...
Le principe est pour le moins inhabituel. Et, pour le moins, délicat. On ne l’aurait peut-être – sûrement – pas fait pour un autre groupe.
We Insist! présente la semaine prochaine au Café de la Danse un « ciné-concert » que, pour des raisons évidentes, nous n’avons pas pu voir : il n’a jusqu’à présent été joué qu’en Allemagne, et Étienne Gaillochet, batteur et chanteur du groupe, a malencontreusement oublié de nous faire parvenir notre billet (il a également refusé de venir le jouer intégralement à la rédaction, je vous jure : journaliste est devenu un job compliqué).
De là à dire que c’était une raison pour ne pas en parler, il y a un pas que nous ne franchirons pas ; et puis c’était surtout l’occasion de partir à la rencontre d’un des groupes français les plus passionnants des dernières années qui, attaché à un label allemand (Exile On Mainstream), vit dans un curieux paradoxe : il est une rareté dans son propre pays. « En fait à part le Triton qui a sorti les deux premiers disques, on n’a jamais vraiment eu de label en France, c’est un truc que je ne comprends toujours pas. En réalité on n’a même pas spécialement démarché l’Allemagne. C’est vrai qu’il y a dix ans ça pouvait peut-être plus facilement s’expliquer. Aujourd’hui il y a quand même moult groupes rock / noise / expérimental / math-rock / truc / bidule, avec plein de gens motivés autour qui montent des labels… D’ailleurs pour le prochain album on cherche un label, pour être en partenariat avec l’Allemagne mais avoir au moins quelque chose en France. Ce serait quand même bien. »
Mais il est vrai qu’une rareté, le groupe l’est de toute façon. À sa manière, par la singularité de ses travaux et une volonté sans cesse renouvelée de surgir là où on ne l’attend pas. De ce point de vue, son nouveau projet fait incontestablement très fort. Mettre en musique Berlin, Die Sinfonie der Großstad (Berlin, symphonie d’une grande ville), classique du cinéma muet réalisé au crépuscule des années 20 par Walter Ruttmann, personnage à la vie méconnue et à l’œuvre parfois polémique (il deviendra plus tard chef op’ pour Leni Riefenstahl et contribuera à des films de propagande nazie dans les années 40, dont les seuls titres font office de programme)… voilà une idée qui ne coulait pas vraiment de source. Et qui, comme le fait de s’être réfugié sur un label allemand, doit pas mal au hasard.
« Il y a quelques années, on a eu à plusieurs reprises des propositions similaires, notamment un étudiant qui faisait je crois des études de management culturel à la Sorbonne… il préparait un projet de fin d’études et il avait une idée autour d’une rencontre cinéma, musique live, compositeur contemporain et groupe de rock. Il connaissait un type qui s’appelait Mauricio Meda, à Rennes, qui faisait des trucs vraiment bien… et on avait commencé à discuter ensemble de projets, mais c’était trop ambitieux et ça ne s’est pas fait pour des questions de budget. » Mais quelqu’un quelque part a décidé que l’inclassable groupe français était fait pour ce genre de numéro d’équilibriste, et un second projet se présente rapidement à lui. « Il y a eu deux propositions consécutives, à deux ans d’intervalle, pour des ciné-concerts dans le cadre d’un festival… et là pour le coup le projet nous intéressait mais c’était le film qui nous branchait pas du tout (une espèce de série Z japonaise érotico-foireuse avec un côté un peu… décalé, second degré… en plus c’était un film parlant…) » On imagine effectivement difficilement la musique tendue, complexe et pleines de cassures de We Insist! accolée à ce genres d’images. Drôle d’idée, mais dont le concept général fait tranquillement son chemin. Le temps passe, le guitariste Julien Divisia quitte le groupe peu après Cyril, le saxophoniste baryton, remettant « beaucoup de choses en question au niveau de l’équilibre entre les deux grattes »… « C’est comme ça qu’on s’est retrouvé à y réfléchir ; on s’est dit Vu que Julien vient de nous quitter et qu’il faut se remettre à bosser sous une autre forme, pourquoi ne pas nous-mêmes choisir un film ? » Reste, évidemment, à trouver le bon. Celui sur lequel la magie pourrait potentiellement opérer, sans donner de sentiment de décalage ni – cela va sans dire – défigurer l’œuvre initiale.
