dimanche 24 novembre 2013

BBmix 2013 - DAY 3

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Peut-être est-ce l’idée d’aller acclamer Monsieur Lee Ranaldo. Peut-être est-ce parce qu’il fait plus doux qu’hier. Peut-être est-ce tout simplement le fait que ce soit le week-end – qu’importe : l’essentiel est qu’en ce samedi soir, la team Interlignage soit d’exceptionnellement bonne humeur, ce qui explique qu’elle pousse la mansuétude jusqu’à décider de ne pas piper mot de la prestation (très très) sage et (très très) appliquée de Tazieff. Le vainqueur du dernier tremplin Go West a la lourde tâche d’ouvrir pour de sacrées pointures, qui plus est dans un contexte pas forcément propice à ce qui s’avère somme toute du bon vieux pub-rock des familles, qu’on aurait probablement plus apprécié accoudé quelque part une pinte à la main 1. Notez qu’au moins, ces jeunes gens sans doute un peu trop propres sur eux avaient le mérite de proposer un tant soit peu de présence scénique, si lisse fût-elle en définitive. On ne peut pas dire qu’il en aille autant pour l’artiste suivante, la nommée Ela Orleans, dont on avait entendu au préalable le plus grand bien.


C’est peu dire que sa performance décontenance, en cela qu’elle n’en est absolument pas une et que la jeune femme semble même mettre un point d’honneur à bâtir son set contre ce concept-même. Pensez donc que comme si ce n’était pas suffisant de jouer sur une scène qui doit sembler infinie lorsque l’on est seul dessus… comme si ce n’était pas encore assez handicapant d’avoir très peu charisme et de devoir interpréter ses titres assise derrière un ordinateur… Ela Orleans a décidé de corser encore les choses en installant son petit « bureau » (sic) tout au fond de la scène, histoire sans doute d’être bien sûre et certaine que les gens installés aux dernier rangs ne la verront pas – du tout. Avouons qu’il y a de quoi être décontenancé face à ce qui relève indubitablement du parti-pris, provoquant un décalage étonnant entre les aspects auditif et visuel – la musique se révélant être une pop guillerette et intemporelle, parfois même réellement entraînant. Décalage et même double décalage, puisque les projections en arrière-plan accompagnent pour leur part le groove dans un joli bazar psychédélico-arty dont on se dit, l’espace d’une seconde, qu’il est peut-être censé illustrer l’état intérieur d’une chanteuse que même de tout près, on peine par instant à distinguer dans la pénombre. Ce qu’on appelle en somme séduire de par son étrangeté, et s’il est certain qu’Ela Orleans gagnerait à se mettre un peu plus en avant sur scène (travail conceptuel ou non, un live reste un live et on n’y vient pas pour regarder un montage d’images – même si celui-ci est le cas échéant très bien réalisé), difficile de résister au charme de son répertoire, comme à l’atmosphère rétro se dégageant d’images mouvantes déconseillées aux épileptiques.


Des épileptiques dont ce n’était de toute façon pas la soirée, puisque le BBmix accueille aussitôt après les très attendus Magik Markers, trio furibard dont le mauvais coucheur en nous ne peut s’empêcher de se demander s’il finira un jour par quitter son statut d’éternelle première partie partie de Sonic Youth ou de ses membres. Il est vrai cela dit que l’on peine à les imaginer sur un set de plus d’une heure tant leur rock post-nucléaire a amplement de quoi déchirer quelques tympans en moitié moins de temps (ce n’était donc pas non plus la soirée des personnes souffrant de troubles auditifs).


Ceux qui connaissent le groupe (a priori une grosse partie de l’assemblée, ce soir) connaissent déjà par conséquent ses qualités (nombreuses) et ses défauts (à peu près autant). Sa capacité à habiter les compositions les plus ardues comme sa tendance parfois gênante à céder au bavardage, voire à tomber dans le travers d’à peu près tous les groupes de noise-rock – soit donc le bruit pour le bruit. Nulle trace de cela ce soir, cependant, même si les double M envoient le bois (c’est heureux). A se demander ce qu’en auront pensé ceux ne les ayant découverts qu’avec leur dernier opus, le tout nouveau/tout mimi Surrender to the Fantasy, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il aura été malmené durant ce show névrotique (litote). L’humeur n’est pas franchement à la contemplation ni aux jolies comptines, le groupe donnant exactement ce que l’on attendait de lui : de la férocité, du (gros) boucan et des morceaux s’étirant jusqu’à se briser. Fatigant sans doute, pour certains, mais rondement mené et bénéficiant de surcroît du son toujours impec’ du Carré Belle-Feuille.


