mardi 22 mai 2012

A voté ? - Quête du père (de la Nation)

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Thomas Ducrès est un ami. Ce n'est pas le seul, mais c'est en revanche l'un des rares avec qui je ne me rappelle pas avoir fraternisé/m'être empaillé sur la politique - ce qui au terme de cinq années de Sarkozy relève indiscutablement de la performance. En fait, je crois que la première fois que je l'ai entendu évoquer le sujet, c'est très exactement le jour où il m'a parlé pour la première fois de ce livre. Ce qui est en soi assez symptomatique du projet en question.

Soit donc un électeur indécis - appelons-le Thomas même s'il voudrait parfois se donner des airs de Pierre Martin - partant sur les routes à la recherche de son bulletin de vote - autant dire de lui-même. Habitué à voter différemment d'une élection à l'autre, plutôt centriste dans l'absolu (tout est dit du mirage centriste dans cette phrase), d'ailleurs séduit par le futur MoDem lors des dernières présidentielles, tout prêt au début du livre à voter des deux mains pour DSK... le courageux journaliste a décidé que cette fois-ci, il allait y regarder plus près. Lire les programmes. Rencontrer les militants. Essayer réellement de trouver quel est son candidat, ce qui est toujours mieux que de faire un quizz idiot sur quiestmoncandidatpour2012.com1.

Évidemment, le concept aussi sympa soit-il contient ses propres limites quasiment dès la couverture. S'il ne vient certes pas du sérail et n'a, effectivement, pas une culture politique très affirmée (c'est patent), il n'en demeure pas moins un journaliste pourvu d'une culture générale nettement supérieure à la moyenne, et d'une capacité d'analyse et de traitement de l'information qui ferait sans doute envie à Pierre Martin. Mais passons, puisque le paradoxe, c'est que si Pierre Martin écrivait le même livre, on n'irait pas le lire. Avouons juste que le côté "je suis un gars comme tout le monde qui" est rarement un bon point de départ pour un texte, aucun lecteur ne rêvant secrètement de lire un livre parlant de son voisin Roger (ou Pierre ou Mohammed, ne soyons pas racistes2).

Cet aspect n'est donc pas le plus réussi de l'ouvrage, et ce n'est d'ailleurs pas celui poursuivi le plus ardemment, malgré quelques tentatives insistantes pour se donner l'air d'être représentatif d'une génération. Beaucoup plus intéressant (et amusant, et interpellant) est le récit picaresque en lequel se métamorphose peu à peu l'ensemble. Ou l'histoire d'un type ne connaissant les rouages de la machine politique que de loin, lui-même presque physiquement incapable de militer, découvrant un monde quasi parallèle qui le fascine au moins aussi souvent qu'il le laisse perplexe. Construit de manière basique (un parti = un chapitre, avec en guise de conclusion une synthèse de ce que l'auteur aime ou non dans chaque programme), écrit dans un style fluide en faisant un presque roman d'une grande facilité d'accès, A voté ? se lit quasiment d'une traite et sait faire de ses limites d'indiscutables qualités. L'alternance de rencontres avec des personnalités de premier plan (Rocard, Moati), de troisième plan ou tout simplement d'anonymes permet à l'ensemble de réunir un échantillon assez représentatif du spectre politique français, dans ce qu'il peut avoir de revigorant (l'inaltérable enthousiaste des militants, notamment les plus jeunes) aussi souvent qu'effrayant (le témoignage d'Eric Julliard sur son passage au MoDem, les hauts le cœur que notre auteur devenu aventurier doit réprimer en assistant au banquet des mille).

Dynamique et parfois terriblement drôle, A voté ? vaut presque autant pour ses nombreux paradoxes que pour ce qu'il dit d'une époque de dépolitisation croissante (possible que dans cent ans il serve avant tout à l'archéologie). Essayant de trouver un compromis improbable entre quête d'objectivité véritable et veine nouveaux reporters (soit donc l'inverse), le journalite France-trotter se prend parfois les pieds dans le tapis, se fendant d'une réflexion affreusement péremptoire pour le simple plaisir de la formule, alors que lui-même est lancé dans une recherche sincère (et souvent vaine) de fond. Il y a plein de défauts dans ce livre, et le reproche qu'on lui fera le plus souvent et le plus évidemment est sans doute d'être finalement assez léger en terme d'analyse politique. Ce serait mal comprendre le propos : A voté ? n'a pas la prétention folle d'aider le lecteur à faire son choix - c'est d'ailleurs bien pourquoi on le lit avec autant de délectation une fois la présidentielle passée3. A voté ? est avant le tout le vrai-faux roman d'un faux-vrai cynique observant avec empathie et gourmandise ceux qui arrivent à y croire. On ne sera d'ailleurs pas surpris, attention spoiler, de découvrir qu'aucun choix ne sera clairement établi au final. On s'y attendait franchement : comme dans tout bon livre, seul compte le voyage. Celui-là est suffisamment bon pour que, même une fois la lecture terminée, même une fois la présidentielle passée, je n'aie pas songé à demander à mon ami pour qui il avait voté.


👍 A voté ? - Électeur indécis recherche candidat désespérément 
Thomas Ducrès | Rue Fromentin, 2012


1. Je ne sais plus le titre mais vous voyez de quoi je parle, vous l'avez tous fait. Moi aussi d'ailleurs, et il m'a dit que j'étais un anar du centre. Pas faux.
2. Il est d'ailleurs amusant de noter que le candidat qui prend les plus belles baffes durant tout le livre est très exactement celui qui, lui aussi, revendique une forme de banalité : François Hollande, dont on sait ce qu'il en a été, accueilli la plupart du temps avec indifférence et/ou mépris, et qui est à peine plus évoqué que certains "petits" candidats (voire même que Frédéric Nihous ou Dominique de Villepin, finalement pas candidats du tout pour leur part).
3. C'est une formule rhétorique puisque personnellement je l'ai lu entre les deux tours. Je ne vous recommande tout de même pas de vous le garder au chaud pour 2014.

8 commentaires:

  1. La campagne ayant été d'une grande pauvreté littéraire, j'aurais tendance à me dire, pourquoi pas. Vais-je aimer, je n'ai pas l'impression, mais au moins, je n'aurais peut-être pas l'impression d'avoir lu cela mille fois.

    BBB.

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    1. Vous n'allez pas aimer (je vous gagne du temps).

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  2. Sans déconner tu as le temps d'avoir des amis avec tout ce que tu fais ? :D

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    1. Il a pas dit qu'il avait le temps de les voir ;)

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    2. Il a même des maîtresses!

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    3. Encore heureux. Sinon une génération entière de lectrices ne s'en remettrait pas !

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    4. Tu as des maîtresses petit frère ? On ne me dit jamais rien...

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    5. Pas Anonyme, visiblement à son regret ;)

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