autres (la minceur de sa discographie personnelle – cinq albums en vingt-sept ans – est inversement proportionnelle au nombre de chansons – incalculable – qu’il a écrites). Une carrière faite de rencontres (avec ses pairs) et de disparitions (la sienne avant tout, durant quinze ans). Une carrière qui ressemble beaucoup à une vie, quoi. Avec ses silences comme ses amitiés plus ou moins indéfectibles. Jay Alanski, tout d’abord (« J’ai commencé la musique avec lui à la fin des années soixante-dix. Il avait un groupe qui s’appelait les Beautiful Losers, et on a s’est mis à écrire ensemble des chansons en français. C’était avant Téléphone, ça ne se faisait pas du tout à l’époque quand tu voulais faire du rock »), puis Marie-France. Et puis « une gamine de 14 ans, qui s’appelait Wanda de Vasconcelos, et qui devenue Lio ». Une amie de trente ans, comme dirait l’autre, dont Jacques écrira, de Banana Split en 79 à Phantom featuring Lio il y a deux ans, l’écrasante majorité des textes.


On le sait, le succès sera fulgurant, ce dès le premier single. Mis en orbite, Jacques écrira par la suite pour Chamfort (dont il sera en quelque sorte le « parolier fétiche » 1, notamment sur le superbe Secrets glacés), Daho ou Birkin (mais quel article précisa à l’époque que "Les Clés du Paradis", composé par le susnommé Chamfort, était un texte signé Duvall ?…). Jusqu’à la rencontre avec Miam Monster Miam, qui le sortira de sa retraite au milieu des années 2000. Pas à coup de pied au cul quand même. Pas loin. « C’est un des rares belges francophone à aimer – comme moi – la country-music… il voulait faire à cette époque-là un album avec des classiques du genre adaptés en français. On s’est donc rencontré deux trois fois, jusqu’au jour où il est entré en studio avec le groupe Phantom et a enregistré neuf morceaux en une répète ; il me les a envoyés et m’a dit : Voilà, j’ai ces compos, il me faut des textes et un chanteur. Et on a pensé à toi. Evidemment m’a première réaction a été de dire Va te faire foutre (rires) Hélas ! J’ai commis l’erreur fatale d’écouter le premier morceau… et là c’était trop tard, j’avais mis le doigt dans l’engrenage. J’en suis sorti en me disant : Bon, de toute façon qu’est-ce je perds à aller le voir avec les neufs derniers textes que j’ai faits et que neuf chanteurs de variétés enfoirés m’ont refusé ? Et donc j’ai débarqué à Liège avec mes neufs textes, on s’est rendu compte qu’ils rentraient comme par magie… et on a enregistré Hantises en une journée. »


Avant ça, Duvall n’était pourtant pas tout à fait puceau du micro. Il y a eu un premier album, Comme la romaine 2, au milieu des années 80. Une carrière eighties météoritique dont on n’ira pas jusqu’à dire que Jacques la renie, mais dont ce qu’il dit ne donne pas plus que ça envie de s’y attarder. « De toute façon je préférais de loin écrire pour les autres. Je me marrais pas des masses, en fait. Ramasser un guitariste par-ci, un bassiste par-là… c’était pas mon truc, moi c’est surtout l’écriture qui m’intéresse. Jusqu’à ce que je commence à jouer avec Phantom – un vrai groupe de vrais amis – je m’étais jamais vraiment éclaté sur une scène. Ça me faisait même plutôt chier. » En somme, voici ce qu’on appelle une rencontre déterminante. « C’est le grand tournant », sourit Jacques. Avec Miam et sa nouvelle implication dans la famille Freaksville, celui qui avait « un tronc d’arbre dans la main » se retrouve embarqué dans un engrenage infernal, non seulement chanteur mais désormais plus productif que jamais (quatre albums à lui plus deux en tant que parolier – pour Lio et Marie-France – en cinq ans, sans compter les contributions ponctuelles et les innombrables projets freaksvillois). L’ironie du sort étant qu’à ce jour, le fameux album de country de Duvall reste encore à faire. « C’est vrai que finalement on a tout joué, sauf de la country ! Mais je pense qu’un jour je le ferai. »