Étienne ne cache pas qu’il n’est pas un grand cinéphile, et que c’est l’époque qui a amené le film plutôt que l’inverse. Celle d’Eisler ou de Weill, qu’il admire, celle de Brecht également et bien sûr, au cinéma, de Pabst ou de Richter. « La période de l’entre-deux guerres allemande m’a toujours passionné, pour des raisons théoriques autant qu’artistiques… j’ai donc été fouiller dans les archives. J’ai d’abord été regarder dans le cinéma expressionniste, mais ç’a déjà beaucoup beaucoup été fait, des ciné-concerts à partir de ce côté très exagéré, très dramatique… et puis je suis tombé sur ce film-là, qui lui avait zéro scénario, pour le coup. En plus c’est un film qui est véritablement sur Berlin ; on y a beaucoup été, notre label est là-bas, on y a plein d’amis… » On ajoutera que Berlin: Die Sinfonie der Großstadt est aussi un film particulièrement expérimental pour son temps, notamment dans son approche du montage, et qu’il n’est pas étonnant que ce soit sur celui-ci précisément que le choix d’un groupe on ne peut plus expérimental se soit naturellement arrêté. Ce qui n’empêche qu’on envisage mal un tel projet comme une partie de plaisir. D’autant que le film disposait à l’origine d’un soundtrack signé Edmund Meisel, qui collait d’autant plus parfaitement que Ruttmann avait conçu son film pour, et sur lequel le groupe a bien entendu dû faire l’impasse. « On a pris le truc par plusieurs bouts. D’abord du découpage dans le film, parce qu’à la première vision c’est un peu fouillis… puis on a fait toute une série de répètes en jetant des idées à la va-comme-je-te-pousse, en se disant Tiens, ça ça pourrait coller… etc. Et c’est seulement dans un dernier temps qu’on s’est mis à réfléchir pour voir quelle partie pouvait marcher sur quel passage. On savait évidemment à cause du montage et de la dramaturgie du film quel genre de musique collait avec quel genre de thème, mais on ne voulait pas non plus faire quelque chose de trop littéral – pas forcément utiliser un tempo rapide quand le montage était rapide… bref on voulait rester assez littéral, mais sans que ce soit didactique, sinon ça devenait téléphoné. Donc après ç’a été un gros travail de montage, on a cherché beaucoup de repères individuels, des choses permettant de garder le spectateur dans le truc… »
C’est évidemment ici que cet article devient délicat à appréhender, puisqu’on n’a pas la moindre idée de ce à quoi peut bien ressembler le résultat final. On croira donc Étienne sur parole lorsqu’il précise avoir voulu « profiter du fait que ce soit un ciné-concert pour faire des choses plus acoustiques. Bien sûr ça sonne comme du We Insist!, mais on a quand même fait des passages différents, guitare seule, ou deux grattes, des passages où on utilise des sons pré-enregistrés… il y a aussi un peu de chant, quoique pas énormément. Le problème – on nous en a fait la réflexion quand on l’a joué – c’est que dès que ça commence à chanter l’auditeur sort du film. Alors que la musique instrumentale permet de se laisser bercer, de regarder le film, d’effectuer des rapprochements… après on s’est dit que ce n’était pas forcément une mauvaise idée non plus de prendre le pas sur le film de temps en temps. » Car comme nous le disions plus haut, le spectacle nous arrive en France déjà bien rodé par de nombreuses dates en Allemagne, où l’on imagine sans peine que les réactions durent être particulièrement attentives. Étienne Gaillochet en garde de toute évidence un fort souvenir. « Le film n’a été redécouvert que récemment, donc les Allemands ça les a beaucoup intéressés. Je ne sais pas s’il y a eu beaucoup de projections mais en tout cas nous quand on l’a joué c’était plein tout le temps, notamment à Chemnitz, où on a joué dans une sorte de cinéma fait de bric et de broc, avec nous sous l’écran tout près du public… les gens en ont pris un peu plein la gueule, mais les réactions étaient super. On l’a joué également à Leipzig, dans un ancien cinéma des années 20 dans lequel le film avait été projeté à sa sortie… et le cinéma est resté, un peu comme les Bouffes du Nord, la salle n’a pas du tout changé, la peinture n’a jamais été refaite, c’était… c’était super. » On s’inquiète un instant des réactions qu’auraient pu susciter les liens entre Rutmann et le régime nazi – même s’ils n’ont jamais été formellement établis. Étienne nous rassure tout de suite, il y en a eu. Un peu. « Quand on l’a joué à Rostock, dans une région où il y a pas mal de groupuscules néo-nazis, et où il y a donc un peu plus d’anti-fafs qu’ailleurs, plein de gens étaient venus à