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Dans une série télévisée, il n’y a sans doute qu’une seule chose qui soit plus délicate que de devoir modifier un casting : modifier un casting après plus de cinq ou six saisons. Ou comment changer un exercice qui s’avère déjà en soi particulièrement périlleux en une véritable mission impossible (série qui d’ailleurs n’a pas été confrontée à ce phénomène, son héros primitif ayant eu l’excellente idée de partir dès la fin de la saison 1).
Les cop shows, presque par essence habitués à s’inscrire dans le temps tant ils ont tendance à accumuler les saisons (et la fatigue), sont particulièrement touchés par cet épineux problème, quasiment insoluble dans l’absolu puisque après sept, huit, neuf ans à se lever tout les matins pour incarner le même foutu personnage, on peut comprendre que même un comédien qui serait le fan number one de son show finisse par nourrir des envies d’ailleurs. Quiconque a déjà mis les pieds sur le plateau de tournage d’une série télé sait – ou devine – à quel point l’exercice peut se révéler répétitif, stressant et fastidieux pour n’importe qui. Et pour cause, puisque la série, par définition, repose sur un principe de répétition dans le temps, voire d’habitus. C’est bien ce qui rend le remplacement de tout ou partie d’un casting délicat, pour ne pas dire contre-nature. On ne refait pas des épisodes d’exposition après dix ans. C’est absurde et quasi impossible à réussir, précisément parce que ce qui justifie que l’on soit encore en train de faire ce job au bout de dix ans, c’est que le spectateur revient chaque semaine devant sa télé comme s’il chaussait ses vieilles pantoufles, retrouvant des personnages (dont les aventures ne le passionnent souvent plus autant qu’avant) comme s’il se réunissait avec de vieux potes. Les mutations de casting ont ceci de paradoxal et finalement d’assez amusant qu’elles constituent une prise de risque dont, foncièrement, personne ne veut. Certainement pas la production, mais encore moins le spectateur, qui après tant d’années à avoir laissé un show s’ancrer dans ses habitudes a envie d’à peu près tout sauf de changement. Il préfèrera toujours s’accrocher de manière déraisonnable à des acteurs ou des personnages devenus des parodies d’eux-mêmes plutôt que de voir sa série (car elle est à lui plus qu’à n’importe qui d’autre) se transformer en… une autre série, qui ressemble peut-être beaucoup à la première, mais n’est assurément plus la sienne.
En théorie, une série de la franchise Law & Order devrait être plus préparée que n’importe quelle autre à ce genre d’éventualité. Lorsque l’on a géré des fluctuations de casting sur plus de deux décennies, le départ d’une star (en l’occurrence Christopher Meloni, probablement l’un des meilleurs acteurs de télé des quinze dernières années) devrait n’être qu’une formalité – c’est même d’ailleurs l’aisance avec laquelle L&O a su saquer quasiment tous ses personnages au fil du temps qui lui a précisément permis de rester plus de vingt saisons à l’antenne de NBC, en maintenant des scores d’audiences plus qu’honnêtes. Autant le dire, il s’agit là de l’exception, non de la règle. Car dans les faits, les producteurs de la franchise se sont échinés, dans la plupart de leurs spin-off, à faire l’inverse de ce qui fit le succès de la série originelle. Soit donc miser beaucoup – parfois trop – sur les personnages et leurs interprètes, au risque de trahir parfois leur esthétique de départ, qui était de se centrer sur les faits plutôt que sur leurs acteurs 1, produisant à la longue une œuvre anti-glamour et presque anti-spectaculaire. Malgré toute la sympathie que l’on peut avoir pour Chris Noth ou Jeff Goldblum, il n’est un secret pour personne que c’est au moment où ils furent appelés en renfort pour palier aux problèmes de santé de Vincent d’Onofrio que Law & Order : Criminal Intent commença à piquer du nez, pour finir à l’agonie, téléportée sur une chaîne de seconde zone (USA Network) et maintenue dans un triste – et vain – coma artificiel durant des dernières saisons où, comble de l’humiliation, on avait demandé à ses auteurs s’ils pouvaient simplifier leurs intrigues et essayer de se rapprocher de choses comme Les Experts. Avec un tel précédent, il faut bien reconnaître que le départ de Meloni résonnait surtout comme le proverbial dernier clou dans le cercueil d’un label dont Law & Order : SVU était désormais devenue l’ultime survivante, et pas dans le meilleur état au vu du niveau souvent très médiocre de sa déjà douzième saison.
