...
"L'impression m'est apparue qu'il existe une corrélation entre mon état et l'embrasement du monde, une route commune que suivraient les deux parties - même si je ne sais pas qui, de moi ou du monde, s'est propagé à l'autre."
Faisons simple : Le Pyromane, premier roman d'un jeune écrivain inconnu que tous les lecteurs du Golb connaissent pourtant fort bien1, n'a absolument aucune chance de connaître le succès, la gloire, les listes des meilleures ventes et le prosélytisme. On ne verra pas son auteur se pavanant fin saoul sur des plateaux télé, il ne recevra pas le prix de Flore, ni le Goncourt des lycéens - ni même le Goncourt des plus-lycéens. Noyé dans le bordel annuel que l'on nomme rentrée littéraire, il ronronnera avant de s'éteindre dans l'indifférence, exactement comme les chats qui occupent tout son premier chapitre. Ce n'est pas déplorable - c'est à peine dommage. A vrai dire, c'est tout à fait compréhensible. Il n'y a rien, dans Le Pyromane, de ce qui excite le chaland de nos jours. Pas de sexe, pas de vulgarité - pas même un brin de ce cynisme qui émoustille tant les branchés. Il pourrait certes compenser par un sens échevelé du romanesque, mais non plus : si l'on a bien du mal à ne pas l'avaler d'une traite, il faut reconnaître qu'un récit se déroulant à 90 % dans une seule pièce d'un unique appartement ne risque pas d'entraîner le lecteur dans des épopées inter-charts. A la place, Kryzaniac le dérangé préfère écrire juste, tourner ses phrases, glisser des plaisanteries sur un mode pince-sans-rire que personne ne saisira et évoquer des auteurs que les critiques n'ont jamais lu (ou juste à la fac, la bouche en cœur et le flingue sur la tempe). Autant dire que le garçon est perdu pour la gloire, mais que l'on sera ravi de l'accueillir au pays des amoureux des lettres.
Roman sur l'angoisse, la culpabilité et l'obsession comme des maladies physiques, presque contagieuses, Le Pyromane raconte entre autres choses l'histoire à la fois affreusement banale et délicieusement absurde d'un jeune homme ayant (très très) peur du feu qui, comme souvent les gens ayant (très très) peur de quelque chose, finit par ressentir pour celui-ci un attrait malsain, irrépressible... vertigineux. En cela, la plus grande faiblesse du roman est peut-être bien son titre, Le Pyromane s'intéressant avant tout à un individu qui doute, qui craint, qui se perd et lutte contre un démon intérieur, lequel - bien entendu - le dépasse de loin. Le feu est un prétexte (un jeu ?), un symbole qui dévore, la fixette d'un instant T qui se trouve être le temps de ce récit paranoïaque et ubuesque, où l'on éclate parfois de rire sans être trop sûr de savoir pourquoi ni même si c'est vraiment le moment. Sur ce point au moins, l'habitué des disques du jeune homme ne sera pas le moins du monde égaré, qui sait déjà comme le désormais-auteur-oui-monsieur-oui-madame goûte ce mélange de sincère naïveté et de savoureuse ironie. Pour le reste, il savourera ce plaisir rare que de découvrir un artiste de qualité sous une facette insoupçonnée (tous les bons numéros - religion, alcool, névrose, désolation et football - y sont, mais pas nécessairement dans l'ordre habituel), tout en ayant bien conscience qu'il s'agit d'un peu plus que cela. Parce que le style est remarquable, et parce que le roman se tient parfaitement, en dépit de quelques maladresses que l'on dira "de jeunesse" - notamment une certaine propension à partir un peu dans tous les sens sens par (très courts) instants. On sent bien à quelques gimmicks que le jeune homme a besoin qu'on lui tienne la bride courte sous peine de finir, à l'instar de son narrateur-personnage, étranglé par sa propre paranoïa et/ou enseveli sous ses obsessions les moins avouables. Peu importe : de par son ton, ses moments de génie décadent et sa beauté un peu bizarre, Le Pyromane s'impose sans problème comme le premier roman le plus étonnant et brillant qui ait été chroniqué dans ces pages depuis bien longtemps. Imparfait sans doute, peut-être un peu moins abouti que d'autres, mais empli d'un peu plus que d'un gentil talent ou d'un mignon potentiel : il y a ici un souffle, une Voix avec un grand V, si tant est que l'expression ait encore le moindre sens en ces temps troublés où l'on publie tout et n'importe quoi en y accolant le terme littérature. A moins peut-être qu'il ne s'agisse d'une revanche...
1. Sous le curieux nom de plume de "Thomas Kryzaniac" se cache en effet cette vieille canaille d'Ernesto Violin. De là à en déduire que l'Âge d'Homme est une excellente maison d'édition qui a réussi en un clin d’œil là où tous les labels de musique français ont échoué depuis des années, il n'y a qu'un pas que nous franchirons allègrement, sans doute sous l'effet de l'alcool.
"L'impression m'est apparue qu'il existe une corrélation entre mon état et l'embrasement du monde, une route commune que suivraient les deux parties - même si je ne sais pas qui, de moi ou du monde, s'est propagé à l'autre."
