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Selon la côte d'amour qu'on lui porte, il y a clairement deux manières d'aborder The Boatman's Call, dixième opus de Nick Cave & The Bad Seeds- souvent considéré comme leur meilleur (comme tous ceux des années quatre-vingt dix, quoi).
On peut évidemment se fier à l'histoire officielle, et voir dans ce disque un grand chef-d’œuvre intemporel dans lequel le songwriter se met enfin à nu, se réinventant en chantre du minimalisme harmonique et redonnant ses lettres de noblesse au difficile exercice du crooning.
On peut également se fier à ce qu'en pensent beaucoup de fans, à savoir que leur idole, en pleine crise de la quarantaine et voguant de rupture en rupture, se sera subitement mise à roucouler des cuculteries derrière un piano, tournant le dos au public afin d'avoir moins l'air couillon.
Comme souvent, la réalité de l'album se situe très exactement entre ces deux positions en apparence inconciliables. Chacune énonce d'ailleurs son lot de vérités et d'approximations. "Crise de la quarantaine", ça ne fait pas grand doute. "Minimalisme", cela relève surtout de l'impression (l'album - co-produit par Flood, mec bien connu pour son sens de l'épure - est richement arrangé et n'a pas grand-chose de roots). "Cuculteries", cela varie énormément selon les morceaux (étant entendu que 'People Ain't No Good' est un truc indéfendable), mais ç'a le mérite de soulever le point crucial de cette petite affaire : dans le fond, la révolution intime amorcée par The Boatman's Call est plus thématique que musicale. Imaginer Nick Cave se mettant subitement à abandonner ses habits de storyteller, à écrire à la première personne (symboliquement, le premier mot qu'il prononcera sur cet ouvrage sera "I") des chansons aux destinataires transparent(e)s... voilà bien quelque chose que l'on n'aurait jusqu'ici jamais cru voir/entendre un jour. Ce qui nous ramène à l'improbable 'People Ain't No Good' ("I think that's well understood/You can see it everywhere you look"), à tout le moins sous la plume de l'auteur de 'The Mercy Seat' ou de 'Sad Waters'. On notera d'ailleurs que les mots seuls ne sont pas en cause : le refrain est au diapason, soit donc geignard et niaiseux à souhaits.
Le paradoxe c'est que sur le même disque et dès le premier morceau, Cave a signé l'une des belles chansons du monde (texte comme musique), 'Into My Arms', de celles qui réussissent à conjuguer l'intensité et la pudeur, l'émotion et la réserve... la pureté et la sophistication. Le ton est donné et dans ses meilleurs passages ('Lime Tree Arbour', 'Brompton Oratory') The Boatman's Call tiendra cette ligne, extrêmement compacte ou monotone selon l'humeur du récepteur. Si le rapprochement avec No More Shall We Part, magnifique opus suivant, est inévitable, celui-ci a un côté tourmenté, explosif, luxuriant que ne recherche jamais The Boatman's Call, œuvre plus intimiste à défaut d'être plus intime. Le genre d'album qui ne s'apprécie réellement qu'en l'écoutant d'une traite, même si, précisément, on a rarement envie de l'écouter de la sorte. Cela n'enlève bien sûr rien à la beauté farouche d'un 'There Is a Kingdom', ni à celle, plus légère et romantique, d'un '(Are You) the One I've Been Waiting for?'. Mais c'est une raison suffisante pour que l'on ait, malgré tout, quelques difficultés à placer cet album au même niveau qu'un No More Shall We Part ou un Murder Ballads.
👍👍👍 The Boatman's Call,
Nick Cave & The Bad Seeds | Mute, 1997
Selon la côte d'amour qu'on lui porte, il y a clairement deux manières d'aborder The Boatman's Call, dixième opus de Nick Cave & The Bad Seeds- souvent considéré comme leur meilleur (comme tous ceux des années quatre-vingt dix, quoi).
On peut évidemment se fier à l'histoire officielle, et voir dans ce disque un grand chef-d’œuvre intemporel dans lequel le songwriter se met enfin à nu, se réinventant en chantre du minimalisme harmonique et redonnant ses lettres de noblesse au difficile exercice du crooning.
On peut également se fier à ce qu'en pensent beaucoup de fans, à savoir que leur idole, en pleine crise de la quarantaine et voguant de rupture en rupture, se sera subitement mise à roucouler des cuculteries derrière un piano, tournant le dos au public afin d'avoir moins l'air couillon.
Comme souvent, la réalité de l'album se situe très exactement entre ces deux positions en apparence inconciliables. Chacune énonce d'ailleurs son lot de vérités et d'approximations. "Crise de la quarantaine", ça ne fait pas grand doute. "Minimalisme", cela relève surtout de l'impression (l'album - co-produit par Flood, mec bien connu pour son sens de l'épure - est richement arrangé et n'a pas grand-chose de roots). "Cuculteries", cela varie énormément selon les morceaux (étant entendu que 'People Ain't No Good' est un truc indéfendable), mais ç'a le mérite de soulever le point crucial de cette petite affaire : dans le fond, la révolution intime amorcée par The Boatman's Call est plus thématique que musicale. Imaginer Nick Cave se mettant subitement à abandonner ses habits de storyteller, à écrire à la première personne (symboliquement, le premier mot qu'il prononcera sur cet ouvrage sera "I") des chansons aux destinataires transparent(e)s... voilà bien quelque chose que l'on n'aurait jusqu'ici jamais cru voir/entendre un jour. Ce qui nous ramène à l'improbable 'People Ain't No Good' ("I think that's well understood/You can see it everywhere you look"), à tout le moins sous la plume de l'auteur de 'The Mercy Seat' ou de 'Sad Waters'. On notera d'ailleurs que les mots seuls ne sont pas en cause : le refrain est au diapason, soit donc geignard et niaiseux à souhaits.
Le paradoxe c'est que sur le même disque et dès le premier morceau, Cave a signé l'une des belles chansons du monde (texte comme musique), 'Into My Arms', de celles qui réussissent à conjuguer l'intensité et la pudeur, l'émotion et la réserve... la pureté et la sophistication. Le ton est donné et dans ses meilleurs passages ('Lime Tree Arbour', 'Brompton Oratory') The Boatman's Call tiendra cette ligne, extrêmement compacte ou monotone selon l'humeur du récepteur. Si le rapprochement avec No More Shall We Part, magnifique opus suivant, est inévitable, celui-ci a un côté tourmenté, explosif, luxuriant que ne recherche jamais The Boatman's Call, œuvre plus intimiste à défaut d'être plus intime. Le genre d'album qui ne s'apprécie réellement qu'en l'écoutant d'une traite, même si, précisément, on a rarement envie de l'écouter de la sorte. Cela n'enlève bien sûr rien à la beauté farouche d'un 'There Is a Kingdom', ni à celle, plus légère et romantique, d'un '(Are You) the One I've Been Waiting for?'. Mais c'est une raison suffisante pour que l'on ait, malgré tout, quelques difficultés à placer cet album au même niveau qu'un No More Shall We Part ou un Murder Ballads.
👍👍👍 The Boatman's Call,
Nick Cave & The Bad Seeds | Mute, 1997