Ce samedi, Marie France sera sur la scène du Réservoir pour interpréter en intégralité son album culte 39 de fièvre, sommet de la pop française paru chez RCA en 1981. L'occasion ou jamais d'exhumer l'article paru l'an passé sur Interlignage ; la chanteuse iconique, adulée sur Le Golb, nous avait alors reçu chez elle à l'occasion de la sortie de son dernier opus (Kiss).
La première chose que l’on remarque, ce sont ses jambes. N’allez pas vous imaginez des choses. C’est tout simplement qu’elle est allongée sur son canapé1 en train de réaliser un phoner et que, de là où nous sommes, dans l’entrée, c’est la seule partie de Marie France que l’on voit. Et rien que cette partie nous stresse déjà. Mais allons. Les plus grands ayant célébré sa beauté, on se doute bien que l’avis de Thomas Sinaeve, chroniqueur chauve, bedonnant et râleur, ne lui effleurerait même pas l’oreille.
Entre nous, quelle idée saugrenue de partir à la rencontre d’un personnage aussi complexe et intimidant que Marie France ? Et chez elle, de surcroît. Et encore à l’occasion de la sortie d’un album que l’on aime peut-être un peu moins que les précédents (même s’il reste – nous l’avons dit dans ces pages – un disque pop plus que recommandable) ? Encore n’avait-elle pas alors été faite chevalière des arts et lettres, comme c’est le cas depuis quelques jours !
Rétrospectivement, tout portait à croire, avant même de descendre la rue2, que ce serait une mauvaise interview. Disons-le tout de go : ce fut le cas. En partie par impréparation. En partie parce qu’à force de voir Marie France jouer de multiples rôles au travers de ses chansons ou de ses performances, on ne savait finalement pas vraiment quelle genre de personne elle était au civil. On n’est d’ailleurs pas sûr de le savoir maintenant. De mémoire, on a rarement vu interviewé(e) passer par autant d’états en un seul entretien. Midinette l’espace d’une seconde, d’une grande froideur l’instant d’après, puis basculant dans une forme de séduction hautaine (et exquise), puis encore partant d’un beau rire franc ou décidant d’improviser quelques mesures d’Est-ce que vous avez du feu ?, trois secondes après nous avoir houspillé pour une info (effectivement) incomplète… ces quarante minutes de Marie France furent un étrange condensé de toutes les facettes que l’on croise sur ses albums.
Marie France est une star. Peut-être la plus grande qui se soit jamais invitée dans ces pages. Lorsqu’on lui demande qui elle est, elle répond qu’elle est « l’artiste ». Ce n’est sans doute pas faux au sens où elle l’entend. Mais elle parle comme une star, pense comme une star et bouge comme une star. Elle était probablement déjà une star bien avant d’être une star. Que 90 % de la population du pays ne connaît pas, mais star quand même, star presque quintessentielle. C’est une évidence qui semble avoir frappé toutes les personnes qui ont croisé sa route. Elle-même ne le formule évidemment pas ainsi, mais lorsqu’elle raconte ses débuts, en 69 à l’Alcazar, c’est exactement ce qui en ressort. Aussi bien dans la manière dont Jean-Marie Rivière va lui faire confiance que dans sa façon de rapidement devenir, de son propre aveu, « un peu capricieuse, un peu princesse » (vous m’en direz tant).
