...
Il y a des semaines qui sont plus reposantes que d'autres. Les dix derniers jours ne l'étaient pas trop, reposants. Je n'ai pas fait la nouba, pourtant, je vous assure. Une ou deux folies peut-être, mais rien que de très raisonnable et de finalement assez peu arrosé (normal, dirons certains : je préparais mes deux matches internationaux). J'ai bien fait, notez, car vu la teneur de la semaine qui s'annonçait, j'allais avoir besoin de toutes mes forces pour contrôler les rires, les peines et les gros morceaux d'indignation qui n'arrêtent pas de se coincer entre mes dents.
J'ai commencé par regarder de loin le cirque médiatique entourant l'arrivée du nouveau Pape, non sans me dire que tout cela était joliment décalé par rapport au message de ce dernier. Les non-catholiques et les non-croyants ne mesurent sans doute pas à quel point, en l'espace de quelques jours, François a tout changé. Non que ce soit exceptionnel qu'un Pape prône la paix, l'amour, l'ouverture sur les autres religions et même les non-croyants, et prenne sur lui de veiller à protéger les plus faibles. Cela fait partie du cahier des charges, sauf que précisément, cela faisait bien longtemps que le cahier prenait la poussière dans un coin de l'étagère. Quand Ratzinger vous souhaitait d'aller dans la Paix du Christ, bizarrement, ça ne vous faisait pas grand-chose - moi non plus. Quand c'est un type souriant (il fait même des blagues !), au visage doux de gentil petit vieux, on a un peu en plus envie de croire en sa sincérité, surtout s'il se pique - comme il semble en prendre la direction - de recentrer les activités de son Église sur le soin apporté aux pauvres (bizarrement, pas un des conservateurs acharnés présents dans l'assemblée n'a moufté en hurlant à l'assistanat - fou comme nous sommes peu de choses). Il a suffi de quelques jours seulement pour que François (petite précision pour ceux que cela amuserait : on ne dit pas François Ier, le premier ne porte de numéro qu'à partir du moment où il en existe un second) devienne une superstar mondiale, un type crevant tous les écrans et, à l'évidence, sachant en jouer mieux que beaucoup d'autres. Nul doute que cette aptitude motiva nombre de cardinaux au moment du vote : enfin un type qui allait faire un peu de bien à l'image de l'Institution. Car évidemment, je rougis de ce cynisme mais il ne peut en être autrement de nos jours, François est une star largement fabriquée par des médias que son élection a totalement pris de cours. Ce n'est pas une vie, qu'il a eu : c'est une backstory digne des meilleures séries télé. On le jurerait marketé pour faire plaisir à tout le monde et à moi comme à d'autres, entre sa passion pour le foot, sa part d'ombres-mais-pas-trop, son manque de goût pour l'apparat et la petite anecdote finale qui tue : pensez donc que juste avant d'être élu, il songeait justement à se retirer au milieu des nécessiteux. En somme avant même de devenir Pape, l'homme était déjà un genre de superhéros hollywoodien, ce qui n'est jamais qu'une autre manière d'écrire la biographie d'un Saint. Si ça, ce n'est pas un boulot digne de la crème du storytelling contemporain, je ne sais pas ce que c'est. C'était donc ça qu'ils appelaient de leur vœux : un Pape moderne. Soit donc un Pape qui pourrait non se détacher de par ses prises de positions modernes, mais qui saurait plutôt incarner le monde moderne - pas nécessairement dans ce qu'il a de plus aimable ? Reconnaissons que c'était bien vu : l'autre matin, sur BFM TV, ils peinaient à cacher leur excitation de suivre un direct l'avènement d'un souverain pontife qui, pour une fois, semblait avoir été envoyé tout exprès pour eux. Ils n'en pouvaient tellement plus que non contents de diffuser sa première messe en intégralité, choix éditorial au minimum discutable, ils n'ont pas pu s'empêcher de la commenter tel un vulgaire de match de foot - au moins les derniers sceptiques savaient qu'il n'était nul besoin de s'offusquer de ce qu'un pays laïc accordât tant de place à un évènement liturgique : il n'y avait clairement là rien de sacré.
