vendredi 15 mars 2013

Double ration de France

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Ah ! La France ! Ce magnifique pays ! Ce pays progressiste ! Le Pays des Lumières ! Mais si, vous savez : Les Lumières, ce truc dont n'importe quel citoyen ayant lu cinq bouquins se gargarise même s'il n'a qu'une très vague idée de ce que cela recoupe. Vous allez me dire qu'on se console comme on peut. Eh bien moi, c'est ainsi que je me console chaque fois que j'entends mes concitoyens, mes amis, mes frères... se lamenter durant plus de quatre secondes au sujet de la neige. Parce que vous n'y pensez pas, Monsieur ou Madame ? Nous sommes au XXIe siècle, que Diable ! Nous ne devrions pas être bloqués par la neige au XXIe. Osons même poser la question qui fâche : bordel de Dieu mais à quoi sert de vivre au XXIe si c'est pour être emmerdé par la neige comme le premier plouc du XXe venu ? C'est tellement ringard, la neige, quand on prend cinq minutes pour y réfléchir.

Vivant à Paris mais étant à peu près aussi parisien que PPDA est breton, j'assiste à la démultiplication du propos, car il faut bien reconnaître que Paris a la particularité d'être une ville tombant raide aux environs du cinquième flocon. Ici, dès qu'il neige un peu, plus rien ne fonctionne - ce qui explique que les gens adoptent des mines catastrophées par anticipation, dès le bulletin météo de la veille. Je ne laisse cependant d'être étonné par la fascination que le sujet semble provoquer chez les esprits les plus éclairés, ceux-là même qui, plongés dans une joie intense ou submergés par une rage sans fond, finiront quoiqu'il en soit par inonder leur Facebook de photos de leur rue enneigée (bah oui, il neige, ça ne s'arrête pas à l'entrée de ton lotissement, donc il neige aussi devant chez toi et même occasionnellement à ta fenêtre. Et ?...) Inconsciemment, la fascination se mêle à l'horreur - que dis-je ? à l'angoisse (celle du train qui n'arrive pas, celle du trottoir sur lequel Mémé Raymonde pourrait glisser, celle de la pénurie de soupe veloutée au Franprix du coin... celle d'un monde qui subitement ne tourne plus comme il le devrait). C'est généralement à ce moment-là que j'ai besoin de me consoler comme je peux.

Car c'est bien l'héritage des Lumières, ou disons son arrière-arrière-arrière petit bâtard consanguin, qui fait que mes concitoyens (mes amis, mes frères) semblent avoir tant de mal avec la neige. Comme le résumait fort bien mon épicier ce mardi, "c'est Dieu qui décide de la météo, nous ont doit juste accepter". J'espère évidemment que Dieu décide aussi de choses un peu plus importantes (mon épicier rétorquerait sûrement que rien n'est plus important que la Nature telle que Dieu l'a voulue), mais quoiqu'on en pense, mon épicier était sans doute bien plus proche d'une forme de vérité que ma collègue Françoise, qui trouve que c'est vraiment scandaleux que le XXIe siècle autorise la neige sur le périph' (en plus elle ne prend même pas le périph' pour venir bosser - elle est un peu conne, Françoise). Pourtant, Françoise a de quoi être fière : inconsciemment, elle est une héritière de Montesquieu1 - elle se définit d'ailleurs comme une vraie progressiste (et on est tous bien content pour toi, Françoise2). Bien sûr, elle ne le dirait jamais ainsi, et le nierait sans doute si je l'affirmais en la regardant droit dans les yeux (en même temps quelle idée d'affirmer des trucs droits dans les yeux quand on a Le Golb), mais au fond d'elle, de manière intime et intense quoique diffuse, Françoise sait bien que l'Homme se doit d'être supérieur à la Nature. Que ce n'est quand même pas la météo qui va décider de l'heure à laquelle elle va arriver au boulot. Qu'un TGV est plus fort qu'une plaque de verglas, d'ailleurs un TGV devrait dans l'absolu être plus fort que tout (sinon, autant vivre au Moyen Âge).


Elle est sympa, Françoise. J'opine toujours du chef lorsqu'elle parle, si ça se trouve elle croit que je l'écoute. L'autre jour, sa diatribe sur le manque d'organisation des pouvoirs publics m'a littéralement pris au tripes. Ces cons, ils savent bien qu'il neige tous les ans. Ils ne doivent même pas regarder la météo, c'est une évidence, sans quoi ils saleraient en avance (apparemment Françoise ne sait pas que ça ne servirait pas à grand-chose de saler la veille pour les intempéries du lendemain - je vous ai dit qu'elle était un peu conne ?) Mine de rien, c'est grâce à des gens comme Françoise que l'esprit des Lumières ne s'est pas encore totalement perdu dans notre pays. On le sait peu, mais les Lumières, c'était avant tout une bande de bon gros Français râleurs qui n'étaient jamais contents de rien. C'est grâce à la survivance de leur esprit que des gens comme Françoise existent, et c'est grâce à l'existence de gens comme Françoise que je peux me lever l'autre matin en entendant une chose aussi délicieuse que Dominique Bussereau, ancien ministre UMP des transports, "donner des bons et mauvais points" (sic) au gouvernement sur sa gestion de la neige. Dès le lendemain, Valérie Pécresse osait d'ailleurs prendre le sujet à bras-le-corps en réclamant (merci à elle, au nom des petits qui souffrent) l'ouverture d'une commission d'enquête. Sous ses airs badins, le sujet est vital, qui n'a de cesse de revenir chaque année déchirer les Français, sans que dans le fond quiconque soit parvenu à en trancher la principale question : la neige est-elle de Droite ou de Gauche ? Interrogation vertigineuse s'il en est, de celles susceptibles de faire vaciller les plus solides certitudes (la France, après tout, est aussi la patrie du doute cartésien). Personnellement, je n'ai pas d'avis. Je ne sais même pas si la France est de droite ou de gauche, alors la neige - pensez donc.