l’entrée distribuer des flyers pour rappeler que c’était peut-être un super film mais qu’il ne fallait pas oublier que Ruttmann avait travaillé avec les nazis » Ce qui était sans doute mieux que si les néo-nazis eux-mêmes s’étaient déplacés. Il rigole. « Ah c’est clair… de toute façon en Allemagne, partout, on sent que c’est un sujet qui est… pas vraiment délicat, parce qu’on en parle facilement avec les gens, mais… omniprésent, quoi. Même quand tu te balades avec des jeunes hippies de 20 ans à Dresde, dont les parents eux-mêmes sont trop jeunes pour avoir connu la guerre, tu trouves toujours quelqu’un pour te dire Là regarde, c’est la dernière croix gammée qui reste, elle a été recouverte avec du plâtre mais on devine encore la forme… » Un silence. Puis : « Il y a aussi le problème des groupuscules néo-nazis qui est assez horrible. Ils sont très très peu nombreux mais ils sont complètement tarés et quand ils sortent c’est… l’angoisse. »
Le principe était pour le moins délicat mais finalement, on s’en est sorti tout de même. C’est toujours plus simple lorsque les gens ont des choses à dire et, a fortiori, lorsque le projet en lui-même semble suffisamment riche pour se prêter à la discussion. Quiconque a vu le film de Ruttmann (qui se trouve en VHS et DVD, certes pas facilement, mais n’est pas non plus totalement inaccessible) et/ou connaît la musique de We Insist! (on ne saurait trop vous conseiller ses deux remarquables derniers opus, Oh! Things Are Corruptible et – surtout – The Babel Inside Was Terrible) ne peut qu’être curieux à l’idée de voir – et entendre – à quoi peut bien ressembler l’amalgame des deux. Précision d’importance : pour d’obscures raisons de droits, il n’y aura probablement pas de trace audio ni vidéo de ce ciné-concert. C’est peu dire que ceux qui ne seront pas au Café de la Danse la semaine prochaine auront le droit de nourrir quelques regrets, surtout s’ils nous lisent Parce que nous, bien évidemment, on y sera, et qu’on ne manquera pas de vous en reparler après coup, histoire d’être sûr de faire enrager les plus oublieux d’entre vous.
Berlin, Die Sinfonie der Großstad,
Représentation exceptionnelle le 13 janvier au Café de la Danse
Le principe est pour le moins inhabituel. Et, pour le moins, délicat. On ne l’aurait peut-être – sûrement – pas fait pour un autre groupe.
We Insist! présente la semaine prochaine au Café de la Danse un « ciné-concert » que, pour des raisons évidentes, nous n’avons pas pu voir : il n’a jusqu’à présent été joué qu’en Allemagne, et Étienne Gaillochet, batteur et chanteur du groupe, a malencontreusement oublié de nous faire parvenir notre billet (il a également refusé de venir le jouer intégralement à la rédaction, je vous jure : journaliste est devenu un job compliqué).
De là à dire que c’était une raison pour ne pas en parler, il y a un pas que nous ne franchirons pas ; et puis c’était surtout l’occasion de partir à la rencontre d’un des groupes français les plus passionnants des dernières années qui, attaché à un label allemand (Exile On Mainstream), vit dans un curieux paradoxe : il est une rareté dans son propre pays. « En fait à part le Triton qui a sorti les deux premiers disques, on n’a jamais vraiment eu de label en France, c’est un truc que je ne comprends toujours pas. En réalité on n’a même pas spécialement démarché l’Allemagne. C’est vrai qu’il y a dix ans ça pouvait peut-être plus facilement s’expliquer. Aujourd’hui il y a quand même moult groupes rock / noise / expérimental / math-rock / truc / bidule, avec plein de gens motivés autour qui montent des labels… D’ailleurs pour le prochain album on cherche un label, pour être en partenariat avec l’Allemagne mais avoir au moins quelque chose en France. Ce serait quand même bien. »
Mais il est vrai qu’une rareté, le groupe l’est de toute façon. À sa manière, par la singularité de ses travaux et une volonté sans cesse renouvelée de surgir là où on ne l’attend pas. De ce point de vue, son nouveau projet fait incontestablement très fort. Mettre en musique Berlin, Die Sinfonie der Großstad (Berlin, symphonie d’une grande ville), classique du cinéma muet réalisé au crépuscule des années 20 par Walter Ruttmann, personnage à la vie méconnue et à l’œuvre parfois polémique (il deviendra plus tard chef op’ pour Leni Riefenstahl et contribuera à des films de propagande nazie dans les années 40, dont les seuls titres font office de programme)… voilà une idée qui ne coulait pas vraiment de source. Et qui, comme le fait de s’être réfugié sur un label allemand, doit pas mal au hasard.