De toute façon, sur BFM TV, le seul truc qui est sacré, c'est la parole. La parole libre, déchaînée et de préférence en équilibre au-dessus du vide. A l'image du traitement de la correspondance : sur BFM TV, on fait des correspondances pour tout et de préférence n'importe quoi. Chaque information est en soi suffisamment évènementielle pour justifier l'envoi d'un journaliste sur place, y compris lorsque l'info ne se déroule dans un aucun endroit particulier. François Hollande va donner une interview ce soir sur France 2 ? Vite ! Retrouvons Adeline Delagnole en direct de l’Élysée (et pourquoi pas devant le siège de France 2, tant qu'à faire ?). Alors Adeline, que pouvez-nous dire sur cette interview qui n'a pas encore eu lieu ? La réponse est connue d'avance : rien. La pauvre ne sait même pourquoi elle est là. Elle, elle voulait faire reporter. Malheureusement, sur BFM TV, on n'aime pas trop le reportage. C'est fatigant pour le cerveau du spectateur. On préfère la correspondance, ça coûte moins cher et en plus, ça donne une impression de dynamisme bien pratique lorsque l'on n'a strictement rien à dire sur l'info que l'on commente. En plus, ça s'insère vachement mieux dans une édition spéciale.
Car la jumelle de Fox News est capable de faire des éditions spéciales pour tout et pour rien (l'interview de François Hollande le lendemain soir, le match France-Espagne, l'angine de Lady Carla Bruni...), au premier fait divers un peu vendeur, avec toujours le même art de peinturlurer le néant à grand renfort de couleurs chatoyantes et de sentences définitives rédigées au conditionnel. Sur une chaîne d'info normale, en cas de breaking news, il y a une vignette en bas de l'écran. Ce qui est déjà bien couillon. Sur BFM, il y en a une de chaque côté de l'écran, et on sent bien que si ça tenaient qu'à eux, ils en mettraient aussi en haut et au milieu, avec des trucs clignotants et de jolies images (voire des gif). On s'est beaucoup moqué d'eux l'an dernier, au moment de l'affaire Merah, qui donnait l'impression d'être la retransmission en direct d'un thriller hollywoodien mal ficelé avec Bruce Willis dans le rôle du négociateur qui quand même a une arme à la ceinture. N'ont-il pas été trop loin ?, s'interrogèrent des décrypteurs émus. C'était très injuste, sur le coup, car il faut savoir que BFM TV fait ça toute l'année et avec n'importe quel sujet. Les critiquer à ce moment-là avait à peu près aussi peu de sens que de subitement donner une Victoire de la Musique à un mec qui fait de bons disques tous les deux ans dans l'indifférence générale. Chez BFM TV, comme chez la concurrence mais de manière encore plus passionnée, on ne vit que pour la breaking news et le petit bandeau clignotant. Tout est prétexte à édition spéciale, tant que sont remplies les conditions optimales : dix spectateurs égarés et cinq experts dont personne n'a jamais entendu le nom jusqu'à la semaine dernière, de préférence des qui sont capable de froncer les sourcils et de prendre des airs très sérieux pour dénoncer toutes les évidences, rien que les évidences. C'est d'ailleurs un secret de polichinelle que BFM TV fait passer toute l'année des castings d'experts sur une multitude de sujets, juste histoires d'être prêts. Parce qu'on ne peut pas prendre n'importe quel expert, voyez-vous : il ne faudrait pas par exemple un choisir un à la capacité d'abstraction trop élevée, sans quoi il risquerait de vous péter entre les doigts et d'éclater de rire en se rendant compte que ça fait une heure et demi qu'il répète la même chose avec une formulation différente. Ça aussi du coup, c'est important : un bon expert BFM TV doit avoir un registre de langage varié, entretenu, et maîtriser au minimum une trentaine de champs lexicaux différents ; c'est le tarif requis pour espérer se retrouver un jour en plateau à commenter la démission de Jérôme Cahuzac en expliquant que, voyez-vous, c'est très embêtant pour le gouvernement, et aussi un peu pour Monsieur Cahuzac lui-même, ce pourri corrompu jusqu'à la moelle qui n'a que ce qu'il mérite mais enfin, Jean-Jacques, ne nous avançons pas et soyons respectueux de la présomption d'innocence. De fois, on les regarde et on se surprend à avoir envie qu'ils ponctuent le tout de vous n'allez pas me croire mais, histoire d'être bien certains qu'ils nous prennent pour des cons. Je trouverais personnellement que l'exercice de foutage de gueule généralisé aurait autrement plus de panache s'il était assumé, avec tout le cynisme dont sont capables les robinets à post-it factuels que sont devenus les médias depuis l'invention de l'infotainment. Les meilleurs moments des éditions spéciales de BFM TV, après tout, ne sont-ils pas ceux où l'expert commence par dire "Nous ne savons pas grand-chose" avant de se lancer dans vingt minutes de variations sur ce thème ?
