C’est toujours un peu le problème des épisodes numéro 2. Le premier est une bonne surprise, réalisé plus ou moins sur le pouce, avec quelques amis et beaucoup de cœur. Le second, pour un peu que le premier ait été un succès, fait tout de suite plus sérieux, plus appliqué et est, en conséquence, nettement plus attendu. Or entre temps - c’est toujours comme ça avec les épisodes 2 - le casting a changé, la démarche a évolué et finalement on ne sait plus trop comment approcher ce qu’hier, on avait l’impression de connaître par cœur.
Ainsi sommairement posé, le problème de The Journey Is Long, suite de l’étonnant We Are Only Riders, salué dans ces mêmes pages il y a un peu plus de deux ans, est facilement compréhensible. Sur le papier, c’est exactement la même chose que la fois d’avant, soit donc un hommage habité à Jeffrey Lee Pierce (qui en méritait tout de même bien deux, sinon plus) au cours duquel amis et (de plus en plus) fans s'emparent de ses morceaux plus ou moins inachevés, plus ou moins laissés pour compte, et se les approprient avec plus ou moins de bonheur selon leur degré de compréhension du bluesman californien (car être ami avec quelqu’un et savoir ce qui fait la spécificité de son art sont deux choses différentes, sinon contraires). C’est donc pareil, y compris au niveau du main cast : Nick Cave et Lydia Lunch, âmes sœurs ; Mark Lanegan, fils spirituel ; Cypress Grove, archiviste en chef ; Debbie Harry, ex-fan des eighties. Mais l’effet de surprise n’est plus là et le niveau plus éparpillé à force d’avoir voulu injecter du sang neuf au générique. Certaines prestations sont certes d’un intérêt relatif, la palme de la médiocrité revenant assurément à Steve Winn1. Mais c’est surtout la production parfois un brin trop ampoulée qui surprend. On notera que Jeffrey Lee Pierce, qui n’était pas toujours le roi de l’épure, ne l’aurait peut-être pas reniée. Argument qui ne vaut pas grand-chose : comme toutes les rockstars foudroyées en pleine gloire, on vénère aussi inconsciemment Pierce parce que l’on a la confortable certitude qu’il n’aura jamais plus la possibilité de nous décevoir.
Détail assez révélateur du sentiment délicat qui nous envahit à son écoute, The Journey Is Long donne assez rapidement le sentiment d’être très bien nommé, alors qu’il compte le même nombre de titres que son prédécesseur. Nettement moins homogène, il a cependant le mérite de receler un ou deux moments vraiment surprenants, comme ce "Jungle Book" qu’interprète The Amber Light (qui ça ?) et qui donne le sentiment que Johnny Thunders, fraîchement ressuscité, a été convié à l’enregistrement du disque. Plus attendue mais non moins remarquable, la contribution de Bertrand Cantat, qui brillait par son absence sur le tome 1, est sans surprise l’une des plus ambitieuses dans son approche esthétique, et l’idée de l’avoir flanqué de Warren Ellis, Cypress Grove et du toujours excellent Pascal Humbert2 n’était sans doute pas la plus mauvaise de l’année. Tout aussi attendues et efficaces, les prestations de Campbell/Lanegan et de Hugo Race ont failli ne pas être citées dans cet article, non parce qu’elle sont ratées mais précisément parce qu’elle sont juste normalement brillantes.
On passera sur les participations les plus anecdotiques3, globalement celles du milieu de l’album, pour constater que l’ensemble adopte rapidement une couleur plus rock et électrique que précédemment, et que c’est peut-être finalement cela le problème. On aimait que We Are Only Riders aille trifouiller dans les entrailles de Pierce pour en dégager la substantifique moelle, un blues ténébreux et désespérément romantique. On se fout en revanche pas mal des tentatives de réappropriation de morceaux que l’on ne connaît pas interprétés par leur auteur. Il est sans doute intéressant pour Mick Harvey ou Barry Adamson, partant d’ébauches de Pierce, d’arriver à accoucher de chansons de Mick Harvey et Barry Adamson. Pour l’auditeur, l’intérêt est moindre, d’autant que sans vouloir être vexant, rapprocher même le plus mauvais morceau de Pierce du meilleur de Harvey (qui n’est pas le premier venu non plus) ne ferait que considérablement amoindrir le premier. En somme, on a le sentiment que si le premier épisode avait été envisagé comme une véritable œuvre de transmission, celui-ci l’a plus été comme un tribute lambda, une compilation foutraque où chacun cherche plus ou moins consciemment à tirer son épingle du jeu, tout particulièrement les moins connus de la bande (on n’ignore qui est Astro-Unicorn, mais son "Body & Soul" est purement et simplement infâme). On ne sera de fait pas surpris que, dans cette catégorie, ceux qui s’en sortent le mieux soient Lydia Lunch, déjà la meilleure contributrice à We Are Only Riders, et la Jim Jones Revue... pour des raisons exactement inverses : la première parce que le magnifique "The Brink" la voit littéralement danser avec le fantôme de Pierce ; les seconds parce que leur personnalité est si forte que leur prestation, jusqu’à son titre ("Ain’t My Problem Baby"), ne pouvait que transcender le concept de départ.
👍 The Journey Is Long
The Jeffrey Lee Pierce Sessions Project | Grinderhouse/Differ-ant (2012)
The Jeffrey Lee Pierce Sessions Project | Grinderhouse/Differ-ant (2012)
1. En même tout est déjà dans l’énoncé côte à côte des mots « Steve » et « Wynn ».
2. Avec qui il préparerait un album.
3. Mais il faudra tout de même que quelqu’un se dévoue un jour pour dire à Cypress Grove qu’il est un bien meilleur accompagnateur qu’interprète.