Faisons simple : Le Pyromane, premier roman d'un jeune écrivain inconnu que tous les lecteurs du Golb connaissent pourtant fort bien1, n'a absolument aucune chance de connaître le succès, la gloire, les listes des meilleures ventes et le prosélytisme. On ne verra pas son auteur se pavanant fin saoul sur des plateaux télé, il ne recevra pas le prix de Flore, ni le Goncourt des lycéens - ni même le Goncourt des plus-lycéens. Noyé dans le bordel annuel que l'on nomme rentrée littéraire, il ronronnera avant de s'éteindre dans l'indifférence, exactement comme les chats qui occupent tout son premier chapitre. Ce n'est pas déplorable - c'est à peine dommage. A vrai dire, c'est tout à fait compréhensible. Il n'y a rien, dans Le Pyromane, de ce qui excite le chaland de nos jours. Pas de sexe, pas de vulgarité - pas même un brin de ce cynisme qui émoustille tant les branchés. Il pourrait certes compenser par un sens échevelé du romanesque, mais non plus : si l'on a bien du mal à ne pas l'avaler d'une traite, il faut reconnaître qu'un récit se déroulant à 90 % dans une seule pièce d'un unique appartement ne risque pas d'entraîner le lecteur dans des épopées inter-charts. A la place, Kryzaniac le dérangé préfère écrire juste, tourner ses phrases, glisser des plaisanteries sur un mode pince-sans-rire que personne ne saisira et évoquer des auteurs que les critiques n'ont jamais lu (ou juste à la fac, la bouche en cœur et le flingue sur la tempe). Autant dire que le garçon est perdu pour la gloire, mais que l'on sera ravi de l'accueillir au pays des amoureux des lettres.
Roman sur l'angoisse, la culpabilité et l'obsession comme des maladies physiques, presque contagieuses, Le Pyromane raconte entre autres choses l'histoire à la fois affreusement banale et délicieusement absurde d'un jeune homme ayant (très très) peur du feu qui, comme souvent les gens ayant (très très) peur de quelque chose, finit par ressentir pour celui-ci un attrait malsain, irrépressible... vertigineux. En cela, la plus grande faiblesse du roman est peut-être bien son titre, Le Pyromane s'intéressant avant tout à un individu qui doute, qui craint, qui se perd et lutte contre un démon intérieur, lequel - bien entendu - le dépasse de loin. Le feu est un prétexte (un jeu ?), un symbole qui dévore, la fixette d'un instant T qui se trouve être le temps de ce récit paranoïaque et ubuesque, où l'on éclate parfois de rire sans être trop sûr de savoir pourquoi ni même si c'est vraiment le moment. Sur ce point au moins, l'habitué des disques du jeune homme ne sera pas le moins du monde égaré, qui sait déjà comme le désormais-auteur-oui-monsieur-oui-madame goûte ce mélange de sincère naïveté et de savoureuse ironie. Pour le reste, il savourera ce plaisir rare que de découvrir un artiste de qualité sous une facette insoupçonnée (tous les bons numéros - religion, alcool, névrose, désolation et football - y sont, mais pas nécessairement dans l'ordre habituel), tout en ayant bien conscience qu'il s'agit d'un peu plus que cela. Parce que le style est remarquable, et parce que le roman se tient parfaitement, en dépit de quelques maladresses que l'on dira "de jeunesse" - notamment une certaine propension à partir un peu dans tous les sens sens par (très courts) instants. On sent bien à quelques gimmicks que le jeune homme a besoin qu'on lui tienne la bride courte sous peine de finir, à l'instar de son narrateur-personnage, étranglé par sa propre paranoïa et/ou enseveli sous ses obsessions les moins avouables. Peu importe : de par son ton, ses moments de génie décadent et sa beauté un peu bizarre, Le Pyromane s'impose sans problème comme le premier roman le plus étonnant et brillant qui ait été chroniqué dans ces pages depuis bien longtemps. Imparfait sans doute, peut-être un peu moins abouti que d'autres, mais empli d'un peu plus que d'un gentil talent ou d'un mignon potentiel : il y a ici un souffle, une Voix avec un grand V, si tant est que l'expression ait encore le moindre sens en ces temps troublés où l'on publie tout et n'importe quoi en y accolant le terme littérature. A moins peut-être qu'il ne s'agisse d'une revanche...
👍👍 Le Pyromane
Thomas Kryzaniac | L'Âge d'Homme, 05/09/13)
1. Sous le curieux nom de plume de "Thomas Kryzaniac" se cache en effet cette vieille canaille d'Ernesto Violin. De là à en déduire que l'Âge d'Homme est une excellente maison d'édition qui a réussi en un clin d’œil là où tous les labels de musique français ont échoué depuis des années, il n'y a qu'un pas que nous franchirons allègrement, sans doute sous l'effet de l'alcool.
Ca commence à sentir la rentrée ;)
RépondreSupprimerSalut Thomas,
RépondreSupprimer"Le Pyromane s'impose sans problème comme le premier roman le plus étonnant et brillant qui ait été chroniqué dans ces pages depuis bien longtemps"...
>> Je dirais même depuis TROP longtemps !
Je me contrefous de la rentrée littéraire et des auteurs à succès et comme en plus, j'adore les chats, et que, cerise sur la gâteau, il est conseillé par le Golb, je note ce titre...
C'est vrai que c'est parfois difficile d'aller dénicher des premiers romans inconnus... enfin certains le font très bien, mais ça demande beaucoup de temps, temps dont malheureusement je ne dispose pas. Là, dans le fond, c'est presque un hasard puisque je connaissais déjà l'auteur via ses exactions musicales.
SupprimerBonne lecture, alors !
Merci..
RépondreSupprimer"une Voix avec un grand V, si tant est que l'expression ait encore le moindre sens"
RépondreSupprimerEn fait cette expression n'a jamais eu de sens.
C'est bien possible, en effet ;-)
SupprimerBonjour Thomas, tu attises vraiment ma curiosité, le thème de l'angoisse n'est pas si évident à traiter mais ce livre doit être réussi, je te fais confiance!
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