[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - Hors série N°10]
C'est fou comme le monde a changé depuis trente ans. Même dix. C'est dingue comme tout est différent, tout en ayant tellement l'air pareil. Ce site vieillit un peu plus chaque année et je vois son lectorat rajeunir, et je me dis que certains des gens qui traînent ici aujourd'hui sont des gosses n'ayant aucune idée de ce à quoi ressemblait le monde lorsque j'étais moi-même un gosse. C'est un sentiment étrange. Qui me fait un peu peur. Je n'ai pas forcément de nostalgie pour le vieux monde qui n'existe plus. J'aime bien ce monde dans lequel nous vivons aujourd'hui. Dans l'ensemble. Je ne le trouve pas pire qu'un autre. C'est me sentir m'user qui me met mal à l'aise. Quand j'ai appris que Didier Wampas était désormais retraité de la RATP, je dois dire que ça m'a foutu un coup. J'ai réalisé subitement que Didier aussi, avait un âge. Qu'il vieillissait également. Que lui aussi, sûrement, se disait que c'était quand même un peu fou comme le monde avait changé, depuis trente ans (surtout qu'il doit bien en avoir quinze/vingt de plus que moi). L'autre jour, je le voyais à la télé et... putain ! Je voyais Didier Wampas à la télé ! Si vous avez moins de vingt ans, il est très probable que vous ne compreniez même pas l'intérêt de cette phrase. A quel point pour un vieillard comme moi, cela semble incongru. A quel point il y a encore dix ans, alors que s'apprêtait à sortir "Manu Chao", cette seule idée avait quelque chose de poilant. J'ai vu Didier Wampas sur BFM TV, bordel de Dieu. Je suppose que pour être dans le coup, je devrais conclure cet étonnant constat par quelque chose comme Non mais allô, quoi ?
J'ai longtemps cru que la première fois que l'on prenait conscience de son propre vieillissement était le jour où l'on pouvait dire j'ai fait ci/j'ai fait ça/j'ai acheté ci et j'ai découvert ça il y a dix ans. Maintenant que j'ai réellement vieilli, je réalise que c'est une conscience qui vient petit à petit, au fur et à mesure que l'on s'aperçoit que ce que l'on voit du monde qui nous entoure ne correspond plus tout à fait à ce que l'on croit savoir de ce même monde. Il y a quelques semaines, je dragouillais vaguement une jolie punkette de vingt-trois ans et j'ai réalisé subitement, violemment même, que pour elle les Wampas étaient un truc mainstream sans grand intérêt. Un faux groupe punk, à peine digne d'une comparaison avec Green Day (qui n'est d'ailleurs pas... enfin bref, ne nous compliquons pas la vie). J'ai réalisé d'un coup d'un seul que l'Histoire s'effaçait si on ne la contait pas. Il y a seulement dix ans, c'est-à-dire lorsqu'elle était en cinquième ou quelque chose comme ça, l'idée-même de voir Didier Wampas dans un reportage d'une grande chaîne nationale semblait improbable, saugrenue, folle. Je me rappelle d'ailleurs une chronique de Philippe Barbot dans Télérama, à la fin des années quatre-vingt-dix, qui notait que si jamais les Wampas devaient un jour apparaître à la télé, ce serait à la rigueur dans un show du genre Strip Tease - nulle part ailleurs. Aujourd'hui, le principe est intégré et la gamine - appelons-là Germaine, cette petite sotte ne mérite pas mieux - d'en tirer les conséquences qui s'imposent : si je vois ça à la télévision, c'est que ce n'est pas du rock'n'roll. C'est de la variété puisque cela passe là où la variété existe. D'ailleurs je me suis aperçu que la variété ne la bottait pas plus que cela et que mes tentatives de réhabilitation des classiques du genre ne lui faisaient ni chaud ni froid, provoquant en elle plus de consternation que d'intérêt. Cinq minutes plus tôt elle me disait Mais quoi, tu connais pas [je ne sais même plus ce que c'était] ? Je ne connaissais pas. Et je ne voyais pas comment ni pourquoi j'aurais pu/dû connaître.
