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Philippe Jaenada a de quoi être déçu - si ce n'est un tantinet énervé. Alors qu'on l'imagine très fier d'avoir écrit un roman dans lequel il ne raconte pas sa vie, voici que, pas de bol, le premier truc auquel on en pense en ouvrant Sulak, c'est à quel point le rapprochement avec son prédécesseur, l'excellent La Femme et l'Ours, est évident. Je m'explique : nul besoin de se souvenir parfaitement de ce dernier pour deviner ce qui a pu fasciner l'auteur dans la figure de Bruno Sulak, braqueur, aventurier, héros beau comme un Dieu, "charmeur, généreux et intègre" (pour citer la quatrième, pour une fois qu'on en tient une bonne) : ... cette vie rocambolesque, faite d'aventure, de danger, de tout plein d'amitié et d'au moins autant d'amour, ce n'est jamais que la vie que rêve secrètement de vivre le héros de La Femme et l'Ours (Bix je-ne-sais-plus-quoi) au début de son périple.
Voilà qui aurait pu déboucher sur un très, très bon roman. On ne va pas se mentir, malgré toute l'affection qu'on porte à quasiment chaque phrase que Philippe Jaenada a écrite depuis quinze et quelques années1, ce n'est pas vraiment l'impression qui reste une fois Sulak refermé (Philippe Jaenada a donc de quoi être doublement déçu - si ce n'est un tantinet dépité, même si on lui souhaite bien sûr de n'avoir que d'excellents retours par ailleurs). C'est d'autant plus rageant que de bout en bout de cette (longue, trop longue) biographie romanesque, on a constamment le sentiment que l'auteur tient un truc, qu'il pourrait en faire quelque chose... et puis en fait, non. Il se contente de raconter la vie de Bruno Sulak, ponctuée de brèves digressions (le plus souvent) humoristiques, mais à aucun moment le récit ne décolle vraiment, très factuel lorsqu'il ne tombe pas carrément dans l'énumération d'anecdotes/évènements/détails dont on ne sait jamais trop ce qu'on est censé faire ni penser. Il faut reconnaître que de ce point de vue, Sulak a le mérite non négligeable de se démarquer de cette mode fatigante des romans inspirés par des faits divers, de la même manière et avec le même talent que les autres livres de Jaenada se démarquaient de ce qu'on appelle avec une moue vaguement écœurée autofiction. Derrière le ton hâbleur et bon enfant, on sent une vraie rigueur, une volonté de coller le plus possible aux faits plutôt que de tenter de faire de la péripétie pour la péripétie et du sensationnel pour le sensationnel. Le revers de la médaille c'est qu'en procédant ainsi, comme un "vrai" biographe, Jaenada a tendance à se placer beaucoup trop en retrait et imprime assez peu le récit de sa marque caractéristique, à vouloir sans doute se montrer trop respectueux et de la réalité, et des acteurs lui ayant relaté/confié les différents évènements, pour lesquels on devine une immense sympathie - et qui, au final, prennent plus aisément chair que Sulak, caractère si évanescent qu'il en devient parfois un personnage secondaire de sa propre biographie. S'il n'est pas exempt de fulgurances (et de putains de bonnes vannes, mais bon, c'est le minimum syndical dans un Jaenada), le tout semble souvent trop sage, appliqué : il y a une plume que l'on connaît, que l'on aime, et le talent de conteur qui va avec ; il y a de l'autre côté une histoire romanesquissime, un personnage original et charismatique, mais le tout ne s'agglomère que ponctuellement, comme si en cessant de se mettre en scène pour s'intéresser à la vie des autres, Jaenada n'arrivait plus tout à fait à être lui-même.
Le résultat laisse du coup un brin dubitatif, non pas tant en tant que tel (Sulak demeure un bon livre, qu'on lit vite, avec intérêt et plaisir) que parce qu'on ne peut se départir de l'impression de n'avoir lu que l'ébauche de ce que ce roman aurait pu devenir.
1. Pour vous dire : le livre était pré-commandé depuis tellement longtemps que lorsqu'il est arrivé dans ma boite aux lettres, j'avais quasiment oublié qu'il sortait.
