...
"Il était de ces hommes - assez peu avenants, souvent chauves, petits, gros, brillants - qui paraissaient inexplicablement séduisants aux yeux de belles femmes. Du moins aimait-il à le croire, ce qui suffisait à en faire une réalité."
Comme souvent avec Ian McEwan, deux phrases suffisent pour installer un système, un personnage et suggérer une intrigue. A peine a-t-on parcouru l'incipit de Solar que l'on croit déjà avoir une idée de ce qui va suivre, et surtout que l'on a déjà une idée bien arrêtée du genre de personnage que l'on va être amené à accompagner durant les quelques trois cents pages suivantes. Un sale type, un médiocre, un petit être tout à la fois vaniteux et habité par un profond dégoût de lui-même. Quelques phrases encore, deux ou trois pages, et l'on achève d'être fixé : voici donc Michael Beard, Prix Nobel de physique dont beaucoup se demandent encore comment il a pu prétendre à la distinction suprême, individu égoïste et falot comme l'on en croise de plus en plus souvent dans l’œuvre de Ian McEwan, depuis que celui-ci semble avoir décidé de se reconvertir en satiriste attiré de tout ce que l'Angleterre compte de bourgeois lâches et de faux intellectuels. Et dans le genre, Beard se pose là : disposant de tous les artefacts du génie mais d'une paresse presque surnaturelle, ne s'intéressant à rien et s'informant des dernières découvertes scientifiques en lisant en diagonale des revue de vulgarisation, le héros de Solar semble incapable de faire autre chose que de trépigner en pensant que sa femme le trompe - une situation d'autant plus irritante que contrairement aux quatre précédentes, il n'a jamais cocufié celle-ci. Ce serait lui faire trop d'honneur que d'ajouter que Beard l'aime surtout parce qu'elle lui échappe, car dans le fond Beard n'aime rien et en vient même à difficilement se tolérer lui-même (ce en quoi il fait sans doute preuve d'une certaine forme d'équité).
Cruel et assez amusant, ce premier tiers du récit a le mérite d'attraper le lecteur par le col et de le faire immédiatement entrer dans l'univers du roman. On ne voit pas très bien ou l'auteur veut en venir avec cette caricature dans laquelle il ne force pas franchement son talent (c'est peu de le dire), mais on le suit avec facilité, même lorsque l'on comprend que McEwan a prévu de nous emmener nous faire cailler les miches au Pôle Nord. C'est malheureusement là que le décrochage progressif va s'opérer ; non parce qu'à partir de cet instant, sa focalisation interne va nous capter Beard en pleine digressions de physique quantiques aussi palpitantes qu'un rapport de stage, mais bien parce qu'on voit soudain beaucoup trop facilement où McEwan compte arriver. Et il y vient en effet, à cette excroissance de Saturday que l'on voyait peu à peu se dessiner, dans laquelle le réchauffement climatique jouera le rôle d'écrou narratif autrefois dévolu au terrorisme. Soit donc un roman de maître-horloger dont l'intrigue s'incarne dans les détails, les apartés ou les interlignes, à cette nuance près toutefois qu'il en manque souvent cruellement - de nuance. Outrancière, la figure de Michael Beard est à ce point irrécupérable que son destin finit par importer relativement peu, et la mécanique de se mettre à tourner un peu plus à vide page après page. C'est évidemment l'un des défauts récurrents des romans de McEwan : l'Anglais n'a qu'une affection très modérée pour ses contemporains, et s'avère bien plus souvent un homme de récit et de style qu'un portraitiste remarquable. L'exemple de Saturday est en cela éloquent, car si l'on se souvient parfaitement du sentiment d'oppression qui saisissait à sa lecture, de la complexité de sa mise en scène ou de la virtuosité de son écriture, on ne peut pas dire en revanche que son personnage central ait laissé un souvenir impérissable. La différence étant bien sûr que dans Saturday, l'esthétique du roman justifiait ce parti pris, quand Solar ne perdrait probablement rien à avoir un (anti)héros un peu moins lourd, un peu moins ridicule, un peu moins pathétique. Pas beaucoup moins, juste : un peu moins. Juste assez pour que l'on ait envie de voir où son orgueil et sa fatuité vont le conduire. Juste assez pour que le cœur du lecteur palpite un peu à l'idée de le voir broyé par son créateur sadique (il est en effet assez clair dès le départ que que Beard commence bas et finira encore plus bas). Mais non. En l'état, McEwan se contente de tresser une histoire efficace, un genre d'anti-récit rédempteur que l'on absorbe, il faut reconnaître, à une vitesse déraisonnable. Mais, sans doute par paresse, il se contente d'un texte bluffant quand on était en droit d'attendre d'un un auteur de son calibre quelque chose de captivant.
"Il était de ces hommes - assez peu avenants, souvent chauves, petits, gros, brillants - qui paraissaient inexplicablement séduisants aux yeux de belles femmes. Du moins aimait-il à le croire, ce qui suffisait à en faire une réalité."
