[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - Hors-série N°12]
Le Lou a toujours été un artiste mal aimé sur ce blog. Et, à vrai dire, à peu près tous les autres. Et dans la presse aussi, pas mal, qui depuis des lustres ne s'intéressait plus que poliment à sa production (il est vrai plus que médiocre), quand ses contemporains (Bowie, Macca, Dylan) forçaient l'indulgence jusqu'aux limites de l'entendement. Pourtant, paradoxalement, Lou Reed est dans le même temps l'un des artistes à avoir le plus souvent eu les honneurs de ces pages (treize de ses disques y ont été chroniqués, on frôle de près le record), mais le fait est que c'était bien souvent pour se foutre de sa gueule, même lorsqu'il s'agissait de chroniquer un chef-d’œuvre absolu de l'histoire du rock'n'roll - paraîtrait qu'il en aurait signé quelques uns. C'est que l'homme se prenait tellement au sérieux qu'il était difficile de résister à l'envie de le tourner en dérision, a fortiori depuis dix ans que sa discographie était devenu un fatras si ennuyeux ou embarrassant que dans le dernier article qui lui fut consacré ici, je préférai l'imaginer mort depuis 2001.
L'immortel interprète de [mettez le morceau que vous voudrez, ce ne sont pas les choix judicieux qui manquent] étant désormais bizarrement... mort, j'ai le droit de dire ce que j'en pense vraiment, à savoir qu'il était le plus grand. Ou pas loin. La musique tourne depuis une heure, les titres défilent, ma page d'accueil Facebook se transforme seconde après seconde en un immense mur à la gloire de Lou Reed, et je ne peux m'empêcher de me demander combien d'artistes pop ont réellement été plus important que lui. Juste ça : importants. Dylan ? Les Beatles ? Sûrement, oui. Les Stones ? Ils ont incarné le visage du rock'n'roll - ils ne l'ont pas changé aussi profondément que Lou Reed. Qui s'en occupa pour le meilleur comme pour le pire. Outre qu'il inventa un son de gratte et une scansion qui n'ont eu de cesse de déchaîner des vocations, c'est à lui et personne d'autre que l'on doit cette idée que le rock'n'roll pouvait - devait - être un peu plus que de la musique populaire. Qu'il pouvait parler au cerveau, et non plus uniquement au corps - pour ne pas dire aux couilles. Et s'il est devenu de fait indirectement responsable de l'émergence de quelques uns (voire de tous) les groupes les plus chiants, prétentieux et/ou bruitistes des cinquante dernières années, chacun d'entre nous, le plus petit amateur de rock indé qui soit, est le rejeton honteux de ce vieux bonhomme un peu pervers, qui ne souriait jamais et entretenait un rapport quasi systématiquement conflictuel avec l'auditeur (encore plus lorsqu'il foulait une scène).
Et pourtant, s'il sera célébré comme se doit dans les jours qui viennent, Lou Reed sera moins pleuré que d'autres, bien moins grands, bien moins forts. On fera des blagues sur le fait que son dernier disque soit son improbable association avec Metallica aussi souvent que l'on applaudira son sens du storytelling. On ironisera sur le fait qu'il n'ait jamais eu que deux tubes et demi et, bien évidemment, on fera des réflexions sur Metal Machine Music. Parce que c'est comme ça. C'est dans le cahier des charges. Lou Reed n'était pas un personnage attachant. Il n'était pas émouvant, et même lorsqu'il se retrouvait en position de toucher, il parvenait à se rendre suffisamment antipathique pour que sa personne laisse infiniment plus froid que sa musique. A vrai dire, il est très possible que Lou Reed ait été le pire connard de toute l'histoire du rock (les anecdotes accréditant cette hypothèse se comptent par centaines). Son job à lui n'était pas de tirer les larmes, encore moins d'amuser : c'était Génie. Avec un "G" majuscule. Génie qui en jette, génie qui te la fait fermer, génie qui sait qu'il est un génie et va te démontrer pourquoi (il n'ajoutera peut-être pas "pauvre merde", mais son regard te le fera comprendre). Lou Reed n'était pas le genre de personne que l'on pleure, et nul doute que cet affreux jojo qui était persuadé de ne plus avoir de public depuis des décennies aurait trouvé l'idée des plus incongrues. Pour autant, on ne laissera pas écrire des âneries, comme par exemple qu'il vivait sur ses acquis depuis à peu près toujours, et capitalisait sur sa légende pour mieux publier des choses sans intérêt qui, soit dit en passant, ne se vendaient pas du tout. Croire cela, c'est n'avoir rien compris à un personnage dont le caractère odieux avait fini depuis longtemps par faire parfaitement corps avec son œuvre. Au-delà de la qualité prodigieuse de certains de ses disques, avec ou sans le Velvet Undergroud, Lou Reed n'était pas n'importe quel dinosaure du rock en cela que contrairement aux autres - tous les autres - il n'aura jamais eu rien à ficher de vendre des