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Ce n'est peut-être pas la meilleure réédition de l'année, mais c'est probablement la plus pertinente. Pourquoi ? Les raisons ne manquent pas : la rareté, le fait qu'un pan considérable de la pop d'aujourd'hui pille sans vergogne les EPs de My Bloody Valentine, la qualité, le culte que les shoegazers vouaient à ce format, le fait que le plus gros de la carrière du groupe semble destiné à être éternellement projeté dans l'ombre du monument Loveless... alors qu'il est bien difficile de comprendre pourquoi ce dernier a été le dernier sans connaître ce qui a précédé... non vraiment, les raisons ne manquent pas. Mais ne brûlons pas les étapes et procédons par ordre.
EP's 1988-1991, dont l'intitulé a le mérite d'annoncer la couleur, n'est pas une intégrale, loin s'en faut. Ce qui fait l'intérêt de son édition conjointe aux re-sorties plus convenues des deux albums du groupe (Loveless, donc, et le tout aussi génial - quoique fort différent - Isn't Anything), c'est précisément ce choix de l'élaborer comme le chaînon manquant entre ces deux grands classiques, symboliquement à cheval entre deux décennies. Soit donc, répartis entre treize morceaux (plus autant sur le CD bonus, quoiqu'un cran en-deçà), quatre disques en trois années : You Made Me Realize, Feed Me with Your Kiss (1988 tous les deux), Glider (1990) et Tremolo (1991). Le premier paraissait quelques mois avant Isn't Anything ; le dernier, huit mois avant Loveless, dont il formulait à plus d'un titre la bande-annonce. On notera que dans la bataille et comme souvent avec Kevin Shields, les véritables débuts du groupes (six EPs tout de même avant la signature chez Creation) ont été oublié, ce qui est regrettable (Strawberry Wine a beau ne compter que trois titres, c'est un chef-d’œuvre). Mais passons.
Cette nécessaire mise à plat effectuée, on comprendra la démarche. Ou comment un groupe garage psyché un peu bruyant se sera métamorphosé en l'espace de trois ans en une entité inclassable qui révolutionnera si profondément la musique pop qu'aujourd'hui encore, certains artistes bâtissent des carrières entières sur des chansons comme 'Honey Power' ou 'Drive It All Over Me' (qui a dit The Pains Of Being Pure At Heart ? Comme vous êtes fripons...). Disposés de manière sagement chronologique, les morceaux témoignent de cette mue progressive, de cette déconstruction savante, partant d'un rock alternatif abrasif et un peu daté ('You Made Me Realize') pour aboutir aux vapeurs distordus de 'To Here Knows When', titre de Tremolo que l'on retrouvera quelques mois plus tard dans une version surnaturelle sur Loveless. Kevin Shields imprime peu à peu sa marque (boucles, décalages, cassures rythmiques typiques) tandis que Bilinda Butcher, qui a rejoint le groupe depuis moins d'un an lorsque paraît You Made Me Realize, trouve peu à peu sa voix, devenue depuis caractéristique d'une certaine scène anglaise de l'époque (même si, on l'oublie parfois, My Bloody Valentine était un groupe irlandais exilé à Londres).
La noisy-pop devient donc ici noise, presque pas à pas, mais pour ceux - que l'on imagine nombreux chez les plus jeunes - n'ayant jamais entendu la plupart des titres de cette compilation, celle-ci pourrait encore constituer une surprise supplémentaire. En ce sens qu'en dépit de la présence de titres spongieux et retors comme seuls les Dublinois savaient en faire ('Soon', 'Glider', les deux instrus "bonus" d'Isn't Anything...), EP's 1988-1991 présente le groupe sous une face particulièrement pop et renferme paradoxalement quelques unes des chansons les plus simples et rafraîchissantes que Kevin Shields, grand fan des Beatles et des Smiths, ait jamais composées. Si la postérité a voulu se souvenir du songwriter-producteur monomaniaque comme d'un genre de Mozart du bruit (ce qu'il fut aussi), c'est une toute autre histoires que raconte sa discographie lorsqu'on l'embrasse dans un son ensemble - c'est bien pourquoi cette réédition était pertinente et c'est bien pourquoi l'on ne peut que regretter qu'Ecstasy (*) ou This Is Your Bloody Valentine n'aient pas bénéficié de rééditions aussi luxueuses. Une pop-song comme 'Thorn' n'est que légèreté et candeur, trait d'union invisible entre MBV et le reste de la vague shoegaze (Ride, Lush, Curve, Slowdive... etc.), dont on parfois tendance aujourd'hui à le séparer... alors qu'elle n'existerait tout simplement pas sans lui. Étrange destin quand on y pense, que de devenir à la fois l'un des groupes les plus cités et les moins connus de sa génération. Il m'est arrivé, je l'avoue, de me dire que si on avait cité Isn't Anything plutôt que Loveless dans les classements des 100 albums indispensables publiés depuis 1992, l'histoire du rock en eût été changée. On aurait en tout cas échappé à coup sûr à pas mal de groupes parmi les plus chiants et prétentieux des années 90/2000.
(*) Certes, Ecstasy a déjà été réédité conjointement à Strawberry Wine à plusieurs reprises, sous le titre Ecstasy & Wine.