C'est qu'elle est tout de même un brin schizophrène, la France. Ce magnifique pays. Ce pays progressiste. Ce pays d'assistés. Il y a quelques jours encore circulait sur les réseaux sociaux un formidable tableau démontrant par A+B qu'il valait mieux gagner le RSA plutôt que travailler. Quiconque a testé les deux peut rapidement se prononcer sur cette pseudo polémique, mais dans le cas contraire Rue 89 s'est rapidement chargé de démonter cette (mauvaise) blague. Peu importe, à vrai dire, puisque le mal était déjà fait. Le succès de ce tableau bidonné, que j'ai tant de fois vu partagé sur Facebook (entre deux photos de rues enneigées) en dit plus qu'un long discours sur l'inconscient collectif de gens aimant tant à se dire progressistes, pragmatiques, modérés et que sais-je encore - pourquoi pas de Gauche pendant que nous y sommes ? On me rétorquera qu'il n'y a nulle schizophrénie là-dedans, et que l'on entend les mêmes cochonneries sur le RSA depuis des années. Rien de nouveau sous le soleil, on a tous pu noter en passant que passer à gauche n'a en rien bouleversé la mythologie (de plus en plus foisonnante et de moins en moins en prise avec le monde sensible... comme toute mythologie) de ce pays d'assistés. Il y a pourtant, lorsque l'on met tous les évènements de cette même journée bout à bout, un paradoxe étonnant : où se situe le véritable assistanat, entre le pauvre contraint d'accepter les aides misérables de l’État pour survivre, et une classe moyenne braillant parce que son avion ne décolle pas, qu'il y a trop de neige sur la route et que l’État ne fait pas son boulot correctement, avec tous les impôts qu'on paie, bordel de cul ? C'est ainsi que l'on aborde le libéralisme et l'étatisme, en France : à la carte, lorsque ce n'est pas sur mesure.

Quelques instants plus tard, alors que je suis planté devant RMC Découverte (on a tous nos petits secrets un brin dégueulasses), le dernier clou de la journée vient s'enfoncer dans le carton où j'ai déjà commencé de cacher ma tête. Après dix minutes de blabla sur la neige (il faudra un jour qu'on m'explique comment les télés font pour envoyer plein de correspondants sur des routes paumées du Calvados si celles-ci sont "totalement impraticables"), voici que tombe l'inévitable "question SMS du jour", comme souvent très relevée : Allocations familiales : faut-il privilégier ceux qui en ont le plus besoin ? La réponse m'a estomaqué : Non, à 65 %. Traitez-moi de naïf, mais celle-ci, je ne l'avais pas vue venir. Impossible de ne pas faire le lien entre toutes les informations. Impossible de ne pas se dire que les mêmes qui estiment que les allocations familiales sont un dû même s'ils pourraient largement s'en passer sont les mêmes qui pestent contre notre pays d'assistés. C'est une évidence. C'est bien parce que tous ces assistés le sont suffisamment qu'on ne va pas en plus se priver de nos allocs à leur profit. Nous aussi, on a droit à notre petit assistanat personnel. Vous comprenez, ça n'a rien à voir. C'est comme ça, c'est un droit. Quel intérêt sinon de vivre dans un pays d'assistés ? A quoi bon grandir au Pays des Lumières si, à la fin de la journée, l'Homme n'est pas supérieur à Dieu et ne rivalise même pas vaguement avec la Nature pour sauver les apparences ? Si l'on paie plein d'impôts qui aident tout le monde sauf nous, alors qu'on nous aussi on en veut, de l'aide - ne serait-ce que pour le principe ? Comme disait le célèbre philosophe des Lumières, L'Assistanat, c'est les autres.


1. Nous sommes bien d'accord que Montesquieu n'a en réalité rien à y voir.
2. Ici, je me dois de préciser que Françoise ne se prénomme évidemment pas Françoise. Et de me demander pourquoi mes collègues chiantes finissent presque toujours par s'appeler Françoise quand j'écris à leur sujet.

30 commentaires:

  1. Tu es injuste avec ma photo de rue enneigée. Je l'ai postée parce que...parce que... parce que........

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    1. Parce que tu voulais la montrer à ta cousine en Martinique (je t'aide...)

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  2. Petit forme, non, cette semaine ?

