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Il y a tellement de choses perturbantes dans le dernier Ellory1 qu'on se demande un instant si l'auteur du splendide A Quiet Belief in Angels n'a pas légèrement grillé un fusible. Traitement du Mal comme d'une maladie contagieuse (plus rance et réac, tu meurs), violence à la limite du soutenable - le plus souvent à l'adresse des femmes - complaisamment étalée sur des chapitres entiers, clichés de mauvaises séries B balancés à la va-comme-je-te-pousse... c'est peu dire qu'on a bien du mal à reconnaître le type qui, il y a quelques années encore, bluffait tout le monde avec ses polars mutants où le fait divers le plus banal débouchait immanquablement sur une fresque mâchant les coins et les recoins de la société pour mieux l'interroger.
Ce n'est clairement pas le propos ici - si tant est qu'il y en ait réellement un. On entend bien qu'Ellory, qui connaît ses classiques et ne manque jamais de rendre hommage à ses Maîtres, ait voulu se payer un petit noir bien serré, à l'ancienne, sans doute histoire de se rappeler d'où il vient. Personne n'aurait l'idée de lui jeter la pierre, et dans une époque où règnent sur les charts les thrillers à deux balles, les romans policiers à papa et les contrefaçons scandinaves, il est sain qu'un des auteurs les plus populaires des dernières années se pique de s'inscrire dans la filiation