jeudi 22 novembre 2012

R.E.M. - Nouvel air

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C'est là. Ici et maintenant. Nashville, printemps 1987. Neuf mois plus tôt, R.E.M. a réalisé son plus gros succès. Le single 'Fall on Me' est entré dans le Top 5. Et l'album dont il extrait, Lifes Reach Pageant, est devenu disque d'or en début d'année. Il est temps de lui donner une suite, sans tarder. De tailler dans le vif. Pour produire ce qui va devenir son cinquième LP, le groupe embauche un jeune trentenaire quasiment inconnu, un certain Scott Litt, pur produit de la scène college US – pas vraiment le genre de cas qui va transformer votre nouvel opus en machine de guerre FM. Et pourtant c'est là, maintenant, que R.E.M. devient le plus grand groupe du monde. Sans le moindre de début de commencement de contestation. Document, ce sera le titre de l'album, marque le début de ce miracle, ce truc incroyable, ce phénomène que personne n'a jamais vraiment su expliquer. Ou comment un groupe franchement intello, aux mélodies précieuses, aux textes incompréhensibles et au look franchement limite va parvenir à atteindre les sommets de la pop mainstream, vendre des palanquées de disques et, mieux encore, continuer à le faire durant les vingt-cinq années suivantes en changeant régulièrement de style, de tendance, le plus souvent à revers des modes.

Soyons réalistes, on ne l'expliquera pas plus cette fois-ci que les fois précédentes. Il y a quelque chose de magique dans le succès de R.E.M. (sans doute moins sur ses derniers et décevants opus... quoique), un mélange de génie, d'intuition et d'incroyable baraka qui en font l'exact opposé d'un U2. Ce groupe qui a surfé sur toutes les vagues, sauvé le monde trois fois, vendu son âme tous les deux ans et réécrit l'histoire de la pop à défaut de la marquer. L'année même où Bono chouine sur toutes les ondes qu'il ne peut pas vivre sans elle, Michael et les siens décrochent un premier vrai gros hit avec 'The One I Love', qui en est presque le double maléfique (enfin, c'est plutôt 'With or Without You' qui est l’œuvre du malin – on s'est compris). Un chanson incroyable de cynisme dont on ne comprendra jamais qu'elle soit devenue une classic love song (le texte était pour une fois explicite), balancée sur un rythme guilleret au milieu d'un album rageur, habité, se payant la tronche de Reagan ou jouant avec l'écriture automatique. Un truc tout en riff et en nerf, où l'on reprend Wire la bave aux lèvres ('Strange'), où les ténèbres sont omniprésentes ('Fireplace' et surtout la lancinante 'Oddfellows Local 151') et où, en toute logique, la fin du monde intervient à la moitié de l'album.

A album exceptionnel, réédition exceptionnelle : celle de Document prend le contrepied des précédentes, et même de la plupart des rééditions des dernières années. Oui, les faces B. ont dégagé (on s'est laissé dire qu'elles allaient ressortir incessamment sous peu sous une autre forme, et c'est tant mieux - personne n'avait envie de se priver de 'Time After Time'). Mais pas toutes. En fait, cette nouvelle édition amplifie ce que proposait l'ancienne, qui renfermait deux formidables lives acoustiques, 'The One I Love' et (surtout) 'So. Central Rain', d'une telle beauté dans cet apparat épuré que l'on a toujours eu depuis du mal à l'entendre en version album (sur Reckoning). Plutôt que de nous en priver, Document '2012 a l'excellente idée de carrément nous offrir le concert intégral, enregistré à Utrecht en 1987. Une initiative qui serait anodine pour à peu près n'importe quel groupe, et qui prend évidemment un tout autre sens appliqué à celui-ci, dont les parutions lives officielles se comptent sur les doigts d'une seule main et, surtout, sont toutes centrées sur la même période (la seconde moitié des années 2000, lorsque la Warner – qui imposa au groupe de recommencer à tourner après Up – commença à avoir besoin de remplir les caisses). En somme un live de R.E.M. en 87, ça ne se refuse pas, a fortiori celui-ci : toutes guitares dehors, le groupe témoigne d'une morgue à toute épreuve et envoie le bois sur pas moins de vingt titres dont certains ('It's End of the World' évidemment, 'Begin the Begin' forcément, 'Little America' fatalement) feraient rougir pas mal des pseudos punks d'aujourd'hui.

Dire que cela rehausse l'album initial serait sans doute un brin excessif, mais pour en faire l'une des rééditions incontournables de l'année, aucun problème. Il faut dire que... bon, ne le répétez, cela reste entre nous :

(Document est le meilleur album de R.E.M.)

(et de l'année 1987)

Je ne vous ai bien sûr rien dit.


👑 Document [25th Deluxe Anniversary Edition]
R.E.M. | I.R.S., 1987 ; EMI, 2012