« Il y a quelques années, on a eu à plusieurs reprises des propositions similaires, notamment un étudiant qui faisait je crois des études de management culturel à la Sorbonne… il préparait un projet de fin d’études et il avait une idée autour d’une rencontre cinéma, musique live, compositeur contemporain et groupe de rock. Il connaissait un type qui s’appelait Mauricio Meda, à Rennes, qui faisait des trucs vraiment bien… et on avait commencé à discuter ensemble de projets, mais c’était trop ambitieux et ça ne s’est pas fait pour des questions de budget. » Mais quelqu’un quelque part a décidé que l’inclassable groupe français était fait pour ce genre de numéro d’équilibriste, et un second projet se présente rapidement à lui. « Il y a eu deux propositions consécutives, à deux ans d’intervalle, pour des ciné-concerts dans le cadre d’un festival… et là pour le coup le projet nous intéressait mais c’était le film qui nous branchait pas du tout (une espèce de série Z japonaise érotico-foireuse avec un côté un peu… décalé, second degré… en plus c’était un film parlant…) » On imagine effectivement difficilement la musique tendue, complexe et pleines de cassures de We Insist! accolée à ce genres d’images. Drôle d’idée, mais dont le concept général fait tranquillement son chemin. Le temps passe, le guitariste Julien Divisia quitte le groupe peu après Cyril, le saxophoniste baryton, remettant « beaucoup de choses en question au niveau de l’équilibre entre les deux grattes »… « C’est comme ça qu’on s’est retrouvé à y réfléchir ; on s’est dit Vu que Julien vient de nous quitter et qu’il faut se remettre à bosser sous une autre forme, pourquoi ne pas nous-mêmes choisir un film ? » Reste, évidemment, à trouver le bon. Celui sur lequel la magie pourrait potentiellement opérer, sans donner de sentiment de décalage ni – cela va sans dire – défigurer l’œuvre initiale.
Étienne ne cache pas qu’il n’est pas un grand cinéphile, et que c’est l’époque qui a amené le film plutôt que l’inverse. Celle d’Eisler ou de Weill, qu’il admire, celle de Brecht également et bien sûr, au cinéma, de Pabst ou de Richter. « La période de l’entre-deux guerres allemande m’a toujours passionné, pour des raisons théoriques autant qu’artistiques… j’ai donc été fouiller dans les archives. J’ai d’abord été regarder dans le cinéma expressionniste, mais ç’a déjà beaucoup beaucoup été fait, des ciné-concerts à partir de ce côté très exagéré, très dramatique… et puis je suis tombé sur ce film-là, qui lui avait zéro scénario, pour le coup. En plus c’est un film qui est véritablement sur Berlin ; on y a beaucoup été, notre label est là-bas, on y a plein d’amis… » On ajoutera que Berlin: Die Sinfonie der Großstadt est aussi un film particulièrement expérimental pour son temps, notamment dans son approche du montage, et qu’il n’est pas étonnant que ce soit sur celui-ci précisément que le choix d’un groupe on ne peut plus expérimental se soit naturellement arrêté. Ce qui n’empêche qu’on envisage mal un tel projet comme une partie de plaisir. D’autant que le film disposait à l’origine d’un soundtrack signé Edmund Meisel, qui collait d’autant plus parfaitement que Ruttmann avait conçu son film pour, et sur lequel le groupe a bien entendu dû faire l’impasse. « On a pris le truc par plusieurs bouts. D’abord du découpage dans le film, parce qu’à la première vision c’est un peu fouillis… puis on a fait toute une série de répètes en jetant des idées à la va-comme-je-te-pousse, en se disant Tiens, ça ça pourrait coller… etc. Et c’est seulement dans un dernier temps qu’on s’est mis à réfléchir pour voir quelle partie pouvait marcher sur quel passage. On savait évidemment à cause du montage et de la dramaturgie du film quel genre de musique collait avec quel genre de thème, mais on ne voulait pas non plus faire quelque chose de trop littéral – pas forcément utiliser un tempo rapide quand le montage était rapide… bref on voulait rester assez littéral, mais sans que ce soit didactique, sinon ça devenait téléphoné. Donc après ç’a été un gros travail de montage, on a cherché beaucoup de repères individuels, des choses permettant de garder le spectateur dans le truc… »
