...
C'est toujours les mêmes gestes. D'abord, la jambe gauche. Puis, la jambe droite. Puis, une gorgée de café Malongo. Tu montes le volume de la radio. Roule ta cigarette. Oui, c'est toujours les mêmes gestes.
C'est toujours les mêmes gestes et pourtant ce matin, quelque chose a changé. Sur France Culture, la voix de Jean-François Copé ne sonne plus tout à fait pareil à ton oreille. Tu la trouves un peu frêle. Un peu tremblotante. Il n'a plus l'air si sûr de lui. Tu changes de station, passe sur RFI... là, c'est Nadine Morano qui semble différente. Elle aboie, bien sûr, mais plus de cet aboiement fier de yorkshire surprenant un jeune dans la résidence sécurisée. Le petit york semble avoir perdu tous ses poils et japper de peur, alors qu'on le reconduit à la SPA. Étrange.
Tandis que tu pédales pour aller au travail, tu repenses à tout cela. Tu te dis que c'est long, un processus de deuil. Quinze jours, ce n'est rien. La semaine dernière, tu t'es même surpris à écouter dans ton lit des interviews de Frédéric Mitterrand et d'Alain Juppé. C'était bizarre. Presque bon. Ils étaient encore ministres, alors. Peut-être pour la dernière fois. Qui y-a-t-il à leur place, déjà ? Tu fronces les sourcils tout en garant le Vélib'. Oui, c'est ça. Filippetti et Fabius. Il va falloir que tu retiennes, et aussi que tu réussisses à te rappeler combien de "l", de "p" et de "t" prend Filippetti. C'est fatigant un changement de gouvernement. Pour le Président, tu avais eu le temps de te préparer, mais pour gouvernement... c'est toute une grammaire à redéfinir. Un peu comme une super série télé dont on aurait viré toute le casting d'un coup. Il y a des séries qui ont fait ça auparavant, mais ce ne sont pas celles qui ont le mieux résisté sur la durée. Au moins dans 24, ils gardaient Jack Bauer. Toi, tu en aurais bien gardé un ou deux des saisons précédentes. Histoire de ménager une continuité. Il semble qu'en politique, les choses ne marchent pas ainsi. Tu te contenteras de Jean-François ou de Brice en recurring guest, une petite scène par-ci, un cameo par-là. Tu finiras bien par t'y faire.
Y parviendront-ils, eux ? Dix ans qu'ils n'avaient plus quitté la Majorité, sinon le pouvoir. Ce doit être douloureux, pour eux. Personne n'y pense car les gens sont cyniques, mais cela doit faire bizarre. Certes ils avaient de l'entraînement : cela faisait des années qu'ils hululaient comme s'ils étaient dans l'Opposition. Ils n'auront pas à changer grand-chose sur la forme, n'empêche que psychologiquement, il doit falloir l'encaisser. Enfin, on en est tous là. Personne ne le dit officiellement, on a tous l'air très content d'avoir "gagné" (quoi ? on ne sait pas trop, mais j'imagine qu'on ne va pas tarder à le découvrir), mais au fond, tu sais bien que ça ne va pas être facile de te faire à l'idée de pencher du côté de la Majorité. Tu as un peu perdu l'habitude. La dernière fois, tu étais jeune et flamboyant, tu ne connaissais pas grand-chose à la politique, tu savais juste que la Gauche était intelligente et gentille et la Droite vulgaire et méchante (tu n'étais pas au bout de tes peines, vieux). Maintenant tu es grand, et tu ne sais pas trop comment tu vas gérer tout cela. Comme tout électeur de gauche, tu es génétiquement et institutionnellement programmé pour l'Opposition. Tu sais déjà que d'une manière ou d'une autre, tu finiras forcément par entrer en opposition avec le gouvernement que tu as élu, parce que c'est toujours comme cela que ça se termine, avec les électeurs de gauche. Jospin pourrait t'en parler longuement. Jospin qui n'arrête pas de galoper de plateau en plateau depuis le 6 mai, il a l'air tout fou, ou en tout cas il a l'air à son maximum de foufoufuriosité. Apparemment personne ne lui a dit qu'il n'était pas ministre.