Lee Ranaldo se fait un peu attendre, mais une fois entré en scène accompagné de The Dust (dont l’autre ex-SY Steve Shelley, toujours aussi excellent à la batterie), on ne regrettera pas une seconde d’être resté campé sur les sièges du premier rang plutôt que d’être allé s’enfiler quelques bières au bar. Même en n’ayant rien d’un fétichiste de la branlette de manche, difficile de ne pas se sentir un brin privilégié de voir à l’œuvre, à à peine un mètre de soi, l’un des meilleurs guitaristes de sa génération. Au point qu’on reste un temps fasciné par ses mains, la fluidité de chacun de ses gestes, la simplicité qui se dégage du New-yorkais dans les passages les plus complexes.


Venu défendre un chouette nouvel opus (Last Night on Earth), cette légende vivante aux airs de vrai gentil et au charisme discutable semble sincèrement heureux d’être là, sourira plus qu’à son tour durant la grosse heure à venir, et ne décevra que les fans de ses travaux les plus radicaux. Pour sûr, ce nouveau « projet » quasi éponyme continuera un petit moment à faire couler de l’encre, ne serait-ce que parce qu’il s’agit sans aucun doute du meilleur opus d’un désormais ex-membre de Sonic Youth depuis… allez, disons le Psychic Hearts de Thurston Moore (presque vingt ans, tout de même). Un ouvrage sans doute un peu le cul entre deux chaises, à la fois trop pop pour les fondamentalistes du groupe américain, et trop bizarroïde ou distordu pour les vrais amateurs de pop. Mais un ouvrage qui, en tout cas, prend une toute autre dimension sur scène, où Ranaldo n’hésite pas à laisser parler le fan de Big Star qui sommeille en lui. Oui oui : c’est bien à de la power-pop tout comme il faut que s’adonne durant une grande partie de son set le fondateur du groupe de rock expérimental ultime, sans le moindre complexe de surcroît. Impression séduisante autant que bizarre d’entendre quelque chose réussissant à être très proche de Sonic Youth (cette voix personnelle à défaut d’être grande, ce son de gratte inimitable quoique souvent imité) tout en se situant en même temps à ses antipodes (ces refrains tellement catchy, cette simplicité dans les mélodies ou les harmonies…) Le naturel revenant toujours au galop, la soirée n’est évidemment pas exempte d’élans bruitistes, pour certains d’ailleurs un peu gratuits, mais l’ensemble est admirablement dosé et (presque) toujours mis aux services de chansons dont on n’avait pas toujours remarqué qu’elles tenaient si bien la route.


On rétorquera qu’après plus de 30 ans de carrière, tout cela ne relève jamais que du minimum syndical. Oui et non, car si Ranaldo a bien entendu et comme on dit « du métier »2, on ne constate pas tous les jours une telle aisance, une telle chaleur, une telle élégance… y compris chez des artistes à l’expérience supérieure ou égale. C’est bien simple, quand résonnent les dernières notes du concert, on n’a qu’une envie : attendre Lee pour le féliciter. Et accessoirement lui demander s’il veut bien devenir notre meilleur ami pour la vie.

Crédit photo : Cri Photographie



1. Bon : ne poussons pas trop sur la mansuétude non plus ; ce n’était tout de même franchement pas terrible. D’autant que le programme annonçait rien moins que les « dignes héritiers de Bauhaus » (!!!!!!!!!!!!!!!! (il faudra aller écouter leur album par curiosité, car le moins qu’on puisse dire est que ce que nous avons entendu au BBmix ressemblait à peu près à tous les classiques du rock possible… sauf aux auteurs de Mask…))
2. Tout comme d’ailleurs les membres de The Dust, la réputation d’Alan Licht n’étant plus à faire tandis que Tim Lützen, qui a officié parmi cent autres chez Emmylou Harris, Gillian Welch ou Bright Eyes, n’est pas exactement un peintre.

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