Dès lors, quelle n’aura pas été la surprise du spectateur que de constater que non seulement le départ du personnage principal de la série avait été presque indolore, mais encore que celle-ci venait de s’offrir sa meilleure saison depuis de nombreuses années. Soit : « indolore » n’est probablement pas le mot juste. L’absence de Christopher Meloni est en fait plus compensée par la qualité des épisodes de cette saison 13 (la série a également changé de showrunner, et cela se sent) que par l’importance donnée aux nouveaux venus au générique, aussi bien castés (les comédiens) que relativement mal écrits (les personnages), puisque quasiment pas écrits du tout – dans la grande tradition lawandorderienne voulant que ce soient les interprètes plus que les scénaristes qui donnent corps aux caractères. Or, Danny Pino et Kelli Giddish, s’ils sont convaincants chacun dans son registre, ont une énorme épine dans le pied : Mariska Hargitay, qui devait devenir recurring avant de changer son fusil d’épaule à la dernière minute, leur bouffe tout l’espace, tout le temps, encouragée en cela par un staff donnant l’impression de se raccrocher à sa dernière star comme si la vie du show en dépendait. Rien n’est moins sûr tant la surexploitation du personnage d’Olivia Benson, autrefois équilibré par celui d’Elliott Stabler et désormais en roue libre, constitue le point faible d’une saison qui, par instants, se transforme en véritable Mariska Show. Mariska intervient dans une prise d’otage, Marsika a un nouvel ami (André Braugher, toujours impeccable), Mariska a un amoureux (Harry Connick Jr, toujours… euh… eh bien : toujours Harry Connick Jr), Mariska a des doutes, Mariska a du mal avec son nouveau partenaire, Mariska a (encore) des problèmes avec son frère, Mariska n’a pas de vie privée mais nous l’inflige quasiment à longueur de scènes… etc. Si encore Hargitay était bonne comédienne, cela pourrait passer, mais soyons lucides, elle n’est jamais qu’une actrice correcte parvenue à se confondre presque totalement avec son personnage, comme beaucoup de ses confrères ayant incarné le même rôle durant un tiers (!) de leur existence. Il faut tout de même attendre le quatorzième épisode pour que le personnage de Giddish, Amanda Rollins, soit un peu mis en lumière, elle qui comble de la punition se retrouve à faire équipe avec Ice-T – autant dire que dès le premier épisode elle n’avait aucune chance.
Il n’y a heureusement pas que cela, dans cette treizième saison, pour tenir le spectateur en haleine. Après quelques épisodes d’échauffement qui ne rassurent pas vraiment tant ils donnent l’impression d’une série en pilotage automatique 2, l’ensemble décolle enfin et rivalise en de nombreux instants avec le glorieux passé de la série, renouant avec ce qui faisait souvent défaut aux dernières de saisons de « l’époque Meloni » : ces intrigues sombres, tortueuses et imprévisibles qui ont fait la réputation de SVU ; tous ces scenarii partant d’une affaire banale pour progressivement basculer dans l’absurde, l’horreur ou le franchement dérangeant, dans lesquelles les personnages d’enquêteurs ne sont que des accessoires aux services d’histoires fortes, profondes, aux rebondissements aussi surprenants que parfaitement millimétrés. On ne vous refera pas un laïus sur les qualités d’écriture de la série, d’autant qu’il est probablement un peu tard pour convertir les réfractaires à un show non seulement ancien, mais multi-rediffusé par TF1 3 : depuis treize ans maintenant, on sait qu’une Unité spéciale en forme vaut mieux qu’à peu près n’importe quel procedural drama, et sur l’exercice 2011-12, elle a été indubitablement en (grande) forme. Le seul reproche qu’on ne pourra s’empêcher de formuler sera en creux : la saison 14, qui a débuté en septembre aux USA, ne tient (pour l’heure) pas vraiment les promesses de ce faux nouveau départ, qu’on aura dès lors du mal à présenter comme une seconde jeunesse. Mais ce n’est jamais qu’un détail tant peu de séries peuvent se vanter d’une telle constance dans la qualité après plus de cinq ou six saisons. Savourons, d’autant que compte tenu de l’évolution du paysage télévisuel américain depuis quelques années, il est très probable que cette génération de séries n’ait jamais de succession et que, SVU annulée, on ne retrouve pas de sitôt un programme capable de scotcher, happer et surprendre autant de gens chaque semaine durant plus d’une décennie.
1. On l’a oublié depuis belle lurette, mais ce fut d’ailleurs l’un des principaux reproches adressés à Dick Wolf par ses fans à l’époque où il commença à produire des spin-off de sa série-phare.