En fait depuis quinze jours, pour être franc vis-à-vis de toi-même, tu t'emmerdes déjà un peu. La Majorité, ce n'est pas très rigolo. C'est beaucoup de travail (pour eux) et beaucoup d'attente(s) (pour toi). En plus comme c'est une fausse majorité, puisqu'il n'y a pas d'Assemblée, non seulement c'est ennuyeux, mais en plus, ça ne sert à rien. C'est cette évidence qui te frappe alors que tu finis le chemin à pieds et salue du regard tous ces immigrés qui, les fous, croient réellement qu'ils voteront bientôt : les deux dernières semaines n'ont servi à rien (ok, à part à prendre quelques cuites en célébrant la gauche décomplexée... bon, soit : à prendre beaucoup de cuites en célébrant la gauche décomplexée... allez d'accord : tu as tellement célébré la gauche décomplexée que ton compte en banque te rappelle aujourd'hui les heures les plus sombres de la droite décomplexée). Si c'est ça le prochain quinquennat, ça va vraiment pas être drôle. Tu imagines déjà les éditos : La vie, le plancton et les bonnes réformes ; UMP : le split avant le reunion tour ? ; Hadopi, c'est fini. Et ainsi de suite. Si les polémiques des semaines qui viennent sont de savoir si Christiane Taubira a été indépendantiste dans sa jeunesse ou si Manuel Valls a été de gauche quand il avait vingt ans, il y a risque de bâillements. Une charte de déontologie, ça ne fait pas beaucoup rêver. Sarkozy a débarqué en augmentant son salaire, Hollande arrive en baissant celui de tout le monde. Qu'est-ce que tu peux répondre à ça ? Dire qu'il aurait aussi pu réduire le nombre de ministres ? Ah tiens, voilà, tu l'as dit. Mais bon, il a quand même baissé leurs salaires. Oui, mais il aurait pu aller plus loin.
Subitement et alors que tu cherches ton badge dans ta poche, tu entrevois une ouverture. Peine-à-jouir, toi ? Électeur de gauche. What else? Si les électeurs de droite étaient moitié aussi critiques que le sont les électeurs de gauche vis-à-vis de leur famille politique, on ne sortirait pas de dix ans d'UMP. C'est ça la clé : un gouvernement de droite, on aime ne pas l'aimer. Un gouvernement de gauche, on n'aime pas ne pas l'aimer, ce qui signifie pas pour autant qu'on l'aime à chaque instant. Comme te le disait une amie hier encore : "la Gauche, c'est un peu la famille. Tu as le droit de les critiquer mais à la fin, tu les aimes toujours parce que c'est ta famille, même quand ils disent des trucs qui ne te plaisent pas, tu ne peux pas t'en empêcher. On finit toujours par se réconcilier, même après les engueulades et même si on continue à se dire que certains sont agaçants et que d'autres feraient mieux de ne pas la ramener trop souvent"
Oui. Tu vas t'en sortir. Ça va être long. Ça ne se fera pas en quelques éditos. Il te faudra mieux les découvrir, ces gens. Les apprendre. Les apprivoiser. Ils ne seront sans doute jamais aussi bêtes et méchants que leurs prédécesseurs. Sans doute auras-tu parfois un petit pincement au coeur, une petite pensée pour Nadine, pour Xavier, pour les deux Valérie. Mais la vie continue.
C'est toujours les mêmes gestes. D'abord, la jambe gauche. Puis, la jambe droite. Puis, une gorgée de café Malongo. Tu montes le volume de la radio. Roule ta cigarette. Oui, c'est toujours les mêmes gestes.
C'est toujours les mêmes gestes et pourtant ce matin, quelque chose a changé. Sur France Culture, la voix de Jean-François Copé ne sonne plus tout à fait pareil à ton oreille. Tu la trouves un peu frêle. Un peu tremblotante. Il n'a plus l'air si sûr de lui. Tu changes de station, passe sur RFI... là, c'est Nadine Morano qui semble différente. Elle aboie, bien sûr, mais plus de cet aboiement fier de yorkshire surprenant un jeune dans la résidence sécurisée. Le petit york semble avoir perdu tous ses poils et japper de peur, alors qu'on le reconduit à la SPA. Étrange.
Tandis que tu pédales pour aller au travail, tu repenses à tout cela. Tu te dis que c'est long, un processus de deuil. Quinze jours, ce n'est rien. La semaine dernière, tu t'es même surpris à écouter dans ton lit des interviews de Frédéric Mitterrand et d'Alain Juppé. C'était bizarre. Presque bon. Ils étaient encore ministres, alors. Peut-être pour la dernière fois. Qui y-a-t-il à leur place, déjà ? Tu fronces les sourcils tout en garant le Vélib'. Oui, c'est ça. Filippetti et Fabius. Il va falloir que tu retiennes, et aussi que tu réussisses à te rappeler combien de "l", de "p" et de "t" prend Filippetti. C'est fatigant un changement de gouvernement. Pour le Président, tu avais eu le temps de te préparer, mais pour gouvernement... c'est toute une grammaire à redéfinir. Un peu comme une super série télé dont on aurait viré toute le casting d'un coup. Il y a des séries qui ont fait ça auparavant, mais ce ne sont pas celles qui ont le mieux résisté sur la durée. Au moins dans 24, ils gardaient Jack Bauer. Toi, tu en aurais bien gardé un ou deux des saisons précédentes. Histoire de ménager une continuité. Il semble qu'en politique, les choses ne marchent pas ainsi. Tu te contenteras de Jean-François ou de Brice en recurring guest, une petite scène par-ci, un cameo par-là. Tu finiras bien par t'y faire.