Vous imaginez bien que la mise en examen de Sarkozy, c'était du pain béni pour eux. Tout y était pour les rendre dingos. Le seul truc un peu ennuyeux, un peu comme pour l'élection du Pape François, c'est que ça sortait un peu de nulle part et qu'ils n'avaient rien prévu, vu qu'ils ne s'y attendaient pas du tout. On imagine la panique dans la ruche qui sert de rédaction à BFM TV, le brans-le-bas de combat général et comment en dix minutes satura la messagerie vocale de Nadine Morano. Dans l'emballement collectif, les chaînes ont dû s'arracher les bons clients de l'ex-gouvernement, et ceux dont le téléphone ne sonnait plus depuis des mois de songer subitement à changer de numéro. Pas de bol, sur BFM, ils se sont réveillés trop tard : Nadine étant déjà prise, Henri ayant réservé la primeure de la sortie la plus surréaliste et antirépublicaine de la semaine à un autre organe de presse, ils se sont retrouvés avec Valérie Debord, qui depuis qu'elle a enlevé le Rosso de son patronyme semble avoir décidé de ne plus être un sous-produit de l'inaltérable Nadine. Consternation à la rédaction : tandis que la quasi totalité de l'UMP dégueule sa haine d'une justice libre et équitable sur tout ce que la France compte de micros, magnétos et dictaphones numériques, l'invitée du soir se met à enchaîner les déclarations plus modérées les unes et que les autres, appelant au respect de l'instruction et sans même balancer une seule saloperie sur le Juge Gentil (qui ne sait sans doute pas à cette seconde qu'il est en train de devenir une rockstar). On imagine en coulisse le directeur de la rédaction en train de bouffer ses fiches. Même moi, en tant que spectateur, je me sens un peu volé : pas une petite phrase, pas une minuscule pique, rien. BFM TV a développé un dispositif splendide avec des petits bandeaux, des experts, tout ce qu'il faut... et tombe malencontreusement sur la seule députée UMP qui n'est pas d'humeur à cracher sur la justice. Vraiment pas de bol. Pire : quelques minutes plus tard, alors que tout semble indiquer qu'une interview téléphonique de Christine Boutin va remettre les pendules à l'heure, voici que celle-ci, après avoir déploré l'état de ce pays de fou où la justice inquiète les politiques, se met à préciser que cela dit, elle aurait pu dire pareil à propos de Monsieur Cahuzac, pour qui elle a eu beaucoup de compassion et dont elle trouve la situation très injuste. Derrière la caméra, le rédac' chef commence à sérieusement songer au suicide. Avec une actu pareil, il va vraiment réussir à ne pas gratter le zapping ni être repris dans la compile quotidienne de Christophe Barbier ? Non. Impossible. Il faut réagir, admoneste-t-il son assistante, qui cherche en vain où elle a bien pu foutre le 06 de Frédéric Lefebvre. C'est alors qu'un salut retentit. Machinalement, tout le monde se retourne. Il est là. Le Sauveur. Il s'appelle Geoffroy Didier et ressemble un peu aux frères Bogdanov avant la chirurgie esthétique, mais il semble si peu rigolo et à ce point énervé que la rédaction tombe rapidement d'accord pour ne pas faire la fine bouche.
Je l'avoue avec un chouïa de honte, je ne connaissais pas ce Monsieur Didier, dont j'appris par la suite qu'il était l'un des plus farouches représentants de la déjà fort farouche Droite forte, sous-sous-courant de l'UMP (car l'UMP c'est un peu comme l'indie-rock : il y a tout plein de chapelles dont les noms qui font jolis mais ne permettent jamais vraiment de différencier le post-rock du slowcore) tout plein de haine de l'assistanat, de ras-le-bol de l'Islamisation de la société et de Guillaume Peltier (l'UMP, quoi - qu'est-ce que je vous disais dans la précédente parenthèse ?) Je me rappelle en avoir entendu parler pour la première fois le jour où cette bande de petit malins avait essayé de faire déposer la marque sarkozysme, ou gaullisme peut-être, enfin une initiative qui avait ulcéré à peu près tous leurs copains de l'autre Droite, la faible. Bref. Je ne connaissais pas Monsieur Didier, mais autant vous dire qu'en à peine quinze minutes, j'ai largement eu le temps de me familiariser avec le futur de la Droite française. Monté sur piles, hurlant à l'acharnement judiciaire, à la partialité, pour ne pas dire au complot. En coulisse, le rédac' chef a repris peu à peu des couleurs. Moi aussi, je ne vous le cacherai pas : de ce que j'avais vu depuis la terrible annonce (Sarkozy aurait des casseroles aux fesses, NOM D'UN PETIT BONHOMME ! Je ne l'avais franchement pas vu venir, comment se fait-il que BFM TV n'en ait jamais fait d'édition spéciale jusqu'ici ?), je commençais à sévèrement m'inquiéter pour l'avenir de l'UMP, dont je découvrais ainsi qu'il était assuré. L'assurance, d'ailleurs, voilà bien quelque chose dont le jeune homme ne manquait pas. Le journaliste du Monde auteur de Sarko m'a tuer ? Il le bouffe tout cru. La chroniqueuse de Valeurs actuelles, qu'on n'aurait pourtant pas spontanément été soupçonner de sympathies ultra-gauchistes ? Il lui inflige une véritable diatribe anti-médias. Autant vous dire que s'il a entendu ça, le Juge Gentil a dû être content d'être loin, là-bas au pays merveilleux de la province - dans la plus pure tradition sarkozyste, chaque phrase du véhément Monsieur Didier sonne comme un t'ar ta gueule à la récré. J'avoue