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Plusieurs chapitres durant, j'ai revu la cour de mon école. J'ai lu des dizaines... peut-être des centaines de livres dont des passages se déroulaient dans une cour d'école primaire, mais jamais je n'avais associé l'un d'eux à la mienne, à celle de mon enfance... jamais je ne m'étais ainsi projeté en eux. Probablement parce que j'ai un rapport particulier au passé, auquel je pense peu, qui ne me hante pas plus que cela et dont j'ai parfois l'impression qu'un autre que moi l'a vécu à ma place. Pour que je revoie la cour d'école de Frocville-en-Rivière, le stimulus doit être violent. Le simple fait que j'y pense ne peut rien devoir au hasard. Même si je reconnais que l'argument ne vaut pas grand-chose pour quiconque n'est pas moi, c'est à mettre au crédit de Tristan Garcia ; n'importe quel auteur de trente-deux ans rêve secrètement d'écrire un livre générationnel, qui touchera profondément (et souvent par le biais d'infimes détails) tous les lecteurs du même âge. Encore faut-il s'en donner les moyens, et s'il est bien une qualité que l'on ne pourra enlever à Faber, le Destructeur, tout comme précédemment à l'excellent La Meilleure part des hommes, c'est assurément la solidité... la véracité de la reconstitution "historique". Tous les flashbacks se déroulant à la fin des années quatre-vingts et à l'aube des années quatre-vingt-dix dans cette petite ville fictive (donc lambda) sont criants de vérité : on y est, on le voit - on le revoit. Si l'on ajoute à cela l'un des incipit les plus forts qu'on ait lu depuis un bail, et un début de récit nappé d'un séduisant mystère autour du pourquoi du comment deux amis d'enfance s'entêtent à ramener chez eux le troisième larron devenu une espèce de militant-ermite-radical, le seul mot qui vienne à l'esprit pour qualifier la première moitié de Faber est "magistrale". Tout y est. Tout passe comme lettre à la poste. Même le name dropping, ailleurs bassinant, prend tout son sens tant certains noms d'artistes, d'albums, de marques font office de Talismans pour toute une génération - bien plus que d'artifices littéraires patauds.
Ce qui est embêtant avec les romans, surtout lorsqu'ils sont bons, c'est qu'on se sent toujours un peu obligé de les lire jusqu'au bout. On devrait avoir le droit de s'arrêter à un moment, de se dire qu'on a suffisamment pris son pied et que l'on peut en rester là. Je me souviens avoir lu il y a quelques années un article (ou une interview ?) de Tristan Garcia racontant l'impact que l'écriture télévisuelle avait eu sur son écriture à lui, en tant que romancier. Pour filer la comparaison, on pourrait dire que Faber est une série télé dont on sent nettement, à un moment, qu'elle va durer une ou deux saisons de trop. On devine que le meilleur est passé et que ce ne pourra jamais plus être aussi bien. Ironiquement, cela se produit à peu près au moment où l'énigmatique Faber prend la parole. Comme dans une série où un personnage secondaire, victime de son succès auprès de public, se met à prendre de plus en plus de place, on se retrouve à se dire "Oh. Ce n'est que ça, Faber ?" Ce n'est que ça, oui : un type qu'on a passé plus de deux cents pages à nous présenter comme tantôt génial, tantôt démoniaque, et dans tous les cas d'un charisme ébouriffant, pour finalement s'avérer n'avoir pas grand-chose à transmettre au lecteur. Qui se rend compte alors, assez brutalement, qu'il n'y a jamais vraiment cru, à ce personnage quasi-mythologique supposé être la colonne vertébrale du récit. Ce n'était pas cela qui l'intéressait depuis une grosse moitié de livre. Volontaire, il continue bien sûr (tout ce qui était avant était tellement bien) mais commence à ne plus voir que des faiblesses (cette manie de supprimer les pronoms-sujets, tellement artificielle...) La déception l'emporte petit à petit, et l'on se demande pourquoi, comment, sincèrement peiné de voir un roman qui commençait si bien ne pas tenir la distance. La réponse est en fait assez évidente : Faber est un texte trop long qui veut parler de trop de choses à la fois. Il n'était sans doute pas utile de faire de Faber un destructeur pour raconter une histoire de trentenaires désabusés ayant pris des chemins opposés, de même qu'il n'était probablement pas nécessaire de partir aussi loin dans la fresque générationnelle pour aborder un personnage justement aussi profondément décalé par rapport à son époque. La manière dont le thème de la vengeance est introduit, tout comme les dernières révélations sur Faber, sont d'ailleurs trop tardives et maladroites pour qu'on n'ait pas l'impression que Tristan Garcia a changé d'avis en cours de route quant à la nature d'un roman qui, chaque fois que l'on croit avoir enfin compris ce qu'il voulait nous raconter, donne aussitôt l'impression de partir dans une autre direction. Les derniers chapitres retrouvant un peu du souffle des débuts, on se surprend à se laisser à nouveau embarquer sur la fin, mais c'est malgré tout la déception qui domine lorsque arrive la dernière page, et ce n'est qu'avec un pincement au cœur que l'on re-parcourt l'incipit : cette ouverture était incroyablement forte, tellement qu'elle se retrouve en exergue de la quatrième, sauf que près de cinq cents pages plus loin, on se demande si ce n'était pas celle d'un autre roman. Parfois, pour une série, ce peut être handicapant d'avoir un trop bon pilote.