    Sur le fond, je ne suis pas d'accord. La France EST un pays d'assistés. Il y a des subsides de l'état pour tout, c'est un gaspillage permanent, et une conception du rôle de l'état que je réprouve. Là où je vous rejoins, c'est que, en effet, l'assistanat ne se limite pas aux pauvres. "Tout le monde en croque", si j'ose dire, et vous avez raison de le rappeler avec humour.

    BBB.

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    1. Non, la France n'est pas un pays d'assistés. C'est un pays dans lequel l'Etat est très interventionniste, ce qui n'est pas exactement la même chose.

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  3. Je serais curieux de savoir à quelle hauteur le Golb est subventionné.

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    1. Ouais et d'ailleurs qu'en est-il du projet de rendre le Golb payant évoqué dans un article en 2008? Quelles nouvelles? Quel est le verdict de la Cnil? :D

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    2. KLAK : Le Golb n'est pas peu fier de pouvoir dire qu'il ne touche pas le plus petit centime de subvention. Pis, il coûte de l'argent et en rapporte peu !

      SERIOUS : tu rigoles mais si tous les visiteurs uniques de chaque mois payaient ne serait-ce que 20 centimes, je serais blindé de pognon.

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    3. Il est beau l'apôtre de la gratuité de la culture :)

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    4. La golbitude, c'est quand même autre chose que de la vulgaire culture ;-)

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  4. Ca s'il y a bien une spécificité française débilissime c'est bien votre rapport aux intempéries. Mais que vous êtes RIDICULES avec ça, sérieusement :/

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    1. Je suis sûre que si on prenait le temps d'y réfléchir trois secondes, on en trouverait deux ou trois autres ^^

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  5. On a tous une collègue Françoise, c'est ça le pire.

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  6. Je relève les plus fortes occurrences de ce feuilleton :
    - "la neige" : la poudreuse ? C'est ainsi qu' "on se console comme on peut" ?
    - "Les Lumières" : AREVA, pour le dire ;

    "Valérie Pécresse osait d'ailleurs prendre le sujet à bras-le-corps" : ainsi, quand il n'y a plus de lumière, tu tiens la chandelle. Elle t'a consolé ?

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  7. J'ai été obligé de vérifier tellement j'y croyais pas : Pécresse a vraiment demandé l'ouverture d'une commission d'enquête. Priceless !

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    1. Je suis un peu vexé que tu oses ainsi douter publiquement du Golb :-(

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  8. Oui, oui à Paris, sûrement. Mais bon, dans l'ouest t'as quand même eu des scènes dingues et des gens dans une vraie merde (au point que ça a fait la une des journaux étrangers), faut donc pas non plus dans l'excès inverse.

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    1. Je ne vois pas vraiment le rapport. Je n'ai jamais dit que ça n'avait pas de causé des tracas réels.

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  9. moi au boulot il n'y a pas de Francoise. Par contre il y a plein de Francois... (et ils n'ont rien à voir avec the New Pope...)

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    1. Ah bon ? Tu veux dire qu'il sont tous pros mariage gay et avortement ? ^^

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  10. "Et de me demander pourquoi mes collègues chiantes finissent presque toujours par s'appeler Françoise quand j'écris à leur sujet."

    La réponse est évidente, c'est parce que Françoise sonne comme Française, et que ce prénom incarne donc la Bêtise humaine. De rien, tu as bien fait de demander.

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    1. On dit la connerie humaine, chez moi. Mais sinon tu as sûrement mis le doigt dessus.

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  11. mon pauvre, tu crois encore à l'évolution de l'espèce? alors que quasi tout le monde est nourri au jus de média (genre élévé au pis sous la téloche)...tu n'as qu'à compter le nombre de gus qui emploient l'expression "épisode neigeux", tu comprendras ta douleur^^
    le décor change, mais tout est identique, pas de souci là-dessus, pas de changement notoire depuis cro-magnon en fait et l'apparition du néo-cortex, chose toujours inexpliquée par nos brillants scientifiques (ou orang-outangs, au choix du lecteur^^), bienvenue chez pierre boulle!

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    2. Je vais te dire, je ne suis même pas loin de croire à la régression de l'espèce ^^ C'est incroyable, parfois, de constater à quel point le cerveau des gens est déformé par ce que tu appelles fort justement "le jus de média" (un jus pas très bon en plus, et rarement vivifiant comme un bon jus de pamplemousse...)

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  12. pensere qu'il pourrait y avoir une éventuelle régression, c'est juste une manifestation de prétention ou d'arrogance; c'est la même chose que d'habitude, seul le décor change, rien de plus, rien de moins.
    tiens je regarde le shakespeare nu sur arte, c'est assez amusant, il y a polémique sur l'identité de l'auteur de ses oeuvres, d'autant plus qu'en 1616, quand il a signé son testament, il a signé d'une signature différente à chaque page^^

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    1. Dans le genre "qui ne change jamais", les éternelles polémiques sur l'identité des grands dramaturges et sur qui-a-peut-être-ou-pas-mais-en-fait-on-sait-pas écrit leurs œuvres, ça se pose là ^^

      Amusante, cette histoire de signatures.

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