avoir ressenti une petite bouffée de nostalgie en voyant ainsi le dénommé Didier s'agiter dans son bocal, conchier les institutions et bafouer ce que tout Républicain a de plus précieux avec ses éléments de langage si joliment intégrés. Vous savez ce que c'est : c'est quand le bonheur est là, juste devant nous, qu'on ne le voit pas. Vient-il à disparaître qu'on se met à l'entrevoir de tout côté. Ciel, qu'ils nous avaient manqué ! Dieu que l'on s'ennuyait sans eux ! Certes, comme toujours avec les remakes, même les plus maîtrisés, c'est évidemment moins bien. Dans la version originale, les mecs étaient au pouvoir, voulaient supprimer le juge d'instruction... ç'avait tout de même une autre gueule. S'ils ont deux sous de sens esthétique, il doit bien y avoir quelques mecs chez BFM TV qui regrettent aujourd'hui d'avoir couvert les présidentielles de manière si outrageusement anti-Sarkozy. Eux aussi, ça doit leur manquer. Après tout, le sarkozysme, c'est en grande partie leur créature. Et tout ces clowns vociférant des phrases prémâchées, réduisant le combat politique à un tweet clash et jetant cinq anathèmes à la minute... ce sont un peu leurs enfants, illégitimes et parfois un peu encombrants.
Il y a des semaines qui sont plus reposantes que d'autres. Les dix derniers jours ne l'étaient pas trop, reposants. Je n'ai pas fait la nouba, pourtant, je vous assure. Une ou deux folies peut-être, mais rien que de très raisonnable et de finalement assez peu arrosé (normal, dirons certains : je préparais mes deux matches internationaux). J'ai bien fait, notez, car vu la teneur de la semaine qui s'annonçait, j'allais avoir besoin de toutes mes forces pour contrôler les rires, les peines et les gros morceaux d'indignation qui n'arrêtent pas de se coincer entre mes dents.
J'ai commencé par regarder de loin le cirque médiatique entourant l'arrivée du nouveau Pape, non sans me dire que tout cela était joliment décalé par rapport au message de ce dernier. Les non-catholiques et les non-croyants ne mesurent sans doute pas à quel point, en l'espace de quelques jours, François a tout changé. Non que ce soit exceptionnel qu'un Pape prône la paix, l'amour, l'ouverture sur les autres religions et même les non-croyants, et prenne sur lui de veiller à protéger les plus faibles. Cela fait partie du cahier des charges, sauf que précisément, cela faisait bien longtemps que le cahier prenait la poussière dans un coin de l'étagère. Quand Ratzinger vous souhaitait d'aller dans la Paix du Christ, bizarrement, ça ne vous faisait pas grand-chose - moi non plus. Quand c'est un type souriant (il fait même des blagues !), au visage doux de gentil petit vieux, on a un peu en plus envie de croire en sa sincérité, surtout s'il se pique - comme il semble en prendre la direction - de recentrer les activités de son Église sur le soin apporté aux pauvres (bizarrement, pas un des conservateurs acharnés présents dans l'assemblée n'a moufté en hurlant à l'assistanat - fou comme nous sommes peu de choses). Il a suffi de quelques jours seulement pour que François (petite précision pour ceux que cela amuserait : on ne dit pas François Ier, le premier ne porte de numéro qu'à partir du moment où il en existe un second) devienne une superstar mondiale, un type crevant tous les écrans et, à l'évidence, sachant en jouer mieux que beaucoup d'autres. Nul doute que cette aptitude motiva nombre de cardinaux au moment du vote : enfin un type qui allait faire un peu de bien à l'image de l'Institution. Car évidemment, je rougis de ce cynisme mais il ne peut en être autrement de nos jours, François est une star largement fabriquée par des médias que son élection a totalement pris de cours. Ce n'est pas une vie, qu'il a eu : c'est une backstory digne des meilleures séries télé. On le jurerait marketé pour faire plaisir à tout le monde et à moi comme à d'autres, entre sa passion pour le foot, sa part d'ombres-mais-pas-trop, son manque de goût pour l'apparat et la petite anecdote finale qui tue : pensez donc que juste avant d'être élu, il songeait justement à se retirer au milieu des nécessiteux. En somme avant même de devenir Pape, l'homme était déjà un genre de superhéros hollywoodien, ce qui n'est jamais qu'une autre manière d'écrire la biographie d'un Saint. Si ça, ce n'est pas un boulot digne de la crème du storytelling contemporain, je ne sais pas ce que c'est. C'était donc ça qu'ils appelaient de leur vœux : un Pape moderne. Soit donc un Pape qui pourrait non se détacher de par ses prises de positions modernes, mais qui saurait plutôt incarner le monde moderne - pas nécessairement dans ce qu'il a de plus aimable ? Reconnaissons que c'était bien vu : l'autre matin, sur BFM TV, ils peinaient à cacher leur excitation de suivre un direct l'avènement d'un souverain pontife qui, pour une fois, semblait avoir été envoyé tout exprès pour eux. Ils n'en pouvaient tellement plus que non contents de diffuser sa première messe en intégralité, choix éditorial au minimum discutable, ils n'ont pas pu s'empêcher de la commenter tel un vulgaire de match de foot - au moins les derniers sceptiques savaient qu'il n'était nul besoin de s'offusquer de ce qu'un pays laïc accordât tant de place à un évènement liturgique : il n'y avait clairement là rien de sacré.