Y parviendront-ils, eux ? Dix ans qu'ils n'avaient plus quitté la Majorité, sinon le pouvoir. Ce doit être douloureux, pour eux. Personne n'y pense car les gens sont cyniques, mais cela doit faire bizarre. Certes ils avaient de l'entraînement : cela faisait des années qu'ils hululaient comme s'ils étaient dans l'Opposition. Ils n'auront pas à changer grand-chose sur la forme, n'empêche que psychologiquement, il doit falloir l'encaisser. Enfin, on en est tous là. Personne ne le dit officiellement, on a tous l'air très content d'avoir "gagné" (quoi ? on ne sait pas trop, mais j'imagine qu'on ne va pas tarder à le découvrir), mais au fond, tu sais bien que ça ne va pas être facile de te faire à l'idée de pencher du côté de la Majorité. Tu as un peu perdu l'habitude. La dernière fois, tu étais jeune et flamboyant, tu ne connaissais pas grand-chose à la politique, tu savais juste que la Gauche était intelligente et gentille et la Droite vulgaire et méchante (tu n'étais pas au bout de tes peines, vieux). Maintenant tu es grand, et tu ne sais pas trop comment tu vas gérer tout cela. Comme tout électeur de gauche, tu es génétiquement et institutionnellement programmé pour l'Opposition. Tu sais déjà que d'une manière ou d'une autre, tu finiras forcément par entrer en opposition avec le gouvernement que tu as élu, parce que c'est toujours comme cela que ça se termine, avec les électeurs de gauche. Jospin pourrait t'en parler longuement. Jospin qui n'arrête pas de galoper de plateau en plateau depuis le 6 mai, il a l'air tout fou, ou en tout cas il a l'air à son maximum de foufoufuriosité. Apparemment personne ne lui a dit qu'il n'était pas ministre.
En fait depuis quinze jours, pour être franc vis-à-vis de toi-même, tu t'emmerdes déjà un peu. La Majorité, ce n'est pas très rigolo. C'est beaucoup de travail (pour eux) et beaucoup d'attente(s) (pour toi). En plus comme c'est une fausse majorité, puisqu'il n'y a pas d'Assemblée, non seulement c'est ennuyeux, mais en plus, ça ne sert à rien. C'est cette évidence qui te frappe alors que tu finis le chemin à pieds et salue du regard tous ces immigrés qui, les fous, croient réellement qu'ils voteront bientôt : les deux dernières semaines n'ont servi à rien (ok, à part à prendre quelques cuites en célébrant la gauche décomplexée... bon, soit : à prendre beaucoup de cuites en célébrant la gauche décomplexée... allez d'accord : tu as tellement célébré la gauche décomplexée que ton compte en banque te rappelle aujourd'hui les heures les plus sombres de la droite décomplexée). Si c'est ça le prochain quinquennat, ça va vraiment pas être drôle. Tu imagines déjà les éditos : La vie, le plancton et les bonnes réformes ; UMP : le split avant le reunion tour ? ; Hadopi, c'est fini. Et ainsi de suite. Si les polémiques des semaines qui viennent sont de savoir si Christiane Taubira a été indépendantiste dans sa jeunesse ou si Manuel Valls a été de gauche quand il avait vingt ans, il y a risque de bâillements. Une charte de déontologie, ça ne fait pas beaucoup rêver. Sarkozy a débarqué en augmentant son salaire, Hollande arrive en baissant celui de tout le monde. Qu'est-ce que tu peux répondre à ça ? Dire qu'il aurait aussi pu réduire le nombre de ministres ? Ah tiens, voilà, tu l'as dit. Mais bon, il a quand même baissé leurs salaires. Oui, mais il aurait pu aller plus loin.