Comme souvent avec Ian McEwan, deux phrases suffisent pour installer un système, un personnage et suggérer une intrigue. A peine a-t-on parcouru l'incipit de Solar que l'on croit déjà avoir une idée de ce qui va suivre, et surtout que l'on a déjà une idée bien arrêtée du genre de personnage que l'on va être amené à accompagner durant les quelques trois cents pages suivantes. Un sale type, un médiocre, un petit être tout à la fois vaniteux et habité par un profond dégoût de lui-même. Quelques phrases encore, deux ou trois pages, et l'on achève d'être fixé : voici donc Michael Beard, Prix Nobel de physique dont beaucoup se demandent encore comment il a pu prétendre à la distinction suprême, individu égoïste et falot comme l'on en croise de plus en plus souvent dans l’œuvre de Ian McEwan, depuis que celui-ci semble avoir décidé de se reconvertir en satiriste attiré de tout ce que l'Angleterre compte de bourgeois lâches et de faux intellectuels. Et dans le genre, Beard se pose là : disposant de tous les artefacts du génie mais d'une paresse presque surnaturelle, ne s'intéressant à rien et s'informant des dernières découvertes scientifiques en lisant en diagonale des revue de vulgarisation, le héros de Solar semble incapable de faire autre chose que de trépigner en pensant que sa femme le trompe - une situation d'autant plus irritante que contrairement aux quatre précédentes, il n'a jamais cocufié celle-ci. Ce serait lui faire trop d'honneur que d'ajouter que Beard l'aime surtout parce qu'elle lui échappe, car dans le fond Beard n'aime rien et en vient même à difficilement se tolérer lui-même (ce en quoi il fait sans doute preuve d'une certaine forme d'équité).
Cruel et assez amusant, ce premier tiers du récit a le mérite d'attraper le lecteur par le col et de le faire immédiatement entrer dans l'univers du roman. On ne voit pas très bien ou l'auteur veut en venir avec cette caricature dans laquelle il ne force pas franchement son talent (c'est peu de le dire), mais on le suit avec facilité, même lorsque l'on comprend que McEwan a prévu de nous emmener nous faire cailler les miches au Pôle Nord. C'est malheureusement là que le décrochage progressif va s'opérer ; non parce qu'à partir de cet instant, sa focalisation interne va nous capter Beard en pleine digressions de physique quantiques aussi palpitantes qu'un rapport de stage, mais bien parce qu'on voit soudain beaucoup trop facilement où McEwan compte arriver. Et il y vient en effet, à cette excroissance de Saturday que l'on voyait peu à peu se dessiner, dans laquelle le réchauffement climatique jouera le rôle d'écrou narratif autrefois dévolu au terrorisme. Soit donc un roman de maître-horloger dont l'intrigue s'incarne dans les détails, les apartés ou les interlignes, à cette nuance près toutefois qu'il en manque souvent cruellement - de nuance. Outrancière, la figure de Michael Beard est à ce point irrécupérable que son destin finit par importer relativement peu, et la mécanique de se mettre à tourner un peu plus à vide page après page. C'est évidemment l'un des défauts récurrents des romans de McEwan : l'Anglais n'a qu'une affection très modérée pour ses contemporains, et s'avère bien plus souvent un homme de récit et de style qu'un portraitiste remarquable. L'exemple de Saturday est en cela éloquent, car si l'on se souvient parfaitement du sentiment d'oppression qui saisissait à sa lecture, de la complexité de sa mise en scène ou de la virtuosité de son écriture, on ne peut pas dire en revanche que son personnage central ait laissé un souvenir impérissable. La différence étant bien sûr que dans Saturday, l'esthétique du roman justifiait ce parti pris, quand Solar ne perdrait probablement rien à avoir un (anti)héros un peu moins lourd, un peu moins ridicule, un peu moins pathétique. Pas beaucoup moins, juste : un peu moins. Juste assez pour que l'on ait envie de voir où son orgueil et sa fatuité vont le conduire. Juste assez pour que le cœur du lecteur palpite un peu à l'idée de le voir broyé par son créateur sadique (il est en effet assez clair dès le départ que que Beard commence bas et finira encore plus bas). Mais non. En l'état, McEwan se contente de tresser une histoire efficace, un genre d'anti-récit rédempteur que l'on absorbe, il faut reconnaître, à une vitesse déraisonnable. Mais, sans doute par paresse, il se contente d'un texte bluffant quand on était en droit d'attendre d'un un auteur de son calibre quelque chose de captivant.
✋ Solar [Solaire]
Ian McEwan | Random House, 2010
Tu traduis bien mieux que je ne pourrais le faire ce que j'ai ressenti à ma lecture peu orthodoxe de ce livre, que j'ai acheté à la fois pour l'auteur et la traductrice. Beard est vraiment trop violemment antipathique pour qu'on s'attache à ses pas, résultat pour moi, une lecture en pointillés : je lis les passages qui m'intéressent, parfois dans le désordre, c'est mal je sais mais il m'arrive de plus en plus de faire des allers et retours dans un roman. Quand il me plaît, je lis deux fois certaines parties, dans le cas contraire c'est une lecture à trous (j'ai allègrement sauté ce qui avait trait à la physique quantique) mais tant pis.
RépondreSupprimerC'est "mal" mais en fait... je vais de plus en plus souvent ça aussi, figure-toi. Sauter quelques pages, revenir en arrière, repartir en avant... voire carrément abandonner, sans le moindre état d'âme.
SupprimerEt pour celui-ci, en effet, nous sommes d'accord.