De toute façon, sur BFM TV, le seul truc qui est sacré, c'est la parole. La parole libre, déchaînée et de préférence en équilibre au-dessus du vide. A l'image du traitement de la correspondance : sur BFM TV, on fait des correspondances pour tout et de préférence n'importe quoi. Chaque information est en soi suffisamment évènementielle pour justifier l'envoi d'un journaliste sur place, y compris lorsque l'info ne se déroule dans un aucun endroit particulier. François Hollande va donner une interview ce soir sur France 2 ? Vite ! Retrouvons Adeline Delagnole en direct de l’Élysée (et pourquoi pas devant le siège de France 2, tant qu'à faire ?). Alors Adeline, que pouvez-nous dire sur cette interview qui n'a pas encore eu lieu ? La réponse est connue d'avance : rien. La pauvre ne sait même pourquoi elle est là. Elle, elle voulait faire reporter. Malheureusement, sur BFM TV, on n'aime pas trop le reportage. C'est fatigant pour le cerveau du spectateur. On préfère la correspondance, ça coûte moins cher et en plus, ça donne une impression de dynamisme bien pratique lorsque l'on n'a strictement rien à dire sur l'info que l'on commente. En plus, ça s'insère vachement mieux dans une édition spéciale.
Car la jumelle de Fox News est capable de faire des éditions spéciales pour tout et pour rien (l'interview de François Hollande le lendemain soir, le match France-Espagne, l'angine de Lady Carla Bruni...), au premier fait divers un peu vendeur, avec toujours le même art de peinturlurer le néant à grand renfort de couleurs chatoyantes et de sentences définitives rédigées au conditionnel. Sur une chaîne d'info normale, en cas de breaking news, il y a une vignette en bas de l'écran. Ce qui est déjà bien couillon. Sur BFM, il y en a une de chaque côté de l'écran, et on sent bien que si ça tenaient qu'à eux, ils en mettraient aussi en haut et au milieu, avec des trucs clignotants et de jolies images (voire des gif). On s'est beaucoup moqué d'eux l'an dernier, au moment de l'affaire Merah, qui donnait l'impression d'être la retransmission en direct d'un thriller hollywoodien mal ficelé avec Bruce Willis dans le rôle du négociateur qui quand même a une arme à la ceinture. N'ont-il pas été trop loin ?, s'interrogèrent des décrypteurs émus. C'était très injuste, sur le coup, car il faut savoir que BFM TV fait ça toute l'année et avec n'importe quel sujet. Les critiquer à ce moment-là avait à peu près aussi peu de sens que de subitement donner une Victoire de la Musique à un mec qui fait de bons disques tous les deux ans dans l'indifférence générale. Chez BFM TV, comme chez la concurrence mais de manière encore plus passionnée, on ne vit que pour la breaking news et le petit bandeau clignotant. Tout est prétexte à édition spéciale, tant que sont remplies les conditions optimales : dix spectateurs égarés et cinq experts dont personne n'a jamais entendu le nom jusqu'à la semaine dernière, de préférence des qui sont capable de froncer les sourcils et de prendre des airs très sérieux pour dénoncer toutes les évidences, rien que les évidences. C'est d'ailleurs un secret de polichinelle que BFM TV fait passer toute l'année des castings d'experts sur une multitude de sujets, juste histoires d'être prêts. Parce qu'on ne peut pas prendre n'importe quel expert, voyez-vous : il ne faudrait pas par exemple un choisir un à la capacité d'abstraction trop élevée, sans quoi il risquerait de vous péter entre les doigts et d'éclater de rire en se rendant compte que ça fait une heure et demi qu'il répète la même chose avec une formulation différente. Ça aussi du coup, c'est important : un bon expert BFM TV doit avoir un registre de langage varié, entretenu, et maîtriser au minimum une trentaine de champs lexicaux différents ; c'est le tarif requis pour espérer se retrouver un jour en plateau à commenter la démission de Jérôme Cahuzac en expliquant que, voyez-vous, c'est très embêtant pour le gouvernement, et aussi un peu