Malgré des siècles de littérature et des décennies de cinéma et de séries, il n'y a finalement qu'une poignée de manières de raconter le pouvoir. On évoquera ainsi le plus souvent, et pas forcément dans cet ordre, sa conquête, son apogée, sa déliquessence et sa chute.
Dans un premier temps, Boss ne s'écarte de cette tradition que parce qu'elle se propose de cocher toutes les cases à la fois. Au centre du jeu Tom Kane, omnipotent maire de Chicago, arbire à la baguette le duel que se livrent les deux candidats à l'investiture pour l'élection du gouverneur, Zajac (la conquête) et Cullen (la chute). Cette partie du récit ne lésine pas vraiment sur les stéréotypes, entre Zajac le chevalier blanc et Cullen le vieux roublard dégueulasse ; Kane, lui, est évidemment seul, très seul, très très seul au sommet.
Ce ne sont que des apparences. Farhad Safinia dispose méthodiques les clichés pour mieux les faire exploser. Zajac n'est qu'un ambitieux sans envergure dans une ville éternelle, et la série ne parle pas de la chute apparente, programmée de Tom Kane. Au contraire : elle est le portrait d'un animal politique absolu, infaillible et increvable, dont toutes les forces vitales sont mobilisées à seule fin de conserver le pouvoir.
Tom Kane est seul, oui, mais c'est aussi sa force. Maire de Chicago depuis une éternité (l'allusion à Richard Daley, qui dirigea la ville pendant deux décennies, est transparente même si les ressemblances s'arrêtent ici), il a franchi depuis longtemps le stade des convictions, si tant est qu'il en ait eu un jour. Kane aime le pouvoir pour lui-même, et s'il lui arrive de lancer par provocation "Qu'on me cite une ville où l'on prend plus soin de ses citoyens"... on ne le verra absolument jamais, au long de ces huit épisodes, faire quoi que ce soit pour ses administrés. Il est vrai qu'on voit mal ce que cela lui apporterait : ici, le pouvoir se transmet par l'héritage, le sang ou la négociation. Il n'est pas un instant où l'on ait le sentiment que le peuple importe et Tom Kane, faiseur de rois cynique, n'en a cure que lorsque poind le scandale. La maladie dont il est affligé (la démence à corps de Lewy) n'est dans le fond qu'un accessoire narratif parmi d'autres, comme une transposition visuelle de sa solitude et de sa déconnexion. Elle est l'outil d'un élargissement du particulier au général : d'abord très centrée sur le fonctionnement politique de Chicago, la série devient de plus en plus universelle - et intense - au fur et à mesure que la dégénérescence de Kane s'accélère. Dès lors, il pourrait aussi bien être Chirac à Paris, ou n'importe quel homme politique s'accrochant à son fauteuil comme un chien à son os, violemment et désespérément, parce qu'à force de l'exercer il a fini non seulement par oublier pourquoi il le faisait, mais encore par ne faire plus qu'un avec lui ; Tom Kane est la mairie, et si celle-ci peut évidemment lui survivre, la réciproque n'est pas vraie. Vieux fauve increvable, le Boss se défend donc comme si sa vie en dépendait - elle en dépend en effet, d'une certaine manière.
Dans un premier temps, Boss ne s'écarte de cette tradition que parce qu'elle se propose de cocher toutes les cases à la fois. Au centre du jeu Tom Kane, omnipotent maire de Chicago, arbire à la baguette le duel que se livrent les deux candidats à l'investiture pour l'élection du gouverneur, Zajac (la conquête) et Cullen (la chute). Cette partie du récit ne lésine pas vraiment sur les stéréotypes, entre Zajac le chevalier blanc et Cullen le vieux roublard dégueulasse ; Kane, lui, est évidemment seul, très seul, très très seul au sommet.
Ce ne sont que des apparences. Farhad Safinia dispose méthodiques les clichés pour mieux les faire exploser. Zajac n'est qu'un ambitieux sans envergure dans une ville éternelle, et la série ne parle pas de la chute apparente, programmée de Tom Kane. Au contraire : elle est le portrait d'un animal politique absolu, infaillible et increvable, dont toutes les forces vitales sont mobilisées à seule fin de conserver le pouvoir.