palettes d'albums et d'avoir des fans en délire. Mégalo à coup sûr, cinglé sans doute, il incarnait encore, à plus de soixante-dix ans, une forme de jusqu’au-boutisme artistique dont on désespère qu'elle fasse un jour des petits (sans doute en partie parce que l'époque ne s'y prête plus et que Lou Reed eut la chance, qu'il força à peine, de sortir de l'ombre à moment "T" comme Transformer... et le privilège de choisir de retourner s'y enterrer). On n'a jamais vu artiste publier à l'aube de la soixantaine un album aussi ambitieux et brillant qu'Ecstasy, et seule la médiocrité de ses derniers ouvrages rend difficilement visible à l’œil nu cette évidence : le Lou faisait ce qu'il voulait, comme il voulait, et continuait d'être d'une incroyable radicalité à sa manière - certes plus aussi révolutionnaire que du temps de "Venus in Furs". Pourtant, c'était - toujours - le même combat, une envie de faire de l'Art, même mauvais, plutôt que de la bonne pop (ce qu'il savait pratiquer les yeux fermés). L'inaudible The Raven, l'ultra-soporifique Hudson River Wind Meditations ou sa coucherie avec Metallica eurent beau être des albums oscillant entre le raté et l’effroyable, ils avaient ce mérite, rarissime pour un artiste de cette génération, de ne jamais être des albums de vieux croulant tentant de se croire éternel en rejouant le passé jusqu'à l’écœurement. Et s'il y a, c'est d'accord, une triste ironie à ce qu'il s'en soit allé sur un disque aberrant avec un jeune groupe de quinquas n'ayant rien à voir avec son génie, il en est une autre, jouissive, à se dire que le dernier acte de son œuvre aura été de sadiser des rockstars obèses de gloire et de pognon jusqu'à leur confisquer la vedette et les métamorphoser en vulgaire backing band. Comme pour rappeler une dernière fois à ceux qui l'auraient oublié que le Patron, c'était bien lui.
L'immortel interprète de [mettez le morceau que vous voudrez, ce ne sont pas les choix judicieux qui manquent] étant désormais bizarrement... mort, j'ai le droit de dire ce que j'en pense vraiment, à savoir qu'il était le plus grand. Ou pas loin. La musique tourne depuis une heure, les titres défilent, ma page d'accueil Facebook se transforme seconde après seconde en un immense mur à la gloire de Lou Reed, et je ne peux m'empêcher de me demander combien d'artistes pop ont réellement été plus important que lui. Juste ça : importants. Dylan ? Les Beatles ? Sûrement, oui. Les Stones ? Ils ont incarné le visage du rock'n'roll - ils ne l'ont pas changé aussi profondément que Lou Reed. Qui s'en occupa pour le meilleur comme pour le pire. Outre qu'il inventa un son de gratte et une scansion qui n'ont eu de cesse de déchaîner des vocations, c'est à lui et personne d'autre que l'on doit cette idée que le rock'n'roll pouvait - devait - être un peu plus que de la musique populaire. Qu'il pouvait parler au cerveau, et non plus uniquement au corps - pour ne pas dire aux couilles. Et s'il est devenu de fait indirectement responsable de l'émergence de quelques uns (voire de tous) les groupes les plus chiants, prétentieux et/ou bruitistes des cinquante dernières années, chacun d'entre nous, le plus petit amateur de rock indé qui soit, est le rejeton honteux de ce vieux bonhomme un peu pervers, qui ne souriait jamais et entretenait un rapport quasi systématiquement conflictuel avec l'auditeur (encore plus lorsqu'il foulait une scène).
Et pourtant, s'il sera célébré comme se doit dans les jours qui viennent, Lou Reed sera moins pleuré que d'autres, bien moins grands, bien moins forts. On fera des blagues sur le fait que son dernier disque soit son improbable association avec Metallica aussi souvent que l'on applaudira son sens du storytelling. On ironisera sur le fait qu'il n'ait jamais eu que deux tubes et demi et, bien évidemment, on fera des réflexions sur Metal Machine Music. Parce que c'est comme ça. C'est dans le cahier des charges. Lou Reed n'était pas un personnage attachant. Il n'était pas émouvant, et même lorsqu'il se retrouvait en position de toucher, il parvenait à se rendre suffisamment antipathique pour que sa personne laisse infiniment plus froid que sa musique. A vrai dire, il est très possible que Lou Reed ait été le pire connard de toute l'histoire du rock (les anecdotes accréditant cette hypothèse se comptent par centaines). Son job à lui n'était pas de tirer les larmes, encore moins d'amuser : c'était Génie. Avec un "G" majuscule. Génie qui en jette, génie qui te la fait fermer, génie qui sait qu'il est un génie et va te démontrer pourquoi (il n'ajoutera peut-être pas "pauvre merde", mais son regard te le fera comprendre). Lou Reed n'était pas le genre de personne que l'on pleure, et nul doute que cet affreux jojo qui était persuadé de ne plus avoir de public depuis des décennies aurait trouvé l'idée des plus incongrues. Pour autant, on ne laissera pas écrire des âneries, comme par exemple qu'il vivait sur ses acquis depuis à peu près toujours, et capitalisait sur sa légende pour mieux publier des choses sans intérêt qui, soit dit en passant, ne se vendaient pas du tout. Croire cela, c'est n'avoir rien compris à un personnage dont le caractère odieux avait fini depuis longtemps par faire parfaitement corps avec son œuvre. Au-delà de la qualité prodigieuse de certains de ses disques, avec ou sans le Velvet Undergroud, Lou Reed n'était pas n'importe quel dinosaure du rock en cela que contrairement aux autres - tous les autres - il n'aura jamais eu rien à ficher de vendre des palettes d'albums et d'avoir des fans en délire. Mégalo à coup sûr, cinglé sans doute, il incarnait encore, à plus de soixante-dix ans, une forme de jusqu’au-boutisme artistique dont on désespère qu'elle fasse un jour des petits (sans doute en partie parce que l'époque ne s'y prête plus et que Lou Reed eut la chance, qu'il força à peine, de sortir de l'ombre à moment "T" comme Transformer... et le privilège de choisir de retourner s'y enterrer). On n'a jamais vu artiste publier à l'aube de la soixantaine un album aussi ambitieux et brillant qu'Ecstasy, et seule la médiocrité de ses derniers ouvrages rend difficilement visible à l’œil nu cette évidence : le Lou faisait ce qu'il voulait, comme il voulait, et continuait d'être d'une incroyable radicalité à sa manière - certes plus aussi révolutionnaire que du temps de "Venus in Furs". Pourtant, c'était - toujours - le même combat, une envie de faire de l'Art, même mauvais, plutôt que de la bonne pop (ce qu'il savait pratiquer les yeux fermés). L'inaudible The Raven, l'ultra-soporifique Hudson River Wind Meditations ou sa coucherie avec Metallica eurent beau être des albums oscillant entre le raté et l’effroyable, ils avaient ce mérite, rarissime pour un artiste de cette génération, de ne jamais être des albums de vieux croulant tentant de se croire éternel en rejouant le passé jusqu'à l’écœurement. Et s'il y a, c'est d'accord, une triste ironie à ce qu'il s'en soit allé sur un disque aberrant avec un jeune groupe de quinquas n'ayant rien à voir avec son génie, il en est une autre, jouissive, à se dire que le dernier acte de son œuvre aura été de sadiser des rockstars obèses de gloire et de pognon jusqu'à leur confisquer la vedette et les métamorphoser en vulgaire backing band. Comme pour rappeler une dernière fois à ceux qui l'auraient oublié que le Patron, c'était bien lui.
'tain tu m'a piqué ma chrommage, salaud ! ;-)
RépondreSupprimerAppelle-moi Chipeur le renard :-)
SupprimerC'est bizarre. Depuis hier soir, pas tellement envie de lire des trucs sur Lou Reed. Exaspération face à la litanie consensuelle des hommages FB. Moi, je n'ai rien eu envie de poster, si ce n'est son duo avec Pavarotti sur Perfect Day, en réaction pour me foutre de sa gueule ou plutôt pour me foutre de ceux, qui, mécaniquement, le pleurent et ne retiennent en guise d'hommage qu'une poignée de titres tubesques (sublimes certes mais galvaudés). J'ai viré ce post lâché trop rapidement sur FB : ce cynisme ne me ressemblait pas. Et oui, ça revient à ce que tu écris. Il n'était pas attachant. Sa mort choque mais n'émeut pas. J'étais bien plus dévasté quand j'ai appris la mort de Daniel Darc, par exemple, pour s'en tenir à des disparitions récentes. Pourtant, oui, Lou Reed, c'est l'un des plus gros chapitres de l'histoire du rock (alors que Daniel Darc...). C'est bizarre, ce décalage, le sentiment que je n'ai rien à en dire, que c'est quelque chose qui est comme étranger, lointain... Je ne me l'explique pas tant j'ai écouté certains de ses disques, à commencer par des albums tardifs, moins connus, pas forcément considérés comme des classiques mais que je découvrais "en direct" (New York - chef-d'œuvre ! - Set the Twilight Reeling, Magic and Loss, Ecstasy...). C'est peut-être ça, au fond, mon rapport à Lou Reed : bien plus que le Velvet, que Transformer ou Berlin, c'est avoir écouté New York à sa sortie, se l'être fait offrir en vinyle et en avoir été durablement bouleversé. Lou Reed est mort, ça fait bizarre. C'est presque théorique. Mais tu as raison - cette fois on peut l'écrire - le Rock tel qu'on le connait ne serait assurément pas le même sans lui.
RépondreSupprimerJe note en tout cas que, comme moi, tu as un penchant prononcé pour ses albums des années 90 ^^
SupprimerUn peu comme un Dylan (mais en plus mort maintenant), en qq sorte ;-?
RépondreSupprimerJe ne sais pas. Je les prends les morts les unes après les autres ;-)
SupprimerBel hommage !
RépondreSupprimerwhaouh, excellent hommage (qui donne en plus bien envie d'écouter Ecstasy)
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