Cela n’empêche que cette musique persiste à hanter les chansons de Jacques, sur son nouvel Expert en désespoir comme sur les précédents. Sur l’excellente pochette réalisée par son frère, il pose d’ailleurs en cowboy droopyesque. Peu importe dès lors que le disque en lui-même n’ait pas grand-chose à voir avec le Texas ou le Far West : ils sont là, partout, en filligranes, jusque dans cette "Chanson la plus triste du monde", qui se trouve aussi être la plus drôle : « Je m’étais dit : je vais essayer d’écrire la chanson la plus triste du monde [...] / Plus triste que n’importe quelle chanson de Townes Van Zandt / Un cowboy texan qui n’a écrit que des chansons tristes / Plus triste que Je me suis souvent demandé de Bobbejaan Schoepen / Un chanteur belge qui portait un chapeau de cowboy comme Townes Van Zandt / Tiens, peut-être que les chapeaux de cowboy ça donne le bourdon / Faudrait se pencher sur la question. » Si l’album a de quoi surprendre ceux qui avaient adoré Hantises et Le Cowboy et la Call-girl, l’obsession est bien là, entre un "Insecte" bluesy comme pas permis et un "Je l’emporterai au Paradis" qui semble évadé qu’un quelconque bouge mexicano. « Ah mais je suis vraiment fan de country, ce qui est finalement assez rare dans la francohophonie. Parce que contrairement à ce que les gens croient les chansons de country sont beaucoup plus évoluées que l’image du vieux redneck attardé et raciste… Alors bien sûr dans la campagne américaine t’as quand même pas mal de bons vieux beaufs, mais ça reste le blues de l’homme blanc, vraiment. Ce que j’aime dans la country c’est la simplicité. C’est des chansons simples, t’as ta guitare, tu racontes un peu la vie… » De là à être fasciné par l’esthétique, il n’y a qu’un pas qu’il franchit allègrement… et bien évidemment le sourire aux lèvres : « J’ai toujours aimé les chansons tristes, j’ai toujours aimé la bédé belge – donc Lucky Luke – et… j’avoue que j’ai toujours eu un petit faible pour… les gens ridicules, quoi. » Il rit franchement. « De ce point de vue le chapeau de cowboy c’est radical : quand t’en mets un sur la tête t’as quand même bien l’air d’un con, et je reconnais que ça ne me déplait pas. Donc j’en ai une collection… et encore, sur la pochette 3 on a fait dans la sobriété parce que les miens sont plutôt rouges ou roses… »


Reste que l’album, franchement pop, s’amuse à prendre ladite esthétique à contrepied, après deux opus nettement plus roots, entre rugosité et rétro sixties. Duvall ne fait pas grand mystère de ce qu’il s’agit moins de son fait que de celui de son imprévisible binôme, l’inénarrable Miam Monster Miam, qui « fait ce qu’il veut ». « Il me connaît, il sait ce que j’aime. Là il a commencé à faire des petits trucs de son côté… c’est un grand fan de rock des années 80, Cure, Joy Division, Smiths – ce qui n’est pas du tout ma came parce que c’est à cette époque j’ai arrêté le rock pour ne plus écouter que des vieux trucs de blues et de bluegrass. Et je me suis tiens, qu’est-ce que ça donnerait avec mes textes en français, avec ma voix de mec qui sait pas chanter ?… il y avait quand même des chances pour que ça ne ressemble pas du tout à du Joy Division. Donc il s’est amusé, et moi je me suis contenté de rebondir dessus. » Le truc, cher Jacques, c’est qu’on est quand même à des années lumières des Smiths, non ? « C’est ça qui est étonnant si tu veux, parce que moi au départ j’avais justement peur que ce soit un peu trop rétro. C’était quand même assez ciblé rock anglais des années 80, et si t’écoutes "Comme par désenchantement" sans les voix 4 tu te rends compte que c’est quasiment du Joy Division. Alors que quand tu mets les voix dessus, effectivement ça pourrait être de la variété française d’aujourd’hui, du Daniel Darc, par exemple. » On pense effectivement par éclats (au hasard : "La Grève des éboueurs") à l’auteur de Ninjinski, et de manière générale à une certaine pop francophone des années 80/90, brillamment classe ("Désespère", "Trop tard") aussi souvent qu’un peu peu kitsch (ce "Chagrin de beauté", tout de même…), une famille ayant basculé brutalement (et inexplicablement) du mainstream à l’underground, dans laquelle le précieux collaborateur de Lio ou de Chamfort s’inscrirait presque naturellement. A l’évidence, Jacques s’éclate ici avec des textes dont certains comptent parmi les sommets de sa longue carrière de parolier ("La Grève des éboueurs" et "La Chanson la plus triste du monde" sont de petits chefs-d’œuvre d’humour noir), croone avec désinvolture et même… chante, oui. Jacques Duvall chante pour de vrai à plusieurs reprises (pour vous dire, à la rédac’ on a tous cru que l’album était un fake). Ce qui de toute évidence le fait bien marrer. « C’est de loin le plus mélodique de tous les disques que j’ai faits. Parce qu’en général Miam tient compte de mes limites : bon, ne l’accablons avec une mélodie qui monte un petit peu et qui descend un petit peu… (rire général) Bref, c’est un disque moins laidback, moins… swampy »


