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Ce ne pouvait évidemment pas être un concert ordinaire. Dix ans que Ryan Adams n'avait plus croisé ma route sur scène. Dix ans et même un peu plus depuis un concert phénoménal, tout de morgue et de hargne, de culot et de grâce – peut-être la plus belle définition du rock'n'roll qu'il m'ait été donné de constater.
Oh bien sûr, en dix ans bien des choses ont changé. Pour moi, pour lui. Le garçon a publié quelques mauvais albums. Il a arrêté de boire, de fumer, s'est marié, a fait dans l'ordre et avec application tous ces trucs qui finissent toujours immanquablement par consumer une idole. Il y a dix ans, il enquillait en quelques mois l'ultime (et sublime, ça rime) album de Whiskeytown (Pneumonia), un premier album solo magnifique (Heartbreaker), un second couvert d'étoiles (Gold), sans parler du déchirant coffret (virtuel et non officiel) The Suicide Handbook. Aujourd'hui il arrive avec sous le bras un dernier album (Ashes & Fire) plutôt pas mal, comme les trois ou quatre précédents. Jamais plus que ça : pas mal. Mais ce n'est pas grave car ce soir, après une série d'articles souvent sceptiques, presque toujours critiques, je suis venu en paix. Et lui, à peine arriver, voilà qu'il m'agite le plus beau rameau d'olivier qui soit : 'Oh My Sweet Carolina', comme ça, sans prévenir. En ouverture. Franchement, quelles étaient les chances que dix ans, presque autant d'albums et des centaines de chansons après notre dernière rencontre, Ryan Adams entame son concert par une de mes dix chansons préférées de tous les temps ?
Ironiquement, je suis tellement pris de court que je ne la savoure presque pas. En fait, je ne sais pas si c'est bien ou mal, quand un artiste entre directement en scène avec votre chanson préférée, vous savez : celle que vous vous apprêtez à attendre avec fébrilité durant l'heure qui suit, à tenter de deviner dans les premiers accords de chaque titre, voire dont vous vous préparez à déplorer l'absence une fois le concert achevé. Mais allons, ce n'est pas très grave. Ce n'est même rien, tant le concert aura été, de bout en bout, irréprochable. On n'aurait rêvé meilleure setlist, nettement focalisée sur les deux premiers albums, avec même quelques escapades sur les terres de Whiskeytown (et quelles escapades ! '16 Days' et la poignante 'Avenues', rien que ça...)
De toute façon, il est difficile de ne pas se dire que même avec une setlist plus erratique, le concert eût tout de même été une réussite. Parce qu'au-delà d'un répertoire ne manquant pas de grandes chansons (peu de songwriters peuvent se vanter de pouvoir aligner dans une même prestation 'The End' ET 'Firecracker', 'Damn, Sam' ET 'I See Monsters'...), la présence et le naturel d'Adams font beaucoup pour charmer une audience qui n'en avait même pas véritablement besoin. Bavard comme un pie entre les morceaux, ironisant régulièrement sur la mollesse de ses compos dans cette formation guitare/voix... le kid de Jacksonville ne bouge quasiment pas de sa chaise mais fait assurément le show, et transforme (entre deux gorgées de thé, of course) une salle vaste et cosy en quasi café-confert. On pourrait trouver que cela casse totalement l'atmosphère mélancolique de certains passages (syndrome qu'on avait pu relever chez Stranded Horse il y a quelques mois)... mais non. Le garçon a du métier, et la manière dont il intègre son auto-dérision à sa propre musique ne souffre par la critique. Mention spéciale à la petite improvisation finale, au texte savoureux : (de mémoire) "Je vais jouer une dernière chanson / Et j'espère que c'est celle que vous vouliez entendre / Dans le cas contraire n'oubliez pas / Que vous pouvez aller sur Internet pour dire des saloperies sur moi / Je sais de quoi parle / Moi-même je vais souvent sur Internet pour dire des saloperies sur moi / Et il y a toujours plein de gens pour dire « oui, c'est vrai »" Eh bien non, justement, c'est faux. Pour la première fois depuis un bail, une chronique de me chroniques de concert ne contenait pas la moindre saloperie.
Et toc.