Marie France est une star, et comme toute vraie star, elle n’a pas d’âge. Même si elle prend la peine de préciser celui qu’elle avait en 1969, même si on n’est pas trop mauvais en maths et même si sa date de naissance est connue… l’information se perd rapidement dans les méandres de la discussion. Elle nous aurait dit sa pointure de chaussures que le résultat eût été le même. La femme qui nous fait face, à califourchon sur cette chaise3, ressemble trait pour trait à celle qui, appuyée et tendue contre une voiture, comme prête à bondir, figure sur la pochette de l’album 39 de fièvre (1981). Bien vue d’ailleurs, cette pose. Ni trop lascive ni trop provocante. Une excellente bande annonce à l’album (indispensable) qu’elle introduit (sinon à tous les albums suivants), et qui marque le passage de Marie France à la dimension supérieure, après deux 45 tours brillants parus en pleine épopée punk4 et quelques années à être « une petite étoile filante dans Paris. » Ce qui l’aura amenée, outre à faire causer dans Rock & Folk et Best, « et aussi ailleurs, puisque j’avais déjà tourné avec Téchiné et plusieurs réalisateurs d’avant-garde », à croiser la route de Jacques Duvall et Jay Alanski – Beautiful Losers autoproclamés et précurseurs du rock chanté en français : « Ils ont cassé leur tirelire pour faire leur premier disque avec moi, et moi mon premier disque avec eux. » Une rencontre dont c’est peu dire qu’elle aura compté, puisque trente-cinq ans après et malgré quelques infidélités, Duvall signe encore l’intégralité des textes de Kiss, paru en début d’année. Un second album de Marie France avec « ses petits fantômes », comme on se rappelle l’avoir entendue les appeler un jour cinq minutes avant de leur confisquer la scène. On avait alors été subjugué par l’aisance avec laquelle la performeuse avait métamorphosé ce groupe, qui jouait son propre set (celui de Miam Monster Miam) quelques instants plus tôt, en son groupe. En l’espace d’une seconde et le temps d’une poignée de morceaux, c’était devenu un concert de Marie France et l’on ne se rappelait plus qui l’on était venu voir. « Ah mais de toute façon quand j’arrive en scène elle m’appartient, le groupe qui est là c’est à moi. Désolée pour ceux qui prendraient la mouche », sourit-elle.
Marie France est plusieurs. Comme nous tous, mais un peu plus. Le plaisir d’être sous les projecteurs, de jouer avec le public autant que les musiciens – de jouer au sens d’interpréter… on sent bien que cela fait partie des choses qui font courir Marie France, encore aujourd’hui et sans doute depuis les tout débuts, lorsqu’à peine sortie de l’adolescence elle se piquait d’aller demander à Jean-Marie Rivière ce qu’elle pourrait bien faire pour quitter les coulisses. « En fait je savais que je voulais être sur scène, je savais que je voulais chanter », confie-t-elle, « mais je ne savais pas quoi faire. » (si ça, ce n’est pas une parole de star-née). Alors forcément, quand un beau jour et une poignée de décennies plus tard, Jacques propose à Marie France de rejoindre ceux qui s’appellent encore Phantom le temps de jouer "Daisy" et "Déréglée"… difficile de résister, d’autant qu’elle « dit toujours oui pour Duvall ». Un special guest qui marque en fait le début d’un nouveau chapitre palpitant : « Une semaine plus tard ils me demandaient si je voulais faire un album ». Ce sera Phantom featuring Marie France. Tout simplement l’un des meilleurs albums de la décennie passée. Une merveille d’humour et de sensualité, entre garage, pop et blues, où Miam Monster Miam atteint des sommets et dans laquelle Duvall se transcende, enchaînant les petits chefs-d’œuvre aigres doux ("Les Nanas", "J’arrête", "Que sont-ils devenus ?"… on pourrait quasiment citer tous les morceaux). On sait que l’expert en désespoir belge écrit pour tout un tas de gens, demeurant reconnaissable même sur les mauvais albums et dans les projets les plus alimentaires. Mais à l’écoute de Phantom featuring Marie France et donc désormais de Kiss, dont la moindre virgule semble coller à la peau de la chanteuse, on se permettra de légèrement moduler la phrase : Jacques Duvall écrit pour tout un tas de gens et pour Marie France. Ce n’est certainement pas l’intéressée qui nous contredira : « il me connaît très bien, je connais très bien son univers… pour l’interprète que je suis c’est du gâteau, de chanter du Duvall. Et je crois que ça continuera longtemps, tant qu’il sera