Subitement et alors que tu cherches ton badge dans ta poche, tu entrevois une ouverture. Peine-à-jouir, toi ? Électeur de gauche. What else? Si les électeurs de droite étaient moitié aussi critiques que le sont les électeurs de gauche vis-à-vis de leur famille politique, on ne sortirait pas de dix ans d'UMP. C'est ça la clé : un gouvernement de droite, on aime ne pas l'aimer. Un gouvernement de gauche, on n'aime pas ne pas l'aimer, ce qui signifie pas pour autant qu'on l'aime à chaque instant. Comme te le disait une amie hier encore : "la Gauche, c'est un peu la famille. Tu as le droit de les critiquer mais à la fin, tu les aimes toujours parce que c'est ta famille, même quand ils disent des trucs qui ne te plaisent pas, tu ne peux pas t'en empêcher. On finit toujours par se réconcilier, même après les engueulades et même si on continue à se dire que certains sont agaçants et que d'autres feraient mieux de ne pas la ramener trop souvent"
Oui. Tu vas t'en sortir. Ça va être long. Ça ne se fera pas en quelques éditos. Il te faudra mieux les découvrir, ces gens. Les apprendre. Les apprivoiser. Ils ne seront sans doute jamais aussi bêtes et méchants que leurs prédécesseurs. Sans doute auras-tu parfois un petit pincement au coeur, une petite pensée pour Nadine, pour Xavier, pour les deux Valérie. Mais la vie continue.
Ne vous plaignez pas, vous ne vous êtes pas trouvé, vous, à élire l'opposition à votre majorité. Sentiment bizarre, pour le moins.
RépondreSupprimerBBB.
Vous savez les électeurs de gauche ont tous déjà vécu ça une fois. Remember ;)
SupprimerVous pensez sincèrement que j'ai voté Chirac au premier tour de 2002 ?
SupprimerVous pensez que je me soucie de ce que vous avez voté, mon ami ? ;)
Supprimer"La vie, le plancton et les bonnes réformes": maintenant tu es obligé de le faire (et je m'en réjouis :) ) Et sinon, comme tout bon électeur de gauche, attendons les législatives avant de gueuler?
RépondreSupprimerNon, je ne vois pas pourquoi. Et le fait que Montebourg vienne d'être maintenu dans ses fonctions malgré sa condamnation prouve bien qu'on aura pas à attendre longtemps avant de boire la tasse. C'est donc plus grave, dans l'esprit de Hollande, de perdre un siège de député qu'on utilisera pas (motif de renvoi immédiat) que d'être condamné. Bon.
SupprimerA mon avis le plus dur, ce sera de s'habituer aux promesses tenues. Heureusement avec un peu de chance, ce sera fini d'ici l'automne. Mais en attendant, drôle d'ambiance.
RépondreSupprimerJe sais de source sûre que Manuel Valls n'a jamais été de gauche. J'ai des preuves :-)
RépondreSupprimerDes gens disent l 'avoir vu un jour dans une voiture rouge...
Supprimerdéjà la gueule de bois? je pensais que ca viendrait plus tard...
RépondreSupprimer(pas mal, le commentaire de Bloom :)
Merci Xavier :-)
SupprimerOui, il est bon ce petit Bloom. Si j'ai besoin d'un suppléant un de ces quatre... ;-)
SupprimerOuais, moi aussi je suis un peu pessimiste. Pas sur le gouvernement hein, je m'en fous un peu. Je suis pessimiste pour l'avenir des éditos du Golb. On sent bien que celui là est douloureux. Combien de temps avant la retraite? Y aura t'il une saison 6 (ou 5? c'est la combien en fait?) Et que va devenir Alf? c'est son dernier dessin de Sarkozy, là il s'en sort encore mais après il va faire quoi? Ah la je crains le pire moi!
RépondreSupprimer@ Serious Moon : hé hé hé ;)... On en sait pas plus que toi (je parle pour moi, mais à mon avis Thom pense pareil). Mais c'est ça qui est intéressant; se dire qu'il y a danger. Wait and see...
RépondreSupprimerSinon au pire vous pourrez toujours faire des étidos sur la Belgique ;))
Supprimeroh non, Serious, la Belgique j'en mange tous les jours, moi aussi... et c'est pas très digeste ces derniers temps hein
SupprimerSi la Belgique éclate on fera un édito spécial : Alf écrira le texte et je ferai le dessin :-)
Supprimerre-chiche... rendez-vous dans 2 ans ;-?
SupprimerPourquoi deux ans ? C'est la date la fin du monde dans le calendrier flamand ?
SupprimerEntre le spleen et la foufoufuriosité, que choisir ?
RépondreSupprimerLes deux, mon général.
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