Ce n'est peut-être pas la meilleure réédition de l'année, mais c'est probablement la plus pertinente. Pourquoi ? Les raisons ne manquent pas : la rareté, le fait qu'un pan considérable de la pop d'aujourd'hui pille sans vergogne les EPs de My Bloody Valentine, la qualité, le culte que les shoegazers vouaient à ce format, le fait que le plus gros de la carrière du groupe semble destiné à être éternellement projeté dans l'ombre du monument Loveless... alors qu'il est bien difficile de comprendre pourquoi ce dernier a été le dernier sans connaître ce qui a précédé... non vraiment, les raisons ne manquent pas. Mais ne brûlons pas les étapes et procédons par ordre.
EP's 1988-1991, dont l'intitulé a le mérite d'annoncer la couleur, n'est pas une intégrale, loin s'en faut. Ce qui fait l'intérêt de son édition conjointe aux re-sorties plus convenues des deux albums du groupe (Loveless, donc, et le tout aussi génial - quoique fort différent - Isn't Anything), c'est précisément ce choix de l'élaborer comme le chaînon manquant entre ces deux grands classiques, symboliquement à cheval entre deux décennies. Soit donc, répartis entre treize morceaux (plus autant sur le CD bonus, quoiqu'un cran en-deçà), quatre disques en trois années : You Made Me Realize, Feed Me with Your Kiss (1988 tous les deux), Glider (1990) et Tremolo (1991). Le premier paraissait quelques mois avant Isn't Anything ; le dernier, huit mois avant Loveless, dont il formulait à plus d'un titre la bande-annonce. On notera que dans la bataille et comme souvent avec Kevin Shields, les véritables débuts du groupes (six EPs tout de même avant la signature chez Creation) ont été oublié, ce qui est regrettable (Strawberry Wine a beau ne compter que trois titres, c'est un chef-d’œuvre). Mais passons.
Cette nécessaire mise à plat effectuée, on comprendra la démarche. Ou comment un groupe garage psyché un peu bruyant se sera métamorphosé en l'espace de trois ans en une entité inclassable qui révolutionnera si profondément la musique pop qu'aujourd'hui encore, certains artistes bâtissent des carrières entières sur des chansons comme 'Honey Power' ou 'Drive It All Over Me' (qui a dit The Pains Of Being Pure At Heart ? Comme vous êtes fripons...). Disposés de manière sagement chronologique, les morceaux témoignent de cette mue progressive, de cette déconstruction savante, partant d'un rock alternatif abrasif et un peu daté ('You Made Me Realize') pour aboutir aux vapeurs distordus de 'To Here Knows When', titre de Tremolo que l'on retrouvera quelques mois plus tard dans une version surnaturelle sur Loveless. Kevin Shields imprime peu à peu sa marque (boucles, décalages, cassures rythmiques typiques) tandis que Bilinda Butcher, qui a rejoint le groupe depuis moins d'un an lorsque paraît You Made Me Realize, trouve peu à peu sa voix, devenue depuis caractéristique d'une certaine scène anglaise de l'époque (même si, on l'oublie parfois, My Bloody Valentine était un groupe irlandais exilé à Londres).
La noisy-pop devient donc ici noise, presque pas à pas, mais pour ceux - que l'on imagine nombreux chez les plus jeunes - n'ayant jamais entendu la plupart des titres de cette compilation, celle-ci pourrait encore constituer une surprise supplémentaire. En ce sens qu'en dépit de la présence de titres spongieux et retors comme seuls les Dublinois savaient en faire ('Soon', 'Glider', les deux instrus "bonus" d'Isn't Anything...), EP's 1988-1991 présente le groupe sous une face particulièrement pop et renferme paradoxalement quelques unes des chansons les plus simples et rafraîchissantes que Kevin Shields, grand fan des Beatles et des Smiths, ait jamais composées. Si la postérité a voulu se souvenir du songwriter-producteur monomaniaque comme d'un genre de Mozart du bruit (ce qu'il fut aussi), c'est une toute autre histoires que raconte sa discographie lorsqu'on l'embrasse dans un son ensemble - c'est bien pourquoi cette réédition était pertinente et c'est bien pourquoi l'on ne peut que regretter qu'Ecstasy (*) ou This Is Your Bloody Valentine n'aient pas bénéficié de rééditions aussi luxueuses. Une pop-song comme 'Thorn' n'est que légèreté et candeur, trait d'union invisible entre MBV et le reste de la vague shoegaze (Ride, Lush, Curve, Slowdive... etc.), dont on parfois tendance aujourd'hui à le séparer... alors qu'elle n'existerait tout simplement pas sans lui. Étrange destin quand on y pense, que de devenir à la fois l'un des groupes les plus cités et les moins connus de sa génération. Il m'est arrivé, je l'avoue, de me dire que si on avait cité Isn't Anything plutôt que Loveless dans les classements des 100 albums indispensables publiés depuis 1992, l'histoire du rock en eût été changée. On aurait en tout cas échappé à coup sûr à pas mal de groupes parmi les plus chiants et prétentieux des années 90/2000.
👍👍👍 EP's 1988-1991
My Bloody Valentine | Sony, 2012
(*) Certes, Ecstasy a déjà été réédité conjointement à Strawberry Wine à plusieurs reprises, sous le titre Ecstasy & Wine.