aussi inspiré et généreux. C’est agréable, avec eux. Comme un jeu. » Il vaut mieux, vu que le parolier a tout de même pris – quasiment depuis le début – la fâcheuse habitude de dessiner Marie France en vampirella croqueuse d’hommes et légèrement domina sur les bords, bizarre mélange de Glenn Close et de Marilyn avec qui les histoires d’amour (ou pas) finissent toujours très mal (pour les mecs). « Pour moi c’est presque quelque chose de théâtral. C’est vrai que ça donne l’image d’une fille cruelle – que je suis peut-être sans m’en rendre compte. Enfin je lui inspire ça, mais ça va, je le prends comme des rôles de composition. Et ce n’est pas tout. Comme chanter "Bleu"… "Bleu", c’est la fragilité. Ou "Ménage à trois", qui est un peu le prolongement de "Je ne me quitterai jamais"5. Moi, mon ombre et mon reflet… » De toute façon, elle en joue de cette image, sur scène ou en interview (à une ou deux reprises on sentira souffler le vent du boulet, Marie France n’étant pas du genre à faire semblant d’être d’accord avec vous pour avoir l’air polie, et l’espace d’un clignement de cils, on la verra apparaître – puis se planquer aussitôt – cette femme fatale qui fascine tant Duvall). Un peu plus tôt dans la discussion, alors qu’on lui demandait si elle avait déjà refusé de chanter une chanson et qu’elle évoquait une histoire de petit chien renversé par une voiture6, l’anecdote s’était ainsi logiquement terminée par un mutin « Un garçon qui se ferait écraser, à la limite, mais un petit chien : non. » Ce qui ne l’empêche pas d’ajouter, de manière très subite et assez déstabilisante : « Non, c’est vrai, j’ai fait pleurer. Mais je paie l’addition aujourd’hui ». Qu’ajouter à cela ? Nous choisirons courageusement l’hypothèse rien.
Oui, ce fut un entretien bizarre, et cette dernière réflexion n’est qu’un exemple parmi d’autres. Il est toujours plus difficile d’aborder une star. On sait qu’il y a peu de chance qu’on lui tape dans le dos pour lui dire au revoir, et si Marie France sait être tout à fait aimable, elle sait aussi garder une distance suffisante pour que l’on n’ose pas les familiarités que l’on se permet avec tant d’autres. On la sentira d’ailleurs un peu piquée au vif après lui avoir demandé – en toute candeur et sincèrement curieux – ce qu’elle faisait entre deux albums, ceux-ci ne paraissant pas, c’est le moins qu’on puisse dire, de manière très régulière. « Hé, je prends mon temps mais je travaille quand même ! » Et d’ajouter, sibylline : « Et puis à part ça, il y a la vie. La vie prend beaucoup de temps. » Le tout assorti d’un sourire voulant tant dire qu’il faudrait quasiment lui consacrer un article entier.
En concert samedi prochain – le 18 – au Réservoir (Paris XI). Entrée libre.
1. Qui était peut-être un sofa ou une méridienne, en fait, je ne me rappelle plus précisément, la rencontre ayant eu lieu il y a plusieurs mois.
2. Marie France et moi-même sommes quasiment voisins.
3. Quelle curieuse position, quand j’y pense…
4. Daisy/Déréglée en 1977 et Los Angeles/Marie-Françoise se suicide.
5. Deux des chansons les plus étonnantes et émouvantes de Marie France, respectivement présentes sur Phantom featuring Marie (2008) et 39 de fièvre.
6. Précisons d’ailleurs que bien que n’apparaissant pas dans cet article, l’adorable petit chien de Marie France a activement participé à notre discussion.
Ça fait plaisir de relire ce super article.
RépondreSupprimerFinalement je pourrai peut-être me libérer demain, je t'y verrai donc si tu viens :)
ah bah d'accord, cinq jours sans article et on a une rediff? putain de service public! :)
RépondreSupprimerJe pense que tu vas toi-même comprendre où est le malentendu ;-)
Supprimer(et putain faut vraiment que tu fasses un truc pour les spams c'est pas possible, bon heureusement c'est jamais sur le dernier article mais c'est quand même chiant pour suivre les discussions)
RépondreSupprimerMalheureusement je ne vois vraiment pas quoi faire... et crois, ça me bouffe aussi.
SupprimerFormidable artiste, formidable album, très bon article.
RépondreSupprimerJ'aurais aimé pouvoir venir.
Mais moi, les concerts...
Amitiés,
BBB.
Oh là là, pauvre petit papi :-)
SupprimerJe ne serais pas dispo, mais j'aurais bien aimé. Marie France est quand même une figure fascinante et très talentueuse. Super article (encore une fois)
RépondreSupprimerTu aurais dû venir, c'était très bien :-)
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