vendredi 27 septembre 2013

The Newsroom - Une (très) belle mécanique

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[Taux de spoil : 11 %] Aaron Sorkin et ses supers journalistes jeunes, beaux, idéalistes, beaux, et trop mega-sympas (et aussi super beaux) étaient donc de retour cet été pour une deuxième pelletée de news, de facts et autres trucs qu'ils aiment bien répéter quarante-cinq fois par épisode. Sauf que cette année, contrairement à la précédente où ils étaient vraiment au top du must de ce qui se fait de supra-mieux en matière d'info, ils ont fait une grosse bêtise que l'on découvre à coups de flashforwards plus ou moins bien dosés. Des héros qui se compromettent, cela arrive bien sûr tous les jours à la télévision ou au cinéma, et même parfois dans la vraie vie - c'est vous dire si le monde va mal. Dans le cadre d'une série d'Aaron Sorkin, c'est cependant un évènement tellement exceptionnel que tous les teasers en parlaient et que l'on bruissait d'impatience de savoir dans quelle mesure le Général McAvoy et son armée de preux chevaliers allaient réussir à faire autre chose que laver plus blanc que blanc (ce qui rappelons-le est l'ADN-même du show).

On s'y attendait un peu, passé le choc des premières minutes (un personnage d'Aaron Sorkin qui se plante, ça peut arriver ; mais douze personnages d'Aaron Sorkin qui se plantent simultanément, c'est une quasi révolution), The Newroom évolue en fait relativement peu par rapport à une première saison qui, si elle a souvent été injustement critiquée, n'en affichait pas moins de nombreuses carences Voudrait-elle changer qu'elle ne le pourrait sans doute pas tant Sorkin reste engoncé dans ses principes (ou ses formules, selon que l'on apprécie ou non ce qui est sans doute, avec celle de Joss Whedon, la patte la plus aisément reconnaissable de la télé US). C'est ce qui fait sa force autant que sa faiblesse, comme souvent chez les gens prêts à mourir avec, pour voire par leurs idées. En relisant rapidement ce que j'avais écrit l'an passé à propos de The Newsroom, je me suis ainsi aperçu (et j'ai été étonné de m'en étonner) que je pourrais copier/coller une bonne part de ma critique de la saison un pour évoquer la saison deux, notamment le passage où je lui reproche d'être "une bonne série qui passe tellement de temps à se regarder être une bonne série qu'elle oublie un peu souvent d'essayer d'être autre chose [...], encore plus prétentieuse et moralisatrice que toute l’œuvre de Sorkin mise bout à bout, ce qui n'est pas rien". Mais ce ne serait pas tout à fait honnête de ma part, car Sorkin a fait beaucoup d'efforts, en 2013, pour être moins moralisateur, moins idéaliste, moins... lui-même, en somme. Ça ne marche pas mal du tout, notamment durant tout le milieu de la saison. On a beau savoir que - Sorkin oblige - tout va bien se terminer à la fin, et que la résolution de l'intrigue de l'année aura sans doute une vieille odeur d'eau de boudin (spoiler : c'est effectivement ce qui arrive), on s'y accroche d'autant plus aisément que l'Auteur (avec un grand A comme dans Aaron) met le holà sur les grands discours d'intégristes de l'éthique et passe du temps à nuancer ses personnages secondaires, énorme point faible d'une première saison très inégale dès qu'elle s'écartait des séquences de ping pong verbal entre son couple de héros. Certes, tout n'est pas parfait de ce point de vue : on a déjà oublié que Will McAvoy était un gros connard arrogant et macho fini au début de la série, ce n'est quasiment plus le même personnage, mais ce genre de transfiguration est somme toute assez banale chez l'auteur (après trois saisons de The West Wing, on n'y faisait même plus gaffe). Surtout, la série n'arrive pas à se dépêtrer de son schéma de départ, qui veut que plus de la moitié des caractères soit inconsistante et ne se définisse fondamentalement que par a) une posture éthique irréprochable, et, b) la personne que chacun(e) a envie de se taper. Mais il était sans doute trop tard pour inverser la vapeur, et l'on est quasiment obligé d'avouer qu'on finit peu à peu à s'attacher à plusieurs d'entre eux, en grande partie sans doute parce qu'on sent leurs interprètes beaucoup plus à l'aise (Olivia Munn et Sam Waterston, notamment, sont méconnaissables par rapport à leurs partitions figées de l'an dernier). Tout au plus se demandera-t-on s'il était réellement nécessaire de rendre sympathiques les rares personnages jusqu'alors antipathiques, histoire d'être bien sûr que The Newsroom se déroule dans un monde parallèle (plus connu des lecteurs du Golb comme Le Monde Merveilleux d'Aaron Sorkin, où tout le monde est noble, très intelligent, très cultivé, et parle très très vite).