C’est évidemment ici que cet article devient délicat à appréhender, puisqu’on n’a pas la moindre idée de ce à quoi peut bien ressembler le résultat final. On croira donc Étienne sur parole lorsqu’il précise avoir voulu « profiter du fait que ce soit un ciné-concert pour faire des choses plus acoustiques. Bien sûr ça sonne comme du We Insist!, mais on a quand même fait des passages différents, guitare seule, ou deux grattes, des passages où on utilise des sons pré-enregistrés… il y a aussi un peu de chant, quoique pas énormément. Le problème – on nous en a fait la réflexion quand on l’a joué – c’est que dès que ça commence à chanter l’auditeur sort du film. Alors que la musique instrumentale permet de se laisser bercer, de regarder le film, d’effectuer des rapprochements… après on s’est dit que ce n’était pas forcément une mauvaise idée non plus de prendre le pas sur le film de temps en temps. » Car comme nous le disions plus haut, le spectacle nous arrive en France déjà bien rodé par de nombreuses dates en Allemagne, où l’on imagine sans peine que les réactions durent être particulièrement attentives. Étienne Gaillochet en garde de toute évidence un fort souvenir. « Le film n’a été redécouvert que récemment, donc les Allemands ça les a beaucoup intéressés. Je ne sais pas s’il y a eu beaucoup de projections mais en tout cas nous quand on l’a joué c’était plein tout le temps, notamment à Chemnitz, où on a joué dans une sorte de cinéma fait de bric et de broc, avec nous sous l’écran tout près du public… les gens en ont pris un peu plein la gueule, mais les réactions étaient super. On l’a joué également à Leipzig, dans un ancien cinéma des années 20 dans lequel le film avait été projeté à sa sortie… et le cinéma est resté, un peu comme les Bouffes du Nord, la salle n’a pas du tout changé, la peinture n’a jamais été refaite, c’était… c’était super. » On s’inquiète un instant des réactions qu’auraient pu susciter les liens entre Rutmann et le régime nazi – même s’ils n’ont jamais été formellement établis. Étienne nous rassure tout de suite, il y en a eu. Un peu. « Quand on l’a joué à Rostock, dans une région où il y a pas mal de groupuscules néo-nazis, et où il y a donc un peu plus d’anti-fafs qu’ailleurs, plein de gens étaient venus à l’entrée distribuer des flyers pour rappeler que c’était peut-être un super film mais qu’il ne fallait pas oublier que Ruttmann avait travaillé avec les nazis » Ce qui était sans doute mieux que si les néo-nazis eux-mêmes s’étaient déplacés. Il rigole. « Ah c’est clair… de toute façon en Allemagne, partout, on sent que c’est un sujet qui est… pas vraiment délicat, parce qu’on en parle facilement avec les gens, mais… omniprésent, quoi. Même quand tu te balades avec des jeunes hippies de 20 ans à Dresde, dont les parents eux-mêmes sont trop jeunes pour avoir connu la guerre, tu trouves toujours quelqu’un pour te dire Là regarde, c’est la dernière croix gammée qui reste, elle a été recouverte avec du plâtre mais on devine encore la forme… » Un silence. Puis : « Il y a aussi le problème des groupuscules néo-nazis qui est assez horrible. Ils sont très très peu nombreux mais ils sont complètement tarés et quand ils sortent c’est… l’angoisse. »
Le principe était pour le moins délicat mais finalement, on s’en est sorti tout de même. C’est toujours plus simple lorsque les gens ont des choses à dire et, a fortiori, lorsque le projet en lui-même semble suffisamment riche pour se prêter à la discussion. Quiconque a vu le film de Ruttmann (qui se trouve en VHS et DVD, certes pas facilement, mais n’est pas non plus totalement inaccessible) et/ou connaît la musique de We Insist! (on ne saurait trop vous conseiller ses deux remarquables derniers opus, Oh! Things Are Corruptible et – surtout – The Babel Inside Was Terrible) ne peut qu’être curieux à l’idée de voir – et entendre – à quoi peut bien ressembler l’amalgame des deux. Précision d’importance : pour d’obscures raisons de droits, il n’y aura probablement pas de trace audio ni vidéo de ce ciné-concert. C’est peu dire que ceux qui ne seront pas au Café de la Danse la semaine prochaine auront le droit de nourrir quelques regrets, surtout s’ils nous lisent Parce que nous, bien évidemment, on y sera, et qu’on ne manquera pas de vous en reparler après coup, histoire d’être sûr de faire enrager les plus oublieux d’entre vous.
Berlin, Die Sinfonie der Großstad,
Représentation exceptionnelle le 13 janvier au Café de la Danse