pour Monsieur Cahuzac lui-même, ce pourri corrompu jusqu'à la moelle qui n'a que ce qu'il mérite mais enfin, Jean-Jacques, ne nous avançons pas et soyons respectueux de la présomption d'innocence. De fois, on les regarde et on se surprend à avoir envie qu'ils ponctuent le tout de vous n'allez pas me croire mais, histoire d'être bien certains qu'ils nous prennent pour des cons. Je trouverais personnellement que l'exercice de foutage de gueule généralisé aurait autrement plus de panache s'il était assumé, avec tout le cynisme dont sont capables les robinets à post-it factuels que sont devenus les médias depuis l'invention de l'infotainment. Les meilleurs moments des éditions spéciales de BFM TV, après tout, ne sont-ils pas ceux où l'expert commence par dire "Nous ne savons pas grand-chose" avant de se lancer dans vingt minutes de variations sur ce thème ?
Vous imaginez bien que la mise en examen de Sarkozy, c'était du pain béni pour eux. Tout y était pour les rendre dingos. Le seul truc un peu ennuyeux, un peu comme pour l'élection du Pape François, c'est que ça sortait un peu de nulle part et qu'ils n'avaient rien prévu, vu qu'ils ne s'y attendaient pas du tout. On imagine la panique dans la ruche qui sert de rédaction à BFM TV, le brans-le-bas de combat général et comment en dix minutes satura la messagerie vocale de Nadine Morano. Dans l'emballement collectif, les chaînes ont dû s'arracher les bons clients de l'ex-gouvernement, et ceux dont le téléphone ne sonnait plus depuis des mois de songer subitement à changer de numéro. Pas de bol, sur BFM, ils se sont réveillés trop tard : Nadine étant déjà prise, Henri ayant réservé la primeure de la sortie la plus surréaliste et antirépublicaine de la semaine à un autre organe de presse, ils se sont retrouvés avec Valérie Debord, qui depuis qu'elle a enlevé le Rosso de son patronyme semble avoir décidé de ne plus être un sous-produit de l'inaltérable Nadine. Consternation à la rédaction : tandis que la quasi totalité de l'UMP dégueule sa haine d'une justice libre et équitable sur tout ce que la France compte de micros, magnétos et dictaphones numériques, l'invitée du soir se met à enchaîner les déclarations plus modérées les unes et que les autres, appelant au respect de l'instruction et sans même balancer une seule saloperie sur le Juge Gentil (qui ne sait sans doute pas à cette seconde qu'il est en train de devenir une rockstar). On imagine en coulisse le directeur de la rédaction en train de bouffer ses fiches. Même moi, en tant que spectateur, je me sens un peu volé : pas une petite phrase, pas une minuscule pique, rien. BFM TV a développé un dispositif splendide avec des petits bandeaux, des experts, tout ce qu'il faut... et tombe malencontreusement sur la seule députée UMP qui n'est pas d'humeur à cracher sur la justice. Vraiment pas de bol. Pire : quelques minutes plus tard, alors que tout semble indiquer qu'une interview téléphonique de Christine Boutin va remettre les pendules à l'heure, voici que celle-ci, après avoir déploré l'état de ce pays de fou où la justice inquiète les politiques, se met à préciser que cela dit, elle aurait pu dire pareil à propos de Monsieur Cahuzac, pour qui elle a eu beaucoup de compassion et dont elle trouve la situation très injuste. Derrière la caméra, le rédac' chef commence à sérieusement songer au suicide. Avec une actu pareil, il va vraiment réussir à ne pas gratter le zapping ni être repris dans la compile quotidienne de Christophe Barbier ? Non. Impossible. Il faut réagir, admoneste-t-il son assistante, qui cherche en vain où elle a bien pu foutre le 06 de Frédéric Lefebvre. C'est alors qu'un salut retentit. Machinalement, tout le monde se retourne. Il est là. Le Sauveur. Il s'appelle Geoffroy Didier et ressemble un peu aux frères Bogdanov avant la chirurgie esthétique, mais il semble si peu rigolo et à ce point énervé que la rédaction tombe rapidement d'accord pour ne pas faire la fine bouche.