Et pourtant, ce n'est pas encore ça. Cette seconde saison de The Newsroom a beau être indiscutablement meilleure que la précédente, il manque toujours un petit truc qui, dans le fond, n'a rien à voir avec ses "défauts objectifs" (si je puis dire). Après tout des défauts, les séries de Sorkin en ont toujours été bourrées, toujours un peu des mêmes, d'ailleurs, et cela n'empêche pas Sports Night ou Studio 60 d'être des pépites, ni The West Wing d'être l'un des shows les plus marquants de la décennie passée. Ce qui manque à The Newsroom, relève plus de l'indicible, ne se décrète pas et, par conséquent, ne se répare pas : appelons-le la Grâce, faute de mieux. Toutes les séries - et même tous les scenarii - de Sorkin ont toujours renfermé de ces instants de grâce, des instants où l'on se fait totalement happer, où l'on y croit mordicus tout en sachant très bien qu'on est juste en train de se fader pour la centième fois la vision totalement idéalisée, fantasmatique et quasiment fétichiste d'un auteur timbré. C'est flagrant dans l'avant dernier épisode de la saison (2x08, "Election Night, part I"), lorsque Charlie Skinner (Waterston), à quelques minutes du dépouillement, se lance dans un grand discours sur la magnifique démocratie américaine que le monde entier nous (enfin : leur) envie. Dans n'importe quelle autre série de Sorkin, le côté professoral, ringard et lourdingue de la sentence se verrait à peine. Parce que l'alchimie entre les acteurs est parfaite, parce que la musique même pompière est idéalement choisie, parce que le texte est ciselé, parce que le rythme... parce que voilà : ça marche. On se laisse emporter par ces grands sentiments, tellement simples et tellement compliqués à ressentir, et l'on se dit que le mec qui a écrit ça est le plus grand humaniste que la terre ait jamais porté. Là, non. Ça ne marche pas. Dans The Newsroom, ce genre de séquence typique de Sorkin tombe presque systématiquement à plat, sans jamais qu'on puisse l'expliquer de manière rationnelle. Peut-être parce qu'à force, on a un peu trop entendu tout cela (paraîtrait que le ressassement nuirait à la fraîcheur). Mais peut-être aussi parce qu'ici, contrairement à ailleurs, la mécanique oratoire tourne un peu à vide, faute d'une vision précise de ce qu'elle devrait défendre. Dans chacune de ses précédentes séries, Sorkin partait en guerre et cherchait, en bon prof refoulé, à montrer pourquoi les choses sont ainsi et comment elles devraient être. Studio 60 n'est jamais que l'histoire d'une opération suicide en direct live, tandis que même les héros ultra-idéalistes de The West Wing finissaient par devenir pragmatiques et accumuler les renoncements. The Newsroom, elle, a rompu dès le départ avec le sens des réalités. D'une certaine manière, elle tient toute entière dans un détail dérisoire et essentiel : lorsque Jerry Dantana se pique de bidonner une interview, il ne le fait pas par malveillance ou par ambition. Il le fait par conviction. Presque de bonne foi. Ça n'a l'air de rien, mais il y avait mille manières de montrer comment l'information (et par extension l'image) déforme le réel. Choisir celle-ci plutôt qu'une autre est finalement assez symptomatique d'une série qui, à force d'aspirer à l'utopisme, finit par refuser de voir le monde tel qu'il est.