Il y a quinze ou vingt ans, ou peut-être un siècle je ne sais plus, j'ai grandi dans un trou au milieu de nulle part où le seul divertissement du samedi soir était de sauter les barbelés pour aller boire du mauvais vin et de la 8°6 dans le champ du voisin. On traînait avec nous un vieux poste, à K-7 et à piles (c'est vous dire s'il était vieux), qui balançait avec un son tout cradingue des trucs qui ne l'étaient pas moins, et dont on n'était même pas vraiment sûr qu'on les aimait (en fait, on ne se posait pas trop la question). Parmi d'autres, les Wampas en faisaient partie, et nous braillions tous en chœur que putain, elle ne devait surtout pas dire aux copains que je l'aimais plus que tout. Les Wampas étaient un truc que personne ne connaissait, qu'on se refilait entre nous en piratant leur musique de toutes les manières possibles et imaginables (on ne savait même pas que ça s'appelait pirater et l'aurions-nous su que nous aurions sans doute trouvé le principe très cool), et qui faisait partie de notre quotidien au même titre que les joueurs du HAC et la petite fille du voisin, la plus âgée - celle qui ne venait que pour les vacances et que nous espérions tous secrètement réussir à trombiner dans la clairière au bout du sentier après le champ juste à droite en sortant de la charcuterie. L'idée qu'un jour, le groupe puisse devenir célèbre nous semblait d'autant plus improbable que nous avions déjà beaucoup de mal à imaginer qu'il y ait eu d'autres personnes de par le pays qui soient en train de l'écouter au même moment. C'était notre groupe à nous - et rien qu'à nous. On a bien sûr été les voir sur scène, après. Quand on a eu l'âge pour quand nos parents nous ont laissé faire. Je crois que j'ai bu ma première bière à un concert des Wampas - ça créée des liens. Ils n'existaient que sur scène, à l'époque. Didier Wampas était déjà le roi - Didier Wampas sera toujours le roi - mais c'était tout de même un secret bien gardé. Aujourd'hui il fait des albums solos, et rien que cela fait une impression bizarre. Je n'ai pourtant jamais ressenti la moindre aigreur en le voyant devenir populaire. Je crois d'ailleurs que personne n'a ressenti ça à son propos, ce qui dit déjà tout, en soi, de la relation qui peut unir Wampas à son public d'avant la gloire. N'importe qui à sa place se serait fait taxer de vendu, de ceci ou de cela. Si c'est arrivé aux Wampas, ce devait franchement ne représenter qu'une frange ultra-minoritaire de leurs fans. Il faut dire aussi que des gens dont le plus gros tube commence par la phrase "Je chante dans les Glaviots, un groupe punk de Normandie" méritent plus une statue que la potence.
Ce qui est amusant c'est que finalement, l'attention de médias qui autrefois n'en avaient rien à carrer n'a pas changé grand-chose au résultat : le monde reste diviser entre ceux qui ronronnent de plaisir lorsque paraît une nouvelle fournée de chansons de Didier W., et ceux qui s'en tamponnent totalement le chichigneux et regardent l'agitation des autres d'un œil un mi-sceptique mi-affligé. Je ne suis dans le fond pas certain que parmi tous ceux avec qui je me collais des mines dans le champ autefois, beaucoup guettent encore avec impatience chaque nouvelle manifestation du Roi. Je me rendais bien compte en un sens, dès cette époque, que cette musique me touchait plus profondément qu'un truc supposé accompagner les descentes de mauvais pinard. Avant même de savoir que l'écriture me passionnait, le songwriting était déjà un art très mystérieux exerçant sur moi une drôle de fascination - j'adorais et j'adore toujours celui de Didier Wampas. Je ne suis même pas loin de le considérer très sérieusement comme l'un des meilleurs songwriters en activité, ce qui ne manquera pas de faire hausser les sourcils aussi bien de certains lecteurs que de cette satanée Germaine (enfin non, elle j'imagine qu'elle dirait juste "songwriquoi?" et que cela m'affligerait, sans tout à fait m’ôter l'envie de l'emmener au bout du sentier après le champ juste à droite... etc.) Ce dont je me fous évidemment royalement (un peu moins en ce qui concerne Germaine, je veux bien le reconnaître). Chaque album est l'occasion de retrouver un univers et une écriture inimitables (ou alors seulement très mal), une vision du monde pleine d'empathie qui me bouleverse quand elle en fait marrer tant d'autres. Je n'ai jamais vraiment compris ce qu'on écrivait ici ou là sur l'écriture "surréaliste" de cet "hurluberlu-trublion-fantaisiste", comme s'il était un genre de chansonnier à la sauce alternative là où je n'ai jamais vu qu'un type tout à fait sincère utilisant des mots simples pour convoquer des émotions quasi-instantanées. Même gamin, je n'aimais pas les chroniques que la presse un peu plus éclairée (dirons-nous) consacrait à cet artiste que j'adorais. Je ne connaissais pas le terme condescendance mais c'était un peu ce que j'y voyais, avec mes yeux d'adolescent qui de toute façon trouvait que tout ce qu'on écrivait sur tout était de la merde puisque de toute façon les gens, hein, c'étaient de la merde en général. N'empêche : ils en parlaient comme de blagues, de ces chansons que j'adorais. Ils en parlaient comme si les Wampas étaient un groupe conceptuel, en plaquant leur propre cynisme sur une musique qui ne connaissait pas ce mot et qui suintait la candeur et la modestie. Parce qu'elle ne se revendiquait pas comme sérieuse, ils avaient décrété qu'elle ne pouvait donc pas l'être, et que leur interprète était un bouffon, pour la seule raison qu'il n'entrait pas vraiment dans leurs grilles d'analyses étriquées. En un sens, lorsque je vois aujourd'hui Didier Wampas à la télévision, je me dis qu'il est peut-être - sûrement - mieux là que lorsque ses chansons étaient kidnappées par de pseudos critiques à la mords-moi-le-nœud qui pensaient sincèrement que "Pompidou" racontait sinon autre chose, du moins plus que ce qu'elle raconte mot pour mot. Probablement qu'ils trouvaient ça bête, au fond d'eux, mais qu'ils pensaient que ce n'était pas cool de le dire. Or eux, ils voulaient juste avoir l'air cool. Comment j'aurais bien pu me retrouver d'accord avec eux. Je déteste les gens cools. Je suis le type le moins cool du monde.
Bref ! On ne dirait pas comme ça, mais au départ j'étais parti pour écrire une chronique de Comme dans un garage, le dernier opus de Didier accompagné de Bikini Machine, groupe que je ne connais pas vraiment mais qui semble lui aller comme un gant. Caramba, encore raté. En même temps je ne suis pas sûr, avec un recul de deux pages plus tard, de ce que j'aurais bien pu écrire à ce sujet. C'est un excellent album de Didier Wampas parce que tout ce que quiconque peut aimer chez lui s'y trouve, ainsi qu'un peu plus, ici ou là, dans des illustrations musicales (parfois) (vaguement) inattendues. Il y a treize chansons dessus, qui ne sont pas toutes parfaites et dont une au moins ("Viré de Skyrock") est écrite avec tellement de ficelles que j'ai eu le sentiment de pouvoir la réciter avant même de l'avoir entendue. Mais il y en a tellement de parfaites par ailleurs qu'il m'est difficile de ne pas me laisser embarquer (ce texte fait foi). "Le Disco ça pue", outre que c'est vrai et qu'on ne remerciera jamais assez Didier de le dire une fois pour toutes, est une espèce de quintessence de tout ce qui fait que cette écriture-là m'a toujours mis par terre. Un mélange de morgue de cour d'école, de slogan publicitaire, de constat critique lucide et de fuck you typiquement rock'n'roll - le tout baigné de cette même forme d'innocence qui fait de "Danser sur U2" l'une des plus belle chansons du monde. Tout ça en répétant douze fois la phrase "le disco ça pue", on peut dire que c'est plutôt pas mal, niveau rendu. Il y a d'autres titres aussi qui sont très bien, comme "Valoisien hypodermique", dont les arrangements sont vraiment chouettes et la mélodies catchy au possible, ou "Ouhouh", ou "Temps X", assez tordante même si (parce que) totalement con et gratuite. Et puis à côté de cela, il y a toutes ces bluettes un peu fracassées qui parleront, j'en suis certains, à toutes les midinettes un peu paumées qui aiment bien traîner par-ici. "Virginie" est une vraie jolie chanson, comme il y a en toujours une ou deux sur chaque disque du ou des Wampas. Quant "Olivier Messiaen", c'est une power-ballade d'autant plus parfaite qu'une fois n'est pas coutume, Didier n'y pratique pas le name-dropping mais rend bel et bien un hommage poignant à l'un des plus beaux compositeurs du siècle passé.
Je suis trop jeune pour me rappeler des Wampas pas connu (à peine plus vieux que Germaine) mais en tout cas j'ai adoré cet article. J'aime bien quand tu sors de la critique "tradi" pour raconter des choses plus persos ou décalées et ce qui est super cool, c'est que tu le fais souvent dernièrement :-)
RépondreSupprimerQuand on n'a plus de coton-tiges on se nettoie le nombril comme on peut.
Supprimerquelle belle "chronique".