Ce qui est embêtant avec les romans, surtout lorsqu'ils sont bons, c'est qu'on se sent toujours un peu obligé de les lire jusqu'au bout. On devrait avoir le droit de s'arrêter à un moment, de se dire qu'on a suffisamment pris son pied et que l'on peut en rester là. Je me souviens avoir lu il y a quelques années un article (ou une interview ?) de Tristan Garcia racontant l'impact que l'écriture télévisuelle avait eu sur son écriture à lui, en tant que romancier. Pour filer la comparaison, on pourrait dire que Faber est une série télé dont on sent nettement, à un moment, qu'elle va durer une ou deux saisons de trop. On devine que le meilleur est passé et que ce ne pourra jamais plus être aussi bien. Ironiquement, cela se produit à peu près au moment où l'énigmatique Faber prend la parole. Comme dans une série où un personnage secondaire, victime de son succès auprès de public, se met à prendre de plus en plus de place, on se retrouve à se dire "Oh. Ce n'est que ça, Faber ?" Ce n'est que ça, oui : un type qu'on a passé plus de deux cents pages à nous présenter comme tantôt génial, tantôt démoniaque, et dans tous les cas d'un charisme ébouriffant, pour finalement s'avérer n'avoir pas grand-chose à transmettre au lecteur. Qui se rend compte alors, assez brutalement, qu'il n'y a jamais vraiment cru, à ce personnage quasi-mythologique supposé être la colonne vertébrale du récit. Ce n'était pas cela qui l'intéressait depuis une grosse moitié de livre. Volontaire, il continue bien sûr (tout ce qui était avant était tellement bien) mais commence à ne plus voir que des faiblesses (cette manie de supprimer les pronoms-sujets, tellement artificielle...) La déception l'emporte petit à petit, et l'on se demande pourquoi, comment, sincèrement peiné de voir un roman qui commençait si bien ne pas tenir la distance. La réponse est en fait assez évidente : Faber est un texte trop long qui veut parler de trop de choses à la fois. Il n'était sans doute pas utile de faire de Faber un destructeur pour raconter une histoire de trentenaires désabusés ayant pris des chemins opposés, de même qu'il n'était probablement pas nécessaire de partir aussi loin dans la fresque générationnelle pour aborder un personnage justement aussi profondément décalé par rapport à son époque. La manière dont le thème de la vengeance est introduit, tout comme les dernières révélations sur Faber, sont d'ailleurs trop tardives et maladroites pour qu'on n'ait pas l'impression que Tristan Garcia a changé d'avis en cours de route quant à la nature d'un roman qui, chaque fois que l'on croit avoir enfin compris ce qu'il voulait nous raconter, donne aussitôt l'impression de partir dans une autre direction. Les derniers chapitres retrouvant un peu du souffle des débuts, on se surprend à se laisser à nouveau embarquer sur la fin, mais c'est malgré tout la déception qui domine lorsque arrive la dernière page, et ce n'est qu'avec un pincement au cœur que l'on re-parcourt l'incipit : cette ouverture était incroyablement forte, tellement qu'elle se retrouve en exergue de la quatrième, sauf que près de cinq cents pages plus loin, on se demande si ce n'était pas celle d'un autre roman. Parfois, pour une série, ce peut être handicapant d'avoir un trop bon pilote.
✋ Faber, le destructeur
Tristan Garcia | Gallimard, 2013
Ouille, le titre est vraiment "salaud de chez salaud". Alors que l'article, est plus circonstancié (comme toujours). J'ai bien aimé, personnellement, mais je suis assez d'accord avec tes reproches.
RépondreSupprimerJ'avais beaucoup aimé "La meilleure part des hommes", mais celui-ci me tentait moins, en raison de son sujet.
RépondreSupprimerBel article, en tout cas.
BBB.
Merci.
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