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C'est terrible. C'est terrible mais il est devenu impossible de regarder Un village français sans se dire que le plus angoissant n'est pas ce que la série montre, mais ce qu'elle laisse imaginer de la destinée de ces personnages auxquels on a fini par profondément s'attacher mais qui pour leur part ont fini, souvent sans s'en apercevoir, par aller trop loin d'un côté ou de l'autre de la proverbiale zone grise. Daniel Larcher, héros trop ordinaire se battant jour après jour - et dans l'indifférence générale - pour ses concitoyens a-t-il la moindre chance d'échapper au peloton d'exécution à la Libération, tandis que - par exemple - Victor, chef de la résistance locale et politicard manipulateur ne lésinant pas sur l'antisémitisme, ne finira-t-il sans doute pas par être érigé au rang de héros ? Et Schwartz, qui oscille depuis trois ans d'une nuance à l'autre, au gré de ses coups de cœur ? Et Lucienne, la brave Lucienne, qui après avoir été involontairement mise enceinte par un Allemand se retrouve presque aussi involontairement impliquée dans des actes de Résistance ?... c'est horrible, mais paradoxalement le spectateur s'inquiète moins pour les personnages juifs, qui occupent la plus grande part de l'intrigue de cette saison quatre. Du point de vue narratif, leur destin est tranché. Leur histoire, aussi intolérable soit-elle, a déjà été écrite. Il n'y aura ni héros, ni miracle, ni grande évasion.
Il y a une forme de maladresse dans les artifices utilisés pour amener la question de la Shoah au premier plan. Des personnages qui réapparaissent subitement sans véritable explication (Sarah, Judith Morhange) et bien sûr ce train de déportés tombant providentiellement (pour les scénaristes) en rade à Villeneuve. On comprend bien la nécessité mais on n'est pas sûr de comprendre en revanche pourquoi les auteurs n'ont pas pris les devants en intégrant plus de personnages juifs dès le début de la série plutôt que de se retrouver à, littéralement, détourner un train. Ce n'est pas comme s'ils avaient découvert subitement il y a six mois qu'il allait falloir à un moment où un autre s'attaquer à ce difficile sujet1. Il y a une maladresse et en même temps, il y a une subtilité et une intelligence dans la manière dont la question de la déportation des Juifs est traitée ici. Déjà, il y a cet impact formel, qui entraîne comme une suspension du temps à la seconde où les prisonniers descendent du train. Série particulièrement rythmée dans la saison précédente, Un village français semble retenir subitement son souffle, ralentir, glisser dans sa propre temporalité. Combien de temps s'écoule-t-il entre les épisodes un et sept ? Quelques jours, sans doute, mais la situation humanitaire au sein de la prison de fortune se détériore tellement vite qu'à la fin, cela pourrait avoir duré une année entière.