RépondreSupprimerDans quelques années, quand on verra legolb à la télé (c'est tout le mal que je te souhaite), et je penserai alors sans que les jeunes ne comprennent qu'au départ c'était un bloggeur dont on s'échangeait le nom en catimini sans doute pas dans un champ mais pourquoi pas avec la bière, un inconnu qu'on appelait entre nous le roi des blogueurs :)
Ooooooh. J'aime bien l'ambiance de joie et d'amour qui règne sur ce blog depuis quelques temps ;-)
SupprimerWelcome back to Frocville :)
RépondreSupprimer^^
SupprimerC'est vrai en plus, que Danser sur U2 est une des plus belles chansons ! ^^
RépondreSupprimerEt est-ce vraiment un si grand péché, hein ? ;-)
SupprimerMais complètement. Danser sur U2 est une chanson magnifique, elle me file le frisson à chaque fois !
SupprimerTrès bel article sinon, qui rend bien hommage à un artiste souvent mal compris ou mal aimé.
Merci !
SupprimerBon, j'ai peur de faire partie des gens qui restent toujours un peu étonné par l'engouement que peut susciter cet artiste. Après il a son truc, c'est clair, on peut pas lui enlever mais bon, ça reste pas terrible à mon oreille.
RépondreSupprimerPersonne n'est parfait (surtout pas toi ;-))
SupprimerCoucou!
RépondreSupprimerD'accord avec Serious, le Didier me donne plus envie de boire une bière avec lui que de me fader l'intégrale des Wampas. Je trouve que dans le style faux clown/vrai artiste, Katerine me touche un peu plus...
Bon c'est pas tout ça je vais me remettre le dernier Daft Punk moi...
Dale C. (le troll coquin)
Salut troll coquin,
SupprimerJe peux comprendre qu'on ne soit pas réceptif. Par contre, comparer avec Katerine, c'est limite du trolling fripon. Parce que Katerine justement, je le vois comme l'inverse absolu de Wampas. C'est réellement conceptuel, c'est réellement "arty" (ou du moins ça aspire à l'être) et c'est finalement une approche beaucoup plus distanciée (donc fatalement plus cynique et ironique), en tout cas à mon sens.
Sympa ce billet.
RépondreSupprimerC'est carrément vrai ce que tu dis sur les critiques des Wampas. " ils en parlaient comme de blagues, (...) comme si les Wampas étaient un groupe conceptuel, en plaquant leur propre cynisme sur une musique qui ne connaissait pas ce mot et qui suintait la candeur et la modestie." J'aurais pas dit mieux.
Après sur les Wampas eux-mêmes je suis pas forcément fan mais pour tout un tas de raisons c'est un groupe qui force le respect. Je ne me vois pas dire du mal de Didier Wampas. Il a son style, il fait ce qu'il veut depuis 30 ans, je trouve bien qu'un artiste comme cela existe et qu'il a du succès.
Un peu comme le Golb en fait :)
SupprimerUn peu mais pas 30 ans quand même :)
SupprimerOui mais je suis parti pour durer ^^
SupprimerEtalon, va ;)
SupprimerDémasqué !
SupprimerCela va sonner un peu perso, l'article s'y prête, mais moi, quand j'entends Didier Wampas, je pense toujours à toi. Je ne sais pas combien de fois on l'a vu ensemble en concert, quand nous étions étudiants, trois ou quatre ? C'était toujours des moments incroyables où on oubliait tout. Cela me fait penser à toi car je n'aurais sûrement jamais écouté un truc comme ça, sans toi. Et aujourd'hui, je me jette, moi aussi, sur chaque nouvel album avec une joie de gamine ;)
RépondreSupprimerJe ne sais plus le nombre exact, mais oui, trois ou quatre fois au moins - c'est certain.
SupprimerBonsoir, Thomas,
RépondreSupprimerCette chanson, "Le disco ça pue", est remarquable. C'est la première fois, il me semble, que j'aime vraiment une chanson de Wampas. Histoire de vécu, sans doute. Je ne peux plus me la sortir de la tête.
J'ai vu le groupe sur scène, à ses débuts, au milieu des années 80. C'était complètement nul, je dois vous le dire. Pourtant, comme d'autres plus haut, je n'ai pas envie d'en dire du mal. Je suis étonné que Didier Wampas soit encore là. Je n'aurais pas cru cela, en 85/86.
J'aime beaucoup cet article. Je commente moins ces derniers temps, je profite de l'occasion pour vous dire que vos textes, ces derniers mois, sont plus inspirés, les uns que les autres. Celui sur Stanley Brinks était très émouvant. Vous avez même réussi à me faire écouter Scout Niblett. Merci.
Amitiés,
BBB.
Ne me remerciez pas, si vous avez écouté des choses que vous n'auriez pas cru écouter je pense que c'est surtout grâce à vous ;-)
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