lundi 7 octobre 2013

Jef Barbara - Sexuellement transmissible

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Rares sont les disques donnant le sentiment qu’ils peuvent accompagner chaque seconde d’une histoire d’amour. La plupart se concentrent sur un aspect ou un autre, d’ailleurs en réalité la pop préfère surtout parler de l’amour lorsqu’il n’est plus là. Les meilleurs parviennent parfois à capter quelque chose, une émotion, un truc indicible. Ce n’est jamais que ponctuel. L’amoureux-se a toujours tout plein de chansons à écouter. Après quelques années de vie, on accumule tous plus ou moins consciemment un jukebox mental de trucs qu’on se passe lorsque l’on rencontre quelqu’un, d’autres où l’on va se réfugier au moment de se faire plaquer… et ainsi de suite. Dans tout cela, peu d’albums entiers. Peu d’œuvres suffisamment profondes, réussies et plurielles pour embrasser la complexité d’un sentiment que le simple fait de nommer a déjà tendance à limiter.

Peut-être parce qu’il n’est pas tout à fait de ce monde, Jef Barbara ne s’est pas encombré de ce genre de pensée au moment d’enregistrer son second album, qui paraît un an et demi seulement après l’étonnant Contamination (dont nous avions dit alors le bien que nous pensions). Il a tout pris, n’a rien jeté, et publie au final un disque fascinant faisant passer le précédent pour un vague brouillon. Viral, Soft to the Touch l’est comme l’amour ou le désir, bien plus que ne l’était un prédécesseur pourtant mieux nommé. La béatitude, le plaisir, l’attente, la frustration, l’abandon… tout y est, même et peut-être surtout lorsque les chansons parlent de tout autre chose. C’est une vibe, un truc indicible que distille chacune d’entre elles. Une obsession dont on n’a aucune envie de se débarrasser et que l’on se surprendrait même par instants à entretenir. Au point qu’il faille un moment pour réussir à réellement écouter l’album, prendre ses enjeux en considération voire simplement se rappeler des espoirs qu’on plaçait en lui. On aurait bien envie de que l’artiste se fait ici plus cold ou moins rentre-dedans (quoique tout dépende de quel rentre-dedans on parle…), mais la vérité est que ce nouvel opus est tout simplement plus fort. Plus abouti, bien sûr. Plus ambitieux, sans aucun doute. Surtout plus prenant, plus intense. Tout aussi sexuel que Contamination, mais autrement plus endurant, sensuel et inventif dans sa manière de faire monter le plaisir (ce sera ici un refrain orgasmique, là une montée en puissance, là encore une trouvaille de prod toute conne mais tout bonne). Comme tout le monde en 2013, Jef Barbara fait de la pop des années 80, mais il ne la fait certainement pas « à la manière de tout le monde ». Suffit d’écouter l’exceptionnelle "Technic Is Fun", ou dans une moindre mesure l’impeccable "Erection", pour constater que quand les autres essaie de faire un truc revival, lui se contente d’être new wave naturellement, presque sans le vouloir. Il a l’allure sans les gimmicks lourdingues, l’élégance sans les manières, le psychédélisme sombre comme le romantisme un peu fatigué qui font les plus grands noms d’un genre que l’imaginaire collectif réduit trop souvent à un truc de corbeaux dépressifs. Chez Jef Barbara la new wave jouit, se contorsionne, s’angoisse : elle aime et vit et palpite comme dans trop peu d’albums de nos jours. Il y a des poses, bien sûr. Beaucoup de glam et d’artifices. Jamais de postures. Et si l’on pourra regretter par instant que le jeune homme ait laissé de côté l’aspect volontairement variét’ et putassier qui faisait beaucoup pour le charme de son précédent disque, on n’ira pas se plaindre qu’il l’ait remplacé par des atmosphères aussi sexy et affriolantes que celles de "Chords" ou "I Know I’m Late". Contamination avait excité et allumé, et c’était drôlement bon ; Soft to the Touch passe tout simplement à l’acte – et c’est encore meilleur.


👍👍👍 Soft to the Touch 
Jef Barbara | Tricatel, 2013