Surtout, c’est un disque incroyablement riche en terme d’ambiances et d’humeurs, a contrario de ce que peut laisser imaginer son titre (il est vrai largement relativisé, au moment de son acquisition, par l’artwork). Comme d’habitude, mais encore peu mieux que d’habitude, Duvall s’y illustre par sa virtuosité en matière de tristesse hilarante, de jovialité désolée et d’espoir désespéré. On ne va pas ressortir la vielle antienne de l’humour qui est la politesse du désespoir, pauvre rengaine tellement clichesque que plus personne ne sait qui l’a énoncée le premier. Il n’empêche, dans le genre héros torturé masquant ses névroses derrières trois couches de sarcasmes, le Jacques se pose là. « Je suis effectivement un vrai dépressif et c’est vrai, je me suis rendu compte que les gens les plus drôles autour de moi sont les bouffeurs de Prozac. Il y a une émission assez célèbre en Belgique, Le Jeu des dictionnaires… c’est un peu Les Grosses Têtes en plus jeunes… et donc la première fois que j’ai été faire cette émission, je me suis rendu compte qu’avant de monter sur scène les mecs avaient tous leur petite pilule magique. Enfin je pense que c’est relativement connu que de Funès et les autres étaient des types sinistres… mais hé, attends, tu rigoles… » Et Jacques de sortir de sa poche une petite boîte métallique qu’il se met à secouer devant l’enregistreur. Ses propres pilules, bien sûr, car un bon expert en désespoir ne sort évidemment jamais sans ses outils. « Voici le son de l’amusement ! »

L’occasion est trop belle de demander quelques bons conseils à un spécialiste du genre : quelles recommandations peut-il fournir à un jeune – mettons qu’il vienne d’expérimenter son premier chagrin d’amour – qui se destinerait à une carrière d’expert en désespoir ? Quels sont les tuyaux, les filières, les pièges à éviter et les livres à lire absolument sur le sujet ? Pour changer, pour conclure, Jacques se marre : « Je le rassure immédiatement : reste toi-même et tu finiras irrémédiablement expert en désespoir, je te le garantis. Tous les chemins mènent à Rome et on finira tous comme ça. Mais ce qui est bien c’est qu’on en sort, aussi. Enfin pas tous, il y en a qui n’en sortent jamais (sourire) Townes Van Zandt lui n’en est jamais sorti. »


En concert ce soir à Paris, aux Trois Baudets (bah non, en fait)

👍 Expert en désespoir 
Jacques Duvall | Freaksville, 2011


(0) Excusé, le cowboy sera remplacé au pied quasiment levé par ses compagnons de route Miam Monster Miam et Marie-France, qui interprèterons son répertoire, ce soir, aux Trois Baudets.
(1) Oui, l’expression fait sourire, c’est pourquoi je l’ai chourée à wikipedia.
(2) (Ré)édité en France en 1989 sous une forme différente et alors intitulé Je déçois Ma profession de foi », rigole Jacques).
(3) « Ce qui est marrant c’est qu’au départ c’était pas du tout prévu pour être une pochette, c’est juste mon frère qui m’a dit : J’ai pas de photo de toi avec un costard. Ma fiancée a ajouté J’ai pas de photo de toi avec un chapeau, j’ai mis tout ça… et donc ce qu’il y a derrière ce n’est pas du tout un superbe fond rouge de studio, c’est juste le mur de ma cuisine. Par manque de moyens on a fait fabriquer la pochette en Hongrie et ces salopards de Hongrois ont transformé mon rouge vif en cet espèce de brun pisseux (rires) »
(4) La sienne et celle de Coralie Clément.

9 commentaires:

  1. Ah mince, dommage qu'il ne vienne pas je pensais à faire l'effort de monter sur Paris pour l'occasion...

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  2. Très sympa cet entretien.

    Duvall a écrit - pour moi - quelques unes des meilleures chansons francophones qui soient. Chaque nouvelle contribution est un bonheur d'écriture.

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  3. - et s'il veut venir dans les endroits les plus reculés de France, qu'il n'hésite pas ! -

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  4. Lil' >>> en attendant on n'a pas vu, hier soir...

    Florian >>> toi non plus mais tu es excusé ^^

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  5. il y a qq semaines il etait de passage dans une des médiathèques de Bruxelles où il a livré qq-unes de ses influences (parfois inattendues) à découvrir (et écouter) ici :
    http://www.lamediatheque.be/dec/portraits/duvall/index.php?reset=1&secured=

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  6. et si vous êtes patients, vous réussirez à ouvrir ce lien ou l'on peut entendre tout l'entretien qu'il a accordé ce jour-là (plein d'anecdotes croquignolesques sur ses rencontres ;))!

    http://forum.radiocampusbruxelles.org/Nath/Duvall_JANE.mp3

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  7. Ah, merci, tu es plein de bons tuyaux belges ^^

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  8. Lien à copier coller :

    http://lachanteusemariefrance.fr.gd/MARIE-FRANCE-et-BENJAMIN-SCHOOS--k1-MIAM-MONSTER-MIAM-k2-,-avec-LES-EXPERTS-EN-DESESPOIR,-interpretent-les-chansons-de-JACQUES-DUVALL-le-15-novembre-2011-aux-TROIS-BAUDETS--k1-Paris-k2---d--compte-rendu-.-.htm

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