Philippe Jaenada a de quoi être déçu - si ce n'est un tantinet énervé. Alors qu'on l'imagine très fier d'avoir écrit un roman dans lequel il ne raconte pas sa vie, voici que, pas de bol, le premier truc auquel on en pense en ouvrant Sulak, c'est à quel point le rapprochement avec son prédécesseur, l'excellent La Femme et l'Ours, est évident. Je m'explique : nul besoin de se souvenir parfaitement de ce dernier pour deviner ce qui a pu fasciner l'auteur dans la figure de Bruno Sulak, braqueur, aventurier, héros beau comme un Dieu, "charmeur, généreux et intègre" (pour citer la quatrième, pour une fois qu'on en tient une bonne) : ... cette vie rocambolesque, faite d'aventure, de danger, de tout plein d'amitié et d'au moins autant d'amour, ce n'est jamais que la vie que rêve secrètement de vivre le héros de La Femme et l'Ours (Bix je-ne-sais-plus-quoi) au début de son périple.
Voilà qui aurait pu déboucher sur un très, très bon roman. On ne va pas se mentir, malgré toute l'affection qu'on porte à quasiment chaque phrase que Philippe Jaenada a écrite depuis quinze et quelques années1, ce n'est pas vraiment l'impression qui reste une fois Sulak refermé (Philippe Jaenada a donc de quoi être doublement déçu - si ce n'est un tantinet dépité, même si on lui souhaite bien sûr de n'avoir que d'excellents retours par ailleurs). C'est d'autant plus rageant que de bout en bout de cette (longue, trop longue) biographie romanesque, on a constamment le sentiment que l'auteur tient un truc, qu'il pourrait en faire quelque chose... et puis en fait, non. Il se contente de raconter la vie de Bruno Sulak, ponctuée de brèves digressions (le plus souvent) humoristiques, mais à aucun moment le récit ne décolle vraiment, très factuel lorsqu'il ne tombe pas carrément dans l'énumération d'anecdotes/évènements/détails dont on ne sait jamais trop ce qu'on est censé faire ni penser. Il faut reconnaître que de ce point de vue, Sulak a le mérite non négligeable de se démarquer de cette mode fatigante des romans inspirés par des faits divers, de la même manière et avec le même talent que les autres livres de Jaenada se démarquaient de ce qu'on appelle avec une moue vaguement écœurée autofiction. Derrière le ton hâbleur et bon enfant, on sent une vraie rigueur, une volonté de coller le plus possible aux faits plutôt que de tenter de faire de la péripétie pour la péripétie et du sensationnel pour le sensationnel. Le revers de la médaille c'est qu'en procédant ainsi, comme un "vrai" biographe, Jaenada a tendance à se placer beaucoup trop en retrait et imprime assez peu le récit de sa marque caractéristique, à vouloir sans doute se montrer trop respectueux et de la réalité, et des acteurs lui ayant relaté/confié les différents évènements, pour lesquels on devine une immense sympathie - et qui, au final, prennent plus aisément chair que Sulak, caractère si évanescent qu'il en devient parfois un personnage secondaire de sa propre biographie. S'il n'est pas exempt de fulgurances (et de putains de bonnes vannes, mais bon, c'est le minimum syndical dans un Jaenada), le tout semble souvent trop sage, appliqué : il y a une plume que l'on connaît, que l'on aime, et le talent de conteur qui va avec ; il y a de l'autre côté une histoire romanesquissime, un personnage original et charismatique, mais le tout ne s'agglomère que ponctuellement, comme si en cessant de se mettre en scène pour s'intéresser à la vie des autres, Jaenada n'arrivait plus tout à fait à être lui-même.
Le résultat laisse du coup un brin dubitatif, non pas tant en tant que tel (Sulak demeure un bon livre, qu'on lit vite, avec intérêt et plaisir) que parce qu'on ne peut se départir de l'impression de n'avoir lu que l'ébauche de ce que ce roman aurait pu devenir.
✋ Sulak
Philippe Jaenada | Julliard, 2013
1. Pour vous dire : le livre était pré-commandé depuis tellement longtemps que lorsqu'il est arrivé dans ma boite aux lettres, j'avais quasiment oublié qu'il sortait.
Bah mince, alors !
RépondreSupprimerDéjà que, contrairement à toi, j'avais été un peu déçue par La femme et l'ours...
Je le lirai quand même, bien sûr, je me dis qu'un Jaenada, même passable, ne peut pas être complètement mauvais...
Non, et ça ne l'est pas d'ailleurs.
SupprimerCa commence à sentir bon la rentrée sur Le Golb ;)
RépondreSupprimerLentement, mais sûrement.
SupprimerDonc je résume, bon parce que c'est Jaenada, mais pas assez bon pour un bon Jaenada... :D
RépondreSupprimerEvidemment, dit comme ça :-)
SupprimerAh, tu es dur, là... comme biographie atypique, j'ai trouvé ça vraiment bien!
RépondreSupprimer- Et bonne année!