mercredi 13 février 2013

Jason Lytle - Paris est magique...

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Paris est magique, mais surtout au foot. Le reste du temps, Paris inquiète. Au foot aussi un peu, d'ailleurs. Parfois.

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Tout commençait bien, pourtant. C'était une soirée bonnet, et j'avais gardé le mien en entrant. De quoi accueillir comme se doit Aaron Espinoza, leader d'Earlimart, grand copain de Jason Lytle (ils jouaient ensemble dans l'excellent Admiral Radley) et spécialiste californien des bonnets rouges. On se sent parfaitement en phase, à tout le moins en terme de look, car il faut bien reconnaître que pour le reste la prestation n'a à peu près aucun intérêt. C'est faible vocalement, c'est faible en terme songwriting, c'est proche du néant en matière de présence scénique. Des fois, par éclats, c'est potable. Mais le plus souvent, on soupire en se disant que certains ont tout de même du bol d'avoir des copains talentueux et connus. Parce qu'à ce moment-là, bizarrement, on est convaincu – et le monde dans la salle ne fait rien pour nous détromper – que Jason Lytle est un mec un peu connu.

C'est juste après que le drame a lieu. Un drame qui n'a pas fait de bruit (c'est bien ce qui le rend horrible). Un drame discret, tiède comme une audience parisienne. Quand Jason Lytle foule enfin la scène (façon de parler puisqu'il restera assis dans son coin durant tout le set), j'avoue devoir réprimer une certaine émotion. C'est la première fois que je le vois "en vrai", comme on dit, après des années d'occasions manquées, que ce soit en solo ou en groupe. Et puis il y a ce sentiment de le choper au bon moment, après un album splendide (Dept. of Disappearance, sorti à l'automne dernier et unanimement acclamé par les douze personnes qui s'y sont intéressées), "peut-être son meilleur depuis The Sophtware Slump", dixit mon voisin (je ne suis pas d'accord mais le seul fait que quelqu'un puisse l'envisager indique déjà, en soi, que ce n'est pas le premier disque venu).

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Sauf qu'apparemment, je suis le seul à être un peu ému. Le reste du public semble être venu voir Jason Lytle comme s'il s'agissait de Jean-Pierre Dugeon (le célèbre songwriter auvergnat) ou de Robert Bidule (la légende du rock progressif neufchâtelois). Avec Lyle, qui est à côté de moi même si vous ne pouvez pas le voir, nous nous regardons non sans une certaine consternation. Parce que la salle - en tout cas la fosse - est remplie. La soirée affiche complet, mais l'ambiance est la même que s'il y avait trente personnes dans la pièce (et encore : trente personnes qui se seraient levées très tôt le matin, pas trente acharnés). "Amorphe", lâche mon comparse. J'approuve. De mémoire de vieux rats de concerts, aucun de nous deux n'a jamais vu une atmosphère si inversement proportionnelle à l'affluence, au point que l'on soit en droit de s'interroger sérieusement sur les raisons de la présence de gens qui frémissent à peine lorsque le songwriter entame son dernier single (l'excellent 'Get up & Go'), qui ne bougent même pas les lèvres sur les morceaux un peu connus, qui ne bougent même pas tout court en fait... et applaudissent finalement à peine plus un Lytle pourtant égal à lui-même qu'il n'applaudissaient Espinoza (que la moitié d'entre eux ne connaissait probablement pas) une demi-heure plus tôt. C'en est presque gênant, le dispositif du Café de la Danse étant susceptible de la plus grande cruauté vis-à-vis de la fosse : depuis l'estrade, on peut quasiment déchiffrer les visages des gens juste en-dessous, les scruter à loisir et donc, en l'occurrence, s'effarer de ne voir que des mines fermées, peu de sourires, et juste un ou deux courageux secouant la tête (comme par hasard des mecs portant des bonnets, signe de reconnaissance immédiat entre purs et durs, donc). Le reste de la masse semble dans l'expectative, voire se fait un peu chier (alors que le concert est très beau et renferme même, avec 'Matterhorn', un authentique moment de grâce), comme attendant plus ou moins ouvertement un tube qui ne viendra finalement jamais (il est certain que dans l'ensemble, l'assemblée n'a pas méritée que l'artiste s'abaisse à lui offre un 'A.M. 180' ou autre hymne imparable dont Grandaddy avait le secret ; compte tenu de la molesse du « bis », on peut même considérer qu'avoir droit à un rappel est en soi immense privilège). C'est dans ce genre de moment que l'on réalise à quel point un concert est réellement affaire de communion : Lytle a beau livrer une prestation honnête, pétrie de morceaux touchants, il est bien difficile d'entrer complètement dans un show à ce point dénué d'ambiance et de réponse collective. A la décharge du public, reconnaissons que Lytle, mutique et à ce point écrabouillé dans un coin qu'une partie de la salle doit à peine parvenir à le distinguer, ne fait pas grand-chose non plus pour communiquer ; il réussit même la prouesse de sembler encore plus distant et froid qu'un J Mascis, ce qui n'est pas peu dire. Mais allons : c'est tout de même Jason Lytle. Nul doute que lorsqu'il passe en Angleterre, en Allemagne ou même chez nous en province, il n'essuie pas un accueil aussi glacial, principalement composé d'applaudissement polis même pas très nourris. Chacun aura beau jeu de se renvoyer la balle, de dire que c'est l'autre qui a commencé, la vérité n'a dans le fond pas grande importance. Ça ne l'a pas fait, c'est tout. De dépit, j'en ai ôté mon bonnet en sortant.