[Mes livres à moi (et rien qu'à moi) - N°52]
Les Gommes - Alain Robbe-Grillet (1953)
Alain Robbe-Grillet. LE Alain Robbe-Grillet. Certains auteurs se terrent, disparaissent pour se construire un mythe. Lui, a fait l’inverse : Alain Robbe-Grillet, durant de plus de cinquante ans, a été partout, tout le temps. Il illustre à lui seul la célèbre phrase de Cocteau : "Plus vous me projetterez dans la lumière, plus je disparaîtrai". Tout amateur de littérature est fatalement déjà tombé sur une interview de ce vieil homme indigne. Il a probablement donné un milliard de fois plus d’interviews qu’il n’a écrit de textes. Mais finalement, de lui, on sait bien peu de choses, sinon qu’il a toujours nié avoir été collabo tout en admettant ne jamais avoir été résistant, qu’il a paraît-il été ingénieur agronome et qu’il fut de son vivant le punching-ball préféré de Houellebecq.
On sait aussi qu’il a écrit le manifeste Pour un nouveau roman qui, aujourd’hui encore (c’était en 63), pose de nombreuses interrogations sur ce qu’est le roman, ce qu’a été le roman et ce qu’il pourrait devenir… et qu’il fut aussi à la fin de sa vie le plus grand écrivain vivant autoproclamé, car l’homme était modeste.
Je ne connais pas son œuvre intégrale. Je peux néanmoins citer Le Voyageur et Topographie d’une Cité fantôme comme deux des romans les plus importants du XXe siècle. Et je peux aussi déconseiller formellement ses films (oui parce que Robbe-Grillet est également le plus grand cinéaste vivant autoproclamé, de même que, s’il a vraiment été ingénieur agronome, c’était à n’en pas douter le plus grand ingénier agronome autoproclamé).
Les Gommes, donc. Coup d’envoi du nouveau roman. Nouveau, vraiment ? Avec le recul tout cela semble bien ridicule, puisque le nouveau roman de 1953 est a priori devenu aujourd’hui l’ancien roman… sauf que non.
Qu’avons nous là ? Une histoire improbable, décalée, hilarante. Un genre de polar démantibulé, démonté pièce par pièce, brouillé. Avec un enquêteur pathétique, des témoins ridicules, des coupables bizarroïdes et des victimes dont on n'est même pas sûr qu’elles en soient vraiment. Même les cadavres, les morts, on ne sait même pas vraiment s’ils le sont. La seule chose dont on est sûr, c’est que l’univers environnant, c’est-à-dire les objets, les chaises, les tables, les immeubles, les double-rideaux et les gommes (forcément) existent. Le décor, quoi. Le décorum est tangible, mais l’intrigue et les personnages nous échappent perpétuellement. Tout est en climat, en atmosphères… deux éléments totalement abstraits si difficiles à faire transparaître par le biais de l’écriture.
Et Robbe-Grillet est là, derrière, l’auteur est le narrateur, il sait tout, il voit tout, il nous nargue, nous fait tourner en bourrique, et à la fin…
En fait de nouveau roman, nous avons surtout là un anti-roman. Voire même un non-roman. Un roman qui refuse d’être romanesque avec des personnages qui semblent même parfois conscients de n’être que des personnages de roman (pardon : de non-roman). C’est sans doute ce qui fait que Les Gommes, publié en 1953 (et qui n’est pas, contrairement à ce que peuvent écrire de nombreux internautes incultes, le premier livre de Robbe-Grillet), a infiniment moins vieilli que la plupart de ses « concurrents » de l’époque.
Un nouveau roman, je ne sais pas. Mais un grand roman, pas de doute là-dessus. Peut-être même un livre plus important aujourd’hui qu’à l’époque. Parce qu’alors qu’en 1953 il était un « nouveau roman » parmi beaucoup d’autres, il est de nos jours un « nouveau roman de 1953 » qu’on trouvera en librairie entre une multitudes d’ « anciens romans » écrits de nos jours.
Parce que finalement, si les insolentes expérimentations de Robbe-Grillet n’ont pas pris une ride, elles rendent surtout affreusement caduques les trois quarts des publications d’après 53.
Comme si aucun nouveau romancier n’avait jamais lu son manifeste Pour un nouveau roman.
Coucou Thomas,
RépondreSupprimerJe n'ai lu qu'Instantanés, de Robbe-Grillet, et il y a fort longtemps, puisque c'était une lecture imposée par mon prof de français de 3ème, qui était fan du nouveau roman...
J'avais trouvé ça plaisamment original, sans toutefois retirer de cette expérience un véritable plaisir. Disons que ma curiosité avait été aiguisée, cela m'avait amusée, mais je n'ai pas spécialement eu envie d'aller plus loin.
J'avais en revanche déjà noté ce titre, probablement après avoir lu ton billet original, parce que ce roman semble vraiment différent d’Instantanés (et puis qu'il a l'air vraiment bien !)
A bientôt.
Ce livre est vraiment un ovni, j'avais adoré à l'époque. Mais les autres livres de Robbe-Grillet que j'ai lus après m'ont assez déçue...
RépondreSupprimerSeul roman de l'auteur que j'ai lu, et qui m'a laissé un très bon souvenir. Pas tant sur l'intrigue, mais sur l'ambiance, ce décorum comme tu le dis si bien. Faudrait peut-être que je m'y remette !
RépondreSupprimerIng >>> je peux comprendre... moi-même j'ai lu peu de Robbe-Grillet alors que j'ai beaucoup aimé tous ceux que j'ai lus.
RépondreSupprimerLeïa >>> lesquels ?
Yohan >>> en effet :-)