Ces épisodes, qui entraînent un resserrement de l'intrigue et permettent de mettre d'autres caractères en valeur (ainsi Judith n'était-elle jusqu'alors qu'un personnage secondaire assez mal exploité, qui trouve ici une profondeur nouvelle, largement due au jeu dense et fin de Nathalie Cerda), sont évidemment parsemés de ces genres de petits one liner qui font le sel de la série depuis ses tout débuts. Le principe est simple et consiste à assaisonner une réflexion, dans la bouche d'un des protagonistes, paraissant en complet décalage avec ce que le spectateur sait de la réalité historique, manière sans doute un peu didactique - mais toujours efficace et même souvent amusante - de marquer la déconnexion totale des héros par rapport à la Grande Histoire qu'ils sont en train de vivre (voire d'écrire). Jusqu'ici, la technique faisait généralement sourire, malgré son acidité. Ce n'est plus vraiment le cas lorsque Crémieux, Juif et résistant émérite se targuant d'avoir des informations fiables, se fend d'un terrifiant "Pétain ne permettrait jamais qu'on touche aux Juifs français". Ce n'est pas la seule réflexion de ce genre que l'on trouvera au gré des épisodes mais celle-ci, lancée quelques minutes seulement après le début du premier, résume presque à elle seule la saison toute entière. La plupart des situations dramatiques à venir découleront plus ou moins d'une réalité si énorme, si inimaginable et si indicible que chacun à son tour finira par pécher par inconscience. Il faut voir cette scène incroyable dans laquelle Larcher et Mohrange tentent de convaincre l'un des prisonniers de ne pas s'échapper pour protéger les autres, parce que qu'il ne s'agit que de quelques mois dans un camp de travail "dans le pire des cas". Il y a de quoi rester tétanisé d'effroi devant ce que le soi disant bon sens humain est prêt à avaler... à voir ainsi ce que l'aveuglement est capable de faire à n'importe lequel d'entre nous. Pour le spectateur, bien sûr, il y a quelque chose d'invraisemblable et de choquant à constater ainsi qu'en 1943 encore, les Français persistent à avoir foi en Pétain (qui prépare forcément quelque chose et qui accepte forcément les conditions des Allemands en échange de contre-parties) et, plus fou encore, à accorder du crédit à la parole de l'Occupant. On le savait déjà, bien sûr, mais là, comme ça, immergé dans ce Village français presque anonyme... on le voit.
(1) Ils auraient évidemment aussi pu faire le choix de ne pas en parler de manière aussi frontale ; en matière de choix artistique, c'était défendable : rien ne les obligeait à la reconstitution allégorique d'un camp de concentration improvisé dans leur petit Village français. C'était moins défendable, on l'imagine, du point de vue mission de service public. Sans compter que c'eût pu être très mal interprété.
C'est terrible. C'est terrible mais il est devenu impossible de regarder Un village français sans se dire que le plus angoissant n'est pas ce que la série montre, mais ce qu'elle laisse imaginer de la destinée de ces personnages auxquels on a fini par profondément s'attacher mais qui pour leur part ont fini, souvent sans s'en apercevoir, par aller trop loin d'un côté ou de l'autre de la proverbiale zone grise. Daniel Larcher, héros trop ordinaire se battant jour après jour - et dans l'indifférence générale - pour ses concitoyens a-t-il la moindre chance d'échapper au peloton d'exécution à la Libération, tandis que - par exemple - Victor, chef de la résistance locale et politicard manipulateur ne lésinant pas sur l'antisémitisme, ne finira-t-il sans doute pas par être érigé au rang de héros ? Et Schwartz, qui oscille depuis trois ans d'une nuance à l'autre, au gré de ses coups de cœur ? Et Lucienne, la brave Lucienne, qui après avoir été involontairement mise enceinte par un Allemand se retrouve presque aussi involontairement impliquée dans des actes de Résistance ?... c'est horrible, mais paradoxalement le spectateur s'inquiète moins pour les personnages juifs, qui occupent la plus grande part de l'intrigue de cette saison quatre. Du point de vue narratif, leur destin est tranché. Leur histoire, aussi intolérable soit-elle, a déjà été écrite. Il n'y aura ni héros, ni miracle, ni grande évasion.
Il y a une forme de maladresse dans les artifices utilisés pour amener la question de la Shoah au premier plan. Des personnages qui réapparaissent subitement sans véritable explication (Sarah, Judith Morhange) et bien sûr ce train de déportés tombant providentiellement (pour les scénaristes) en rade à Villeneuve. On comprend bien la nécessité mais on n'est pas sûr de comprendre en revanche pourquoi les auteurs n'ont pas pris les devants en intégrant plus de personnages juifs dès le début de la série plutôt que de se retrouver à, littéralement, détourner un train. Ce n'est pas comme s'ils avaient découvert subitement il y a six mois qu'il allait falloir à un moment où un autre s'attaquer à ce difficile sujet1. Il y a une maladresse et en même temps, il y a une subtilité et une intelligence dans la manière dont la question de la déportation des Juifs est traitée ici. Déjà, il y a cet impact formel, qui entraîne comme une suspension du temps à la seconde où les prisonniers descendent du train. Série particulièrement rythmée dans la saison précédente, Un village français semble retenir subitement son souffle, ralentir, glisser dans sa propre temporalité. Combien de temps s'écoule-t-il entre les épisodes un et sept ? Quelques jours, sans doute, mais la situation humanitaire au sein de la prison de fortune se détériore tellement vite qu'à la fin, cela pourrait avoir duré une année entière.