👍 The Newsroom (saison 2)
créée par Aaron Sorkin
HBO, 2013

10 commentaires:

  1. Super article. Sévère mais en même temps hyper juste, ça fait plaisir de retrouver ce genre de billet sur Le Golb ;)

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  2. Niveau "mécanique oratoire", Sorkin a trouvé à qui parler ;-)
    Article évidemment très juste. J'aime beaucoup (cette série, comme les précédentes), mais dans The Newsroom, Sorkin passe la limite entre "idéalisme" et "utopisme". Le dénouement fait foi : il est facile, assez inconséquent, "tout ça pour ça" ?

    Bonne soirée !

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    1. J'avoue avoir regardé le dernier épisode d'un œil un peu distrait, mais c'est vrai qu'il était assez... disneyéen ^^

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  3. The Newsroom a bien gagné le drawa de la série qui excite les intellos, l'an dernier ?

    Je pense qu'elle est bien placée cette année aussi.

    En fait, je me demande si à part des journalistes, des blogueurs, ou des gens qui fantasment sur ce métier, il y a beaucoup de gens que tout ça intéresse. C'est ça pour moi la grosse différence avec The West Wing, qui pouvait parler de truc très compliqués et battre des records d'audience sur CBS. Il n'y a pas la même universalité...

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    1. Newsroom n'avait pas du tout gagné ce Drawa, ni aucun Drawa. Elle n'a été nommée que dans la catégorie "beaucoup de bruit pour rien", où elle était loin du podium... ce qui est tout à fait normal, puisque cela reste malgré ses défauts une série de qualité.

      Et The West Wing, c'était sur NBC :-)

      Sinon tu soulèves un point intéressant, avec l'universalité. Mais Sorkin est sur HBO, maintenant. C'est marrant parce que, par exemple, j'ai toujours pensé que les romances omniprésentes dans ses séries servaient à alléger le tout pour le vendre au public mainstream ; or il fait pareil sur HBO, et même plus (pire ?) puisque les romances n'ont jamais pris autant de place dans TWW, Sports Night ni même Studio 60 (qui pourtant leur accordait une large place). Etonnant, mais l'amour peut transfigurer un homme ;-)

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    2. NBC, bien sûr ! Désolé pour le lapsus ^_^

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  4. La série est pleine de faiblesses, c'est vrai. Je ne suis pas sûr que si elle passait pendant la saison régulière il y aurait beaucoup de gens pour la regarder.

    Cela dit, je trouve que tu tapes comme un sourd. Elle est si énervante ? Moi ce qui m'a énervé, c'est l'Emmy à Jeff Daniels. Je n'ai pas compris, il est bien, mais pas mieux qu'ailleurs, et pas mieux que Bryan Cranston dans BB. Mais bon, ce sont les Emmys...

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    1. Ben en même temps on est d'accord que le meilleur acteur de l'année c'était Aden Young dans Rectify, qui n'était même pas nommé non ?

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    2. Peut-être.

      En le disant, je m'aperçois qu'il n'y a pas tant d'acteurs à qui je l'aurais donné.

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    3. Si si, je t'assure, The Newsroom est capable d'être très énervante. Et d'être très bien la scène juste après. Tout le début de la saison, lorsque Jim suit la campagne de Romney pour panser ses peines de cœur, c'est juste imbitable par exemple. Et ça ne sert qu'à remplir les épisodes, puisque c'est totalement déconnecté du reste de l'intrigue.

      L'Emmy, dans un monde idéal comme celui de Sorkin, je l'aurais sûrement donné à Aden Young aussi. Cela dit comme toi, ç'aurait été un peu par défaut. J'ai vu pas mal d'actrices livrer de grandes prestations en 2012-13, mais pas tellement d'hommes sortant du lot...

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