2. Dont le fameux épisode inspiré de l’affaire DSK, très attendu chez nous… et qui s’avère effroyablement mauvais et caricatural…
3. Certes à des heures indues et parfois dans le désordre.
Dans une série télévisée, il n’y a sans doute qu’une seule chose qui soit plus délicate que de devoir modifier un casting : modifier un casting après plus de cinq ou six saisons. Ou comment changer un exercice qui s’avère déjà en soi particulièrement périlleux en une véritable mission impossible (série qui d’ailleurs n’a pas été confrontée à ce phénomène, son héros primitif ayant eu l’excellente idée de partir dès la fin de la saison 1).
Les cop shows, presque par essence habitués à s’inscrire dans le temps tant ils ont tendance à accumuler les saisons (et la fatigue), sont particulièrement touchés par cet épineux problème, quasiment insoluble dans l’absolu puisque après sept, huit, neuf ans à se lever tout les matins pour incarner le même foutu personnage, on peut comprendre que même un comédien qui serait le fan number one de son show finisse par nourrir des envies d’ailleurs. Quiconque a déjà mis les pieds sur le plateau de tournage d’une série télé sait – ou devine – à quel point l’exercice peut se révéler répétitif, stressant et fastidieux pour n’importe qui. Et pour cause, puisque la série, par définition, repose sur un principe de répétition dans le temps, voire d’habitus. C’est bien ce qui rend le remplacement de tout ou partie d’un casting délicat, pour ne pas dire contre-nature. On ne refait pas des épisodes d’exposition après dix ans. C’est absurde et quasi impossible à réussir, précisément parce que ce qui justifie que l’on soit encore en train de faire ce job au bout de dix ans, c’est que le spectateur revient chaque semaine devant sa télé comme s’il chaussait ses vieilles pantoufles, retrouvant des personnages (dont les aventures ne le passionnent souvent plus autant qu’avant) comme s’il se réunissait avec de vieux potes. Les mutations de casting ont ceci de paradoxal et finalement d’assez amusant qu’elles constituent une prise de risque dont, foncièrement, personne ne veut. Certainement pas la production, mais encore moins le spectateur, qui après tant d’années à avoir laissé un show s’ancrer dans ses habitudes a envie d’à peu près tout sauf de changement. Il préfèrera toujours s’accrocher de manière déraisonnable à des acteurs ou des personnages devenus des parodies d’eux-mêmes plutôt que de voir sa série (car elle est à lui plus qu’à n’importe qui d’autre) se transformer en… une autre série, qui ressemble peut-être beaucoup à la première, mais n’est assurément plus la sienne.
En théorie, une série de la franchise Law & Order devrait être plus préparée que n’importe quelle autre à ce genre d’éventualité. Lorsque l’on a géré des fluctuations de casting sur plus de deux décennies, le départ d’une star (en l’occurrence Christopher Meloni, probablement l’un des meilleurs acteurs de télé des quinze dernières années) devrait n’être qu’une formalité – c’est même d’ailleurs l’aisance avec laquelle L&O a su saquer quasiment tous ses personnages au fil du temps qui lui a précisément permis de rester plus de vingt saisons à l’antenne de NBC, en maintenant des scores d’audiences plus qu’honnêtes. Autant le dire, il s’agit là de l’exception, non de la règle. Car dans les faits, les producteurs de la franchise se sont échinés, dans la plupart de leurs spin-off, à faire l’inverse de ce qui fit le succès de la série originelle. Soit donc miser beaucoup – parfois trop – sur les personnages et leurs interprètes, au risque de trahir parfois leur esthétique de départ, qui était de se centrer sur les faits plutôt que sur leurs acteurs 1, produisant à la longue une œuvre anti-glamour et presque anti-spectaculaire. Malgré toute la sympathie que l’on peut avoir pour Chris Noth ou Jeff Goldblum, il n’est un secret pour personne que c’est au moment où ils furent appelés en renfort pour palier aux problèmes de santé de Vincent d’Onofrio que Law & Order : Criminal Intent commença à piquer du nez, pour finir à l’agonie, téléportée sur une chaîne de seconde zone (USA Network) et maintenue dans un triste – et vain – coma artificiel durant des dernières saisons où, comble de l’humiliation, on avait demandé à ses auteurs s’ils pouvaient simplifier leurs intrigues et essayer de se rapprocher de choses comme Les Experts. Avec un tel précédent, il faut bien reconnaître que le départ de Meloni résonnait surtout comme le proverbial dernier clou dans le cercueil d’un label dont Law & Order : SVU était désormais devenue l’ultime survivante, et pas dans le meilleur état au vu du niveau souvent très médiocre de sa déjà douzième saison.