Ces épisodes, qui entraînent un resserrement de l'intrigue et permettent de mettre d'autres caractères en valeur (ainsi Judith n'était-elle jusqu'alors qu'un personnage secondaire assez mal exploité, qui trouve ici une profondeur nouvelle, largement due au jeu dense et fin de Nathalie Cerda), sont évidemment parsemés de ces genres de petits one liner qui font le sel de la série depuis ses tout débuts. Le principe est simple et consiste à assaisonner une réflexion, dans la bouche d'un des protagonistes, paraissant en complet décalage avec ce que le spectateur sait de la réalité historique, manière sans doute un peu didactique - mais toujours efficace et même souvent amusante - de marquer la déconnexion totale des héros par rapport à la Grande Histoire qu'ils sont en train de vivre (voire d'écrire). Jusqu'ici, la technique faisait généralement sourire, malgré son acidité. Ce n'est plus vraiment le cas lorsque Crémieux, Juif et résistant émérite se targuant d'avoir des informations fiables, se fend d'un terrifiant "Pétain ne permettrait jamais qu'on touche aux Juifs français". Ce n'est pas la seule réflexion de ce genre que l'on trouvera au gré des épisodes mais celle-ci, lancée quelques minutes seulement après le début du premier, résume presque à elle seule la saison toute entière. La plupart des situations dramatiques à venir découleront plus ou moins d'une réalité si énorme, si inimaginable et si indicible que chacun à son tour finira par pécher par inconscience. Il faut voir cette scène incroyable dans laquelle Larcher et Mohrange tentent de convaincre l'un des prisonniers de ne pas s'échapper pour protéger les autres, parce que qu'il ne s'agit que de quelques mois dans un camp de travail "dans le pire des cas". Il y a de quoi rester tétanisé d'effroi devant ce que le soi disant bon sens humain est prêt à avaler... à voir ainsi ce que l'aveuglement est capable de faire à n'importe lequel d'entre nous. Pour le spectateur, bien sûr, il y a quelque chose d'invraisemblable et de choquant à constater ainsi qu'en 1943 encore, les Français persistent à avoir foi en Pétain (qui prépare forcément quelque chose et qui accepte forcément les conditions des Allemands en échange de contre-parties) et, plus fou encore, à accorder du crédit à la parole de l'Occupant. On le savait déjà, bien sûr, mais là, comme ça, immergé dans ce Village français presque anonyme... on le voit.
👍👍👍 Un village français (saison 4)
créée par Emmanuel Daucé & Frédéric Krivine
France 3, 2012
(1) Ils auraient évidemment aussi pu faire le choix de ne pas en parler de manière aussi frontale ; en matière de choix artistique, c'était défendable : rien ne les obligeait à la reconstitution allégorique d'un camp de concentration improvisé dans leur petit Village français. C'était moins défendable, on l'imagine, du point de vue mission de service public. Sans compter que c'eût pu être très mal interprété.
Rhôôô, y a vraiment personne qui a vu cette série ?
RépondreSupprimerPar pitié, quelqu’un-e qui l’a vue, laissez un commentaire, même un tout petit. Qu’on puisse enlever nos bonnets d’ânes et retourner en récré, quoi.
Moi je l'ai vue. Et je la trouve brillante, malgré les petits défauts relevés par Thomas sur cette saison. Ce n'est pas aussi génial que l'an dernier, mais ça reste une excellente série française.
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