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En fait, aller à un concert avec Lyle, c'est un peu comme de participer à un concours de vannes où il n'y a rien à gagner à la fin. Par respect pour les Von Pariahs, je m’énumérerais pas ici toutes les moqueries dont ils ont été les bien malheureuses cibles (bon, il y a quand même eu un très bon "même leurs fringues sont clichées", mais je crois qu'il était de moi), d'autant qu'en réalité ils ne méritent pas de moqueries particulières. Leur musique a beau être dépourvue du plus petit commencement de personnalité, il serait injuste de prétendre que leur set fut déplaisant. Dans le genre première partie, on a vu (beaucoup) plus irritant/désagréable/insipide. En fait, ces garçons ont malheureusement le défaut de beaucoup de groupes de leur génération (je n'ai évidemment aucune idée de leur âge, mais un ou deux d'entre eux au moins avaient l'air d'être fraîchement sorti de l’œuf), à savoir qu'ils ont ingurgité tellement d'influences et connaissent (souvent superficiellement, d'ailleurs (1)) tellement bien tous leurs classiques qu'ils semblent strictement incapables de s'en émanciper pour proposer quelque chose qui leur soit réellement propre. Reste, comme souvent aussi avec les groupes de leur génération, l'énergie déployée sur scène. Ceux-ci en ont a à revendre et la dépensent suffisamment bien pour qu'on passe un moment agréable, ce qui permet d'oublier certains gros airs de déjà-entendu par instants.
Là vous allez me dire que je me fous un peu de la gueule du monde car nous sommes tout de même venus voir un groupe qui, dans le genre "airs de déjà-entendu", se pose sacrément là. Vous aurez absolument raison. Agent Side Grinder danse en permanence (au propre comme au figuré, en l'occurrence) sur une zone invisible entre le groupe revival pompant outrageusement et celui qui, plus malin et courageux, arrive à insuffler de la vie dans sa pile de disques vintage. Si l'on est honnête cinq minutes avec soi-même, il arrive de temps à autre qu'on se demande si l'on reconnaît tel ou tel morceau parce qu'ils nous a réellement marqué sur disque ou simplement en raison de son côté extrêmement familier (un bon exemple avec 'Sleeping Fury', qui ouvre le set dans un mélange chimique parfait et un peu inquiétant entre 'Personal Jesus' et 'Tainted Love'). Un paradoxe qu'on avait déjà soulevé au moment de la sortie du très bon Irish Recording Tapes et que ni Hardware l'an passé, ni le concert de ce soir ne dissipe totalement : d'un côté, Agent Side Gringer sonne beaucoup plus revival que nombre de groupes post-punk/new-wave/truc-bidule-revival-des-années-80, avec des influences quasiment impossibles à occulter ; de l'autre, il s'avère aussi bien plus convaincant que nombre de groupes de la même mouvance, parfois moins référencés. Ainsi s'il est généralement bienvenu de dire d'un tel groupe qu'il évoque de grands noms mais parvient à les transcender, c'est tout de même assez faux dans le cas de celui-ci : la moitié des morceaux de ce concert évoquaient ni plus ni moins que des chutes de Depeche Mode (de très bonne facture au demeurant, s'agissant de choses comme 'Look Within', 'Rip Me' ou la toujours impeccable 'Wolf Hour'), en un peu plus industrielles peut-être (et encore).
Pourtant, on n'aurait pas idée d'aller dire qu'Agent Side Grinder est dépourvu de personnalité. Au contraire, on serait même tenter d'affirmer le contraire : la principale qualité du groupe par rapport à la concurrence immédiate, outre un répertoire généralement bien ficelé en terme de songwriting, c'est justement sa personnalité, dont Kristoffer Grip, silhouette blafarde évadée d'un roman de Gautier et pas de danse décalés, se fait sur scène le porte parole. Une personnalité totalement fétichiste, tellement que là où beaucoup de groupes à sa place auraient l'air de gentils poseurs, celui-ci transpire une forme d'authenticité intemporelle qui ne peut pas laisser complètement indifférent. "Cohérence" (de l'univers, du son, du ton et même des mélodies) et "Solidité" (du répertoire et de la prestation scénique) sont les mots qui viennent spontanément à l'esprit au moment où le groupe quitte la scène pour un truc ressemblant à un rappel (ç'a duré environ quatorze secondes, je ne saurais donc pas jurer que ce n'était pas une illusion provoquée par l'alcool). On se dit que le seul truc qui manque à ce groupe, dans ce fond, c'est peut-être un petit poil de folie - un facteur X qui viendrait justement menacer la solidité de l'édifice pour mieux la faire ressortir. Ça tombe bien, c'est pile le moment qu'Agent Side Grinder choisit pour entonner 'Die to Live', sa meilleure chanson et de loin, tube new wave monstrueux et rageur au milieu d'une (jolie) collection de (juste) bonnes chansons (constat largement partagé au vu de la réaction euphorique du public dès les premières notes). Comme le résumera avec justesse mon camarade et néanmoins patron en ces pages : "En fait pour passer au niveau supérieur, il suffirait juste qu'ils aient deux ou trois chansons aussi parfaites que la dernière." Allez les gars : au boulot.
1. Je parle en général, pas de ce groupe en particulier, on l'aura compris.