Dès lors, quelle n’aura pas été la surprise du spectateur que de constater que non seulement le départ du personnage principal de la série avait été presque indolore, mais encore que celle-ci venait de s’offrir sa meilleure saison depuis de nombreuses années. Soit : « indolore » n’est probablement pas le mot juste. L’absence de Christopher Meloni est en fait plus compensée par la qualité des épisodes de cette saison 13 (la série a également changé de showrunner, et cela se sent) que par l’importance donnée aux nouveaux venus au générique, aussi bien castés (les comédiens) que relativement mal écrits (les personnages), puisque quasiment pas écrits du tout – dans la grande tradition lawandorderienne voulant que ce soient les interprètes plus que les scénaristes qui donnent corps aux caractères. Or, Danny Pino et Kelli Giddish, s’ils sont convaincants chacun dans son registre, ont une énorme épine dans le pied : Mariska Hargitay, qui devait devenir recurring avant de changer son fusil d’épaule à la dernière minute, leur bouffe tout l’espace, tout le temps, encouragée en cela par un staff donnant l’impression de se raccrocher à sa dernière star comme si la vie du show en dépendait. Rien n’est moins sûr tant la surexploitation du personnage d’Olivia Benson, autrefois équilibré par celui d’Elliott Stabler et désormais en roue libre, constitue le point faible d’une saison qui, par instants, se transforme en véritable Mariska Show. Mariska intervient dans une prise d’otage, Marsika a un nouvel ami (André Braugher, toujours impeccable), Mariska a un amoureux (Harry Connick Jr, toujours… euh… eh bien : toujours Harry Connick Jr), Mariska a des doutes, Mariska a du mal avec son nouveau partenaire, Mariska a (encore) des problèmes avec son frère, Mariska n’a pas de vie privée mais nous l’inflige quasiment à longueur de scènes… etc. Si encore Hargitay était bonne comédienne, cela pourrait passer, mais soyons lucides, elle n’est jamais qu’une actrice correcte parvenue à se confondre presque totalement avec son personnage, comme beaucoup de ses confrères ayant incarné le même rôle durant un tiers (!) de leur existence. Il faut tout de même attendre le quatorzième épisode pour que le personnage de Giddish, Amanda Rollins, soit un peu mis en lumière, elle qui comble de la punition se retrouve à faire équipe avec Ice-T – autant dire que dès le premier épisode elle n’avait aucune chance.
Il n’y a heureusement pas que cela, dans cette treizième saison, pour tenir le spectateur en haleine. Après quelques épisodes d’échauffement qui ne rassurent pas vraiment tant ils donnent l’impression d’une série en pilotage automatique 2, l’ensemble décolle enfin et rivalise en de nombreux instants avec le glorieux passé de la série, renouant avec ce qui faisait souvent défaut aux dernières de saisons de « l’époque Meloni » : ces intrigues sombres, tortueuses et imprévisibles qui ont fait la réputation de SVU ; tous ces scenarii partant d’une affaire banale pour progressivement basculer dans l’absurde, l’horreur ou le franchement dérangeant, dans lesquelles les personnages d’enquêteurs ne sont que des accessoires aux services d’histoires fortes, profondes, aux rebondissements aussi surprenants que parfaitement millimétrés. On ne vous refera pas un laïus sur les qualités d’écriture de la série, d’autant qu’il est probablement un peu tard pour convertir les réfractaires à un show non seulement ancien, mais multi-rediffusé par TF1 3 : depuis treize ans maintenant, on sait qu’une Unité spéciale en forme vaut mieux qu’à peu près n’importe quel procedural drama, et sur l’exercice 2011-12, elle a été indubitablement en (grande) forme. Le seul reproche qu’on ne pourra s’empêcher de formuler sera en creux : la saison 14, qui a débuté en septembre aux USA, ne tient (pour l’heure) pas vraiment les promesses de ce faux nouveau départ, qu’on aura dès lors du mal à présenter comme une seconde jeunesse. Mais ce n’est jamais qu’un détail tant peu de séries peuvent se vanter d’une telle constance dans la qualité après plus de cinq ou six saisons. Savourons, d’autant que compte tenu de l’évolution du paysage télévisuel américain depuis quelques années, il est très probable que cette génération de séries n’ait jamais de succession et que, SVU annulée, on ne retrouve pas de sitôt un programme capable de scotcher, happer et surprendre autant de gens chaque semaine durant plus d’une décennie.
👍👍 Law & Order : SVU (saison 13)
créée par Dick Wolf
NBC, 2011-12 ; 2013 pour cette édition DVD
1. On l’a oublié depuis belle lurette, mais ce fut d’ailleurs l’un des principaux reproches adressés à Dick Wolf par ses fans à l’époque où il commença à produire des spin-off de sa série-phare.
2. Dont le fameux épisode inspiré de l’affaire DSK, très attendu chez nous… et qui s’avère effroyablement mauvais et caricatural…
3. Certes à des heures indues et parfois dans le désordre.