Tom Kane est seul, oui, mais c'est aussi sa force. Maire de Chicago depuis une éternité (l'allusion à Richard Daley, qui dirigea la ville pendant deux décennies, est transparente même si les ressemblances s'arrêtent ici), il a franchi depuis longtemps le stade des convictions, si tant est qu'il en ait eu un jour. Kane aime le pouvoir pour lui-même, et s'il lui arrive de lancer par provocation "Qu'on me cite une ville où l'on prend plus soin de ses citoyens"... on ne le verra absolument jamais, au long de ces huit épisodes, faire quoi que ce soit pour ses administrés. Il est vrai qu'on voit mal ce que cela lui apporterait : ici, le pouvoir se transmet par l'héritage, le sang ou la négociation. Il n'est pas un instant où l'on ait le sentiment que le peuple importe et Tom Kane, faiseur de rois cynique, n'en a cure que lorsque poind le scandale. La maladie dont il est affligé (la démence à corps de Lewy) n'est dans le fond qu'un accessoire narratif parmi d'autres, comme une transposition visuelle de sa solitude et de sa déconnexion. Elle est l'outil d'un élargissement du particulier au général : d'abord très centrée sur le fonctionnement politique de Chicago, la série devient de plus en plus universelle - et intense - au fur et à mesure que la dégénérescence de Kane s'accélère. Dès lors, il pourrait aussi bien être Chirac à Paris, ou n'importe quel homme politique s'accrochant à son fauteuil comme un chien à son os, violemment et désespérément, parce qu'à force de l'exercer il a fini non seulement par oublier pourquoi il le faisait, mais encore par ne faire plus qu'un avec lui ; Tom Kane est la mairie, et si celle-ci peut évidemment lui survivre, la réciproque n'est pas vraie. Vieux fauve increvable, le Boss se défend donc comme si sa vie en dépendait - elle en dépend en effet, d'une certaine manière.
👍👍👍 Boss (saison 1)
créée par Farhad Safinia
Starz, 2011
Une formidable série - la meilleure de l'année sûrement - dont je regretterai juste la brièveté.
RépondreSupprimerOui, je suis d'accord. C'est d'autant plus court que la mise en place est assez longue, ce qui explique que je n'aie pas mis 6
RépondreSupprimerExcellente série en effet, servie par un casting bluffant. Et tout ça sur Starz! Heureusement qu'il y a deux trois scènes de cul totalement vaines pour qu'on se rappelle sur quelle network on est :D
RépondreSupprimerTout regardé,presque d'une traite. Sans m'endormir ;-)
RépondreSupprimerFormidable série, excellent K. Grammar. Surprenant de le voir dans ce registre après Cheers & Frasier !
Une excellente série et un article qui lui fait honneur !
RépondreSupprimerJ'ai découvert le blog il y a quelques semaines et ne le regrette pas ; je pense en devenir un lecteur très régulier.
Serious Moon >>> moi j'ai bien aimé les scènes de cul ^^
RépondreSupprimerThierry >>> sans t'endormir, ce n'est pas peu dire ;-)
Alexandre >>> eh bien... merci beaucoup, j'ai bien besoin de commentaires motivants en cette période où trouver le temps d'écrire me demande de gros efforts.
Ce serait dommage d'abandonner… mais je pense que vous n'en êtes pas encore là, malgré l'évidente lassitude qu'on peut ressentir parfois…
RépondreSupprimerJe n'ai pas vraiment de lassitude par rapport au concept... c'est plus un manque de temps, pas tellement pour écrire, dans le fond, mais plutôt pour m'intéresser à ce sur quoi je pourrais éventuellement écrire. Un seul livre finit en deux mois, je crois que j'ai battu mon record de lenteur personnel.
RépondreSupprimerMais c'est juste une question de temps, je vais trouver le rythme.
Thomaaaas!
RépondreSupprimerça va pas du tout ça! Depuis quelque temps je m'aperçois que je n'ai plus ma dose quotidienne de golbitude... comment vais-je faire maintenant? hein? Le célibat ça demande à être rempli de culture revigorante! Je connais pas d'autre endroit qu'ici moi!!
:-)
Je vais faire un effort, promis !
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