Je l'avoue avec un chouïa de honte, je ne connaissais pas ce Monsieur Didier, dont j'appris par la suite qu'il était l'un des plus farouches représentants de la déjà fort farouche Droite forte, sous-sous-courant de l'UMP (car l'UMP c'est un peu comme l'indie-rock : il y a tout plein de chapelles dont les noms qui font jolis mais ne permettent jamais vraiment de différencier le post-rock du slowcore) tout plein de haine de l'assistanat, de ras-le-bol de l'Islamisation de la société et de Guillaume Peltier (l'UMP, quoi - qu'est-ce que je vous disais dans la précédente parenthèse ?) Je me rappelle en avoir entendu parler pour la première fois le jour où cette bande de petit malins avait essayé de faire déposer la marque sarkozysme, ou gaullisme peut-être, enfin une initiative qui avait ulcéré à peu près tous leurs copains de l'autre Droite, la faible. Bref. Je ne connaissais pas Monsieur Didier, mais autant vous dire qu'en à peine quinze minutes, j'ai largement eu le temps de me familiariser avec le futur de la Droite française. Monté sur piles, hurlant à l'acharnement judiciaire, à la partialité, pour ne pas dire au complot. En coulisse, le rédac' chef a repris peu à peu des couleurs. Moi aussi, je ne vous le cacherai pas : de ce que j'avais vu depuis la terrible annonce (Sarkozy aurait des casseroles aux fesses, NOM D'UN PETIT BONHOMME ! Je ne l'avais franchement pas vu venir, comment se fait-il que BFM TV n'en ait jamais fait d'édition spéciale jusqu'ici ?), je commençais à sévèrement m'inquiéter pour l'avenir de l'UMP, dont je découvrais ainsi qu'il était assuré. L'assurance, d'ailleurs, voilà bien quelque chose dont le jeune homme ne manquait pas. Le journaliste du Monde auteur de Sarko m'a tuer ? Il le bouffe tout cru. La chroniqueuse de Valeurs actuelles, qu'on n'aurait pourtant pas spontanément été soupçonner de sympathies ultra-gauchistes ? Il lui inflige une véritable diatribe anti-médias. Autant vous dire que s'il a entendu ça, le Juge Gentil a dû être content d'être loin, là-bas au pays merveilleux de la province - dans la plus pure tradition sarkozyste, chaque phrase du véhément Monsieur Didier sonne comme un t'ar ta gueule à la récré. J'avoue avoir ressenti une petite bouffée de nostalgie en voyant ainsi le dénommé Didier s'agiter dans son bocal, conchier les institutions et bafouer ce que tout Républicain a de plus précieux avec ses éléments de langage si joliment intégrés. Vous savez ce que c'est : c'est quand le bonheur est là, juste devant nous, qu'on ne le voit pas. Vient-il à disparaître qu'on se met à l'entrevoir de tout côté. Ciel, qu'ils nous avaient manqué ! Dieu que l'on s'ennuyait sans eux ! Certes, comme toujours avec les remakes, même les plus maîtrisés, c'est évidemment moins bien. Dans la version originale, les mecs étaient au pouvoir, voulaient supprimer le juge d'instruction... ç'avait tout de même une autre gueule. S'ils ont deux sous de sens esthétique, il doit bien y avoir quelques mecs chez BFM TV qui regrettent aujourd'hui d'avoir couvert les présidentielles de manière si outrageusement anti-Sarkozy. Eux aussi, ça doit leur manquer. Après tout, le sarkozysme, c'est en grande partie leur créature. Et tout ces clowns vociférant des phrases prémâchées, réduisant le combat politique à un tweet clash et jetant cinq anathèmes à la minute... ce sont un peu leurs enfants, illégitimes et parfois un peu encombrants.
pour le pape, le plus intéressant, c'est qu'il est jésuite (vertu de l'ordre: l'obéissance au saint-siège, perinde ac cadaver); entre l'obéissance absolue et la pointe de la recherche en sciences humaines, par exemple, ça risque d'être fun (voir le sort de teilhard de chardin il y a quelques années^^)
RépondreSupprimerOui, je me suis fait la même réflexion. Enfin "fun"... on se comprend :-)
SupprimerJ'avoue que je me suis bien barré. En même temps fox news est encore pire que ça mais c'est vrai que bfm est en bonne voie pour bien rivaliser d'ici quelques années. En tout cas la description était bien marrante :D
RépondreSupprimerC'est presque du littéral, en fait.
Supprimerje suis sûr que la manif de la semaine dernière a remis un coup de gaz à Boutin, et qu'elle va redevenir vindicative d'ici peu...
RépondreSupprimerLes gens connaissent mal Christine Boutin. Il faut se rappeler (bon il faut être assez vieux pour) qu'avec elle ne devienne célèbre au moment du PACS, Boutin était considérée comme représentant une aile plutôt centriste de la Droite. Et en effet, quand on écoute Christine Boutin (quand on l'écoute vraiment, je veux dire) si on lui parle d'autre chose que de religion et d'homosexualité, on s'aperçoit que c'est effectivement une personne étonnamment modérée qui a souvent mené des combats plutôt sociaux. Mais ça évidemment, on ne le dit jamais car les médias adorent en faire le grenouille de bénitier de service. Tout ça pour dire qu'en réalité, les propos que je relate dans cet article ne sont pas étonnant du tout venant d'elle.
SupprimerOh là, désolé pour les fautes, je me lève à peine ^^
SupprimerCruel, mais tellement juste...
RépondreSupprimerLes chaines infos sont un éloge du vide, et BFM encore plus que les autres.
Bien entendu, c'est la plus regardée...
Bien entendu, c'est la plus facile.
SupprimerAllez, je me dévoue pour défendre BFMTV. Je te trouve un peu dur, je regarde tous les jours et personnellement je trouve ça moins pire qu'on le dit (et que tu le dis). Pas pire qu'une autre chaîne info et même, un peu mieux. Tu te moques des experts mais au moins si tu restes branché deux heures dessus (ce qui m'arrive au bureau), tu ne vois 3 fois le même reportage à peine remonté. Il y a à boire et à manger, mais en comparaison, sur le contenu, I-télé à partir de 9-10h du matin il repassent les mêmes trucs jusqu'au 13h et en plus mettent "direct" alors qu'on voit très bien que ce n'est pas vrai. Est-ce que c'est mieux que BFM ? Je ne trouve pas. Concernant le traitement du fond c'est pareil, je ne vois pas de vraie différence.
RépondreSupprimerParce que tu crois que sur BFM TV ils ne repassent pas les trucs inlassablement remontés ? Sérieusement ? Qu'ils ne font pas des faux directs ? Mais tu rêve, mon pote, tu rêve :-)
SupprimerBizarrement, plutôt d'accord avec FF. Je n'aime pas les chaînes d'info, que tu résumes très bien avec la phrase "avec toujours le même art de peinturlurer le néant à grand renfort de couleurs chatoyantes et de sentences définitives rédigées au conditionnel." Pourquoi celle-ci plutôt qu'une autre ?...
RépondreSupprimerOui, toutes les chaînes infos tombent plus ou moins sous le coup de la discussion. Mais oui aussi, BFM TV offre une version totalement outrée de ce que font les autres.
SupprimerQuant à pourquoi elle... ben j'étais devant ce jour-là, qu'y puis-je ? ^^
Je ne regarde pas assez pour savoir si tu dis vrai, donc, on va dire que je te fais confiance :)
SupprimerExcellent :-)
RépondreSupprimerLa droite forte c'est aussi et surtout les mecs qui voulaient imposer des quotas de journalistes de droite à la télé, le truc de dingue. Ils font un peu pitié mais au second degré ça peut passer ^^
Aaaaaaah ! C'était eux ! Décidément, ils me plaisent de plus en plus.
SupprimerJe m'inquiète : tu ne serais pas redevenu du gauche, par hasard ? ;-)
RépondreSupprimerJoker :-)
Supprimer"il y a tout plein de chapelles dont les noms qui font jolis mais ne permettent jamais vraiment de différencier le post-rock du slowcore" : oui, allo ? :-)
RépondreSupprimerJ'ai pensé très fort à toi en écrivant cette phrase ;-)
SupprimerTrès intéressant, ce que vous écrivez sur le Pape.
RépondreSupprimerL'austérité du personnage de Ratzinger avait, je suis de votre avis, quelque chose de préservant. Ce n'était pas une bête médiatique, cela lui a souvent été reproché, mais est-ce un mal de ne pas être une bête médiatique ? Est-ce cela que l'on attend d'un Pape ? Sous couvert de plaisanterie, vous soulevez des questions pertinentes.
BBB.
Je n'ai pas de réponse à ces questions mais, oui, je me le suis posées.
SupprimerChristine Boutin:"Mais pourquoi ne peut-elle plus vivre? Parce qu'elle dit qu'elle souffre mais il y a les médicaments qui peuvent empêcher cette souffrance, parce qu'elle est difforme mais la dignité d'une personne va au-delà de l'esthétique de cette personne.»
RépondreSupprimerChantal Sébire voulait mourir parce qu'elle souffrait mille morts.