vendredi 22 novembre 2013

BBmix 2013 - DAY 1

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Quel plaisir, après quelques années, de retrouver le BBmix, probablement le meilleur festival inconnu d’Ile-de-France. Son Carré Belle-Feuille toujours aussi agréable et chaleureux, son organisation toujours aussi sympathique, sa prog’ toujours aussi pointue (de plus en plus, même)… et bien évidemment sa scène toujours aussi gigantesque et difficile à occuper pour les artistes (deux des trois groupes programmés ce soir étant des duos, on compatit avant même l’ouverture des hostilités). Qu’on ne nous demande pas pourquoi nous n’y avions pas mis les pieds depuis trois ans ; il n’y a pas réellement d’explication à cela, d’autant qu’on gardait un excellent souvenir de notre précédent passage – largement commenté en ces pages à l’époque. Peu importe : la team Interlinage fait cette année son grand retour à Boulogne-Billancourt. Autant dire qu’il fallait une sacrée affiche pour nous faire crapahuter jusque là-bas.

Début de soirée intimiste avec Michel Cloup (duo), vrai-faux groupe bien aimé chez nous dont on a un peu/beaucoup/passionnément merdouillé l’interview, mais dont on n’a en revanche pas loupé une miette du concert. Rien de nouveau de ce côté, et en même temps rien que du nouveau puisque Cloup et Cartier interprètent ce soir leur prochain album (Minuit dans tes bras, à paraître en janvier et dont nous reparlerons bien évidemment en temps utile), qui s’il poursuit dans la veine mélancolique et feutrée du sublime Notre silence (2011) n’en réserve pas moins quelques surprises, probablement moins heavy et crépusculaire, sans doute plus psychédélique et planant. C’est en tout cas ce qu’on en garde après quelques écoutes rapides et un show ne rechignant pas sur les longs breaks instrumento-atmosphériques. Pas forcément l’idéal, il faut le reconnaître, pour une entame de festival, et l’assistance paraîtra en conséquence plus polie que passionnée (le fait que le set soit uniquement composé de morceaux inédits – hormis les deux déjà dévoilés au cours des derniers mois – n’aide probablement pas non plus). Qu’importe : Michel Cloup fait partie de ces artistes pourvus d’un Style-avec-un-grand-S-tu-vois, auxquels on pourra ne pas être sensible mais pour lesquels adhérer à une seule chanson signifie adhérer – tout court. On retient son souffle ici ; on ferme les yeux là. Quarante-cinq minutes s’écoulent qui en paraissent à peine vingt, et lorsque l’instant de contemplation s’achève, on regrettera tout au plus de ne peut-être pas l’avoir savouré comme il le fallait, la fatigue et le stress de la journée étant passés par-là.


Les Olivensteins sont de gros farceurs. À force de la jouer vieux briscards que trente-cinq d’anonymat ont rendu sur-humbles, ils réussissent presque à nous faire gober, au terme de la bonne demi-heure d’interview qu’ils nous auront accordée, qu’ils tiraient un peu la langue en fin de concert et qu’il valait mieux ne pas louper le début. Le contraire sera aisément démontré durant une heure de rock’n'roll sans fioritures ni postures à deux balles, et le show sera à l’exacte image des types rencontrés un peu plus tôt dans la soirée : simple, bon enfant, foutrement cool. L’équilibre est pourtant souvent dur à tenir pour certains groupes, entre ne pas se prendre au sérieux et ne pas être sérieux du tout. Pas pour celui-ci, qui il est vrai en a vu d’autres au long d’une carrière aussi éphémère que chaotique1 (et qui d’ailleurs ne portait pas vraiment ce nom : carrière). « C’est plus facile maintenant, on est trop vieux pour se prendre la tête avec des trucs d’égo. Ça fait longtemps qu’on ne pense plus qu’on va gagner de l’argent ou en faire notre vie – tu parles, y a déjà deux tiers de notre vie qui sont passés. » Avec ce genre de citation en guise de bande-annonce, inutile de dire qu’on oublie rapidement toutes les réserves habituelles concernant les « reformations ». Les ex-gloires rouennaises n’essaient pas de se faire passer pour autre chose que ce qu’elles sont, à savoir des vieux mecs contents d’être là en train de jouer des morceaux écrits alors qu’ils sortaient à peine de leur œuf, tout heureux de ce statut culte qu’eux, contrairement à d’autres dont on taira les noms par pudeur, n’ont jamais essayé de forcer. « C’est marrant parce que plein de gens nous ont découvert à différentes époques et dans des contextes différents », souligne Gilles Tandy, qui avoue avoir été franchement surpris de l’adhésion suscitée par la compile Born Bad publiée il y a deux ans2. C’est qu’il y a une marge, on le devine, entre savoir qu’on a toujours une place dans le cœur (et la discothèque) de certains, puis le voir de ses yeux vu. Il n’y avait pas que des vieux lors des deux – désormais trois – concerts de réunion du groupe, mais encore des jeunes, mais aussi des enthousiastes. Ce soir comme les fois précédentes, et si Gilles devra dans un premier temps toiser une assemblée trop sagement assise dans les confortables fauteuils du Carré Belle-feuille, celle-ci ne mettra pas bien longtemps à se réveiller pour venir se blottir au bord de la scène. Après tout, on n’assiste pas tous les jours à un moment d’exception.


Car c’est de cela qu’il s’agit et vu son enthousiasme, on peut supposer que le public mesure sa chance, entre ceux – tels votre serviteur – qui, fans depuis leur plus tendre enfance, n’auraient jamais imaginé voir les Olivensteins sur scène, et ceux qui les ont découverts plus récemment en prenant tout de plein de fouet. En un sens, chacun est logé à la même enseigne, puisque pléthore des chansons jouées ce soir étaient totalement inconnues il y a encore deux ans (bien entendu on n’interdit à personne de faire semblant d’être un pur et dur qui connaissait "Je hais les fils de riches" depuis 1979, hein. Ça fait partie du truc). Si la simplicité du jeu de scène et les interactions chaleureuses avec le public jouent beaucoup pour faire oublier l’aspect exceptionnel du show, on ne peut s’empêcher de le regarder en se disant qu’on n’en vivra jamais d’autre comme celui. Que bientôt, parce que les gaillards ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin3, il sera devenu « normal » d’aller applaudir les Olivensteins en chair et en os. Il sera bien temps alors d’émettre des réserves, de bouder son plaisir, d’essayer être objectif plutôt que de prendre son pied. Pour l’heure, on a juste envie de dire qu’une fois n’est pas coutume concernant le punk de chez nous, cette légende-ci n’était pas usurpée : que ce soit en terme de répertoire, de présence scénique ou d’énergie, les Rouennais étaient – sont ! – bel et bien le meilleur groupe dont la France ait alors accouché.


À vrai dire, le plus tout jeune homme qui adorait leur trois titres depuis sa plus tendre enfance ne les imaginait ni aussi racés, ni aussi efficaces, ni aussi bons – tout simplement. Et si "Fier de ne rien fier", hymne parmi les hymnes, récolte évidemment la majorité des suffrages, peut-être comme le supposait plus tôt Gilles parce qu’il reste très actuel (« C’est un peu tout le contraire de ce qu’on nous dit de faire aujourd’hui »), c’est l’ensemble du set qui s’avère de haute tenue, incontournables ("Négatif", of course ; "Patrick Henry est innocent", tout naturellement) comme titres plus obscurs qu’on se souvient avoir déjà entendus sans tout à fait se remémorer leurs paroles au-delà de refrains que l’on se fait un plaisir de brailler sans complexes. Un chouette moment, vraiment, qui aura mis tout le monde d’accord, des (très) jeunes fans rouennais visiblement en pleine sortie pédagogique aux plus vieux qui ne se seront pas privés de remuer du popotin, en passant par les simples observateurs dont l’opinion aura été parfaitement résumée par notre photographe, qui ne les connaissait pas du tout : « Je les adore ! »

On pourrait difficilement trouver enchaînement plus étrange que Magnetix, qui pour leur part sont atteints bien malgré eux du syndrome inverse : celui du groupe qu’on a vu tellement de fois qu’on le regarde désormais de manière un peu dépassionnée. Un syndrome bien gentil qui ne doit guère les plonger dans une grande souffrance, on en conviendra, d’autant qu’il ne semble pas affecter le gros du public. À tout le moins la partie de celui-ci encore présente, les rangs s’étaient franchement clairsemés après la leçon de rock’n'roll des Olivensteins.


Pas très juste sans doute, car en terme de maîtrise live leurs collègues de label n’ont pas grand-chose à leur envier. Habités, visiblement en très bonne forme, les Bordelais font leur truc avec leur efficacité habituelle, soit donc un rock’n'roll épileptique à faire passer feu les Cramps pour les Kills (ou pour un couple de coincés du cul lambda, ce qui revient au même). C’est normalement incendiaire, logiquement fun, tant et si bien qu’on préfère ne pas rester jusqu’au bout. Sans que cela remette en quoi que ce soit en cause la qualité de la prestation, il vaut mieux éviter de trop voir certains artistes de peur de se les gâcher. Et puis il est tard. Et puis on a de la route. Et puis on remet ça demain. Donc ce soir. Il faut se préserver un peu – tout le monde n’a pas l’éternelle jeunesse des Olivensteins.

Crédit photo : Cri Photographie



1. On vous renvoie à Wikipedia pour les détails d’une histoire ayant été racontée tellement de fois que c’est à peine si l’on a osé les interroger à ce sujet.
2. Précisons pour les plus jeunes de nos lecteurs que cette compilation éponyme est à ce jour le seul LP jamais publié par le groupe, dont la « première carrière » ne dura qu’une grosse année et demi, avec pour seule trace le 3 titres – on a envie d’ajouter mythique, car il l’est au moins pour quelques uns – Fier de ne rien faire / Euthanasie / Je suis négatif. Comme beaucoup de groupes de la vague punk, à vrai dire.
3. Il y aurait même un nouveau texte en chantier, même si le groupe affirme qu’il est franchement trop tôt pour envisager de donner une suite discographique à cet improbable comeback.