Qui suis-je ?

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Je suis le meilleur groupe de ma génération, mais j'ai l'air moins vieux que ce qui reste de mes contemporains.

J'aime le punk, le hardcore, le metal et la noise. Et aussi le blues - mais chut.

Par contre je n'aime pas les ballades. Tellement pas que j'ai réussi à ne jamais en enregistrer une seule en plus de vingt-cinq ans de carrière. Autant dire que nous ne sommes pas nombreux dans ce cas.

J'ai inspiré toute une scène rien qu'avec mon premier single, mais je n'ai jamais eu le quart du dixième du succès de mes suiveurs. Faut dire que je ne l'ai jamais trop cherché non plus.

Pour me venger, je les ai tous laissés mourir, ou splitter ou se reformer ou juste vendre leur cul - bref : perdre tous leurs fans tandis que moi, les rares que j'avais m'élevaient au rang de groupe culte.

J'ai seulement publié neuf albums en vingt-cinq ans, mais j'ai ma conscience pour moi car je peux jurer qu'aucun n'était même moyen.

J'en ai vendu quelques uns, mais j'ai toujours sauvegardé l'essentiel : je n'ai jamais été hype, je n'ai jamais été cool, je n'ai jamais été repris ni par des chanteuses pop en quête de respectabilité ni par des vieux ringards cherchant à recoudre leurs hymens.

Ah et puis aussi : j'aime bien les lapins.

J'ai signé sur une major, découvert le fric et MTV, mais ça m'a fait chier alors du coup, je suis reparti aussi sec sur mon petit label indé de toujours, sur lequel j'ai publié quasiment tous mes disques et qui, en fait, est un peu chez moi. Il faut dire aussi que sans moi, ce petit label indé qui depuis le temps n'est plus si petit que ça - il est même devenu célèbre et respectable... eh bien sans moi, il n'aurait jamais existé, puisque tout l'argent qu'il a gagné avec mon premier single, je l'ai encouragé à le réinvestir pour développer d'autres gens. Autant dire les choses simplement : sans moi, 90 % des groupes de ma ville ne seraient jamais sortis de leur garage. Certains m'en savent gré, même si la plupart m'ont très vite oublié. Je m'en fous, parce que ce qui compte pour moi, c'est d'être libre, de faire ce que j'aime, comme je l'aime, et fuck tous ces connards qui croient qu'on a besoin d'une major et de la presse pour avoir une carrière. J'ai passé l'essentiel de la mienne à prouver le contraire et plus je vieillis, moins j'intéresse le mainstream, et plus je continue à le prouver. A la longue, je suis devenu plus qu'un groupe de rock indépendant : je suis le rock indépendant. Le vrai. Le seul, peut-être. Au fil d'années qui sont devenues des décennies, j'ai regardé la scène local s'épanouir, péricliter, renaître. Moi, j'étais toujours là. Ni au-dessus ni en-dessous : juste là, à côté. D'acteur, je suis devenu spectateur puis parrain, ombre tutélaire. Vingt-cinq ans après mon premier disque, douze groupes sonnant exactement comme moi débarquent chaque mois, signent, ont une chronique et deux news sur Pitchfork pour finir par disparaître. Moi, je suis toujours là. Ce n'est pas que je sois devenu immortel, c'est juste que personne ne peut me remplacer parce que personne ne sait faire ce que je fais aussi bien que moi. Quand je publie un disque, les gens ont presque tendance à l'aimer avant même de l'avoir entendu, juste parce que c'est moi et que ce que je leur procure, plus personne aujourd'hui n'arrive à leur procurer.

Alors vous avez deviné qui je suis ?

👍 Vanishing Point 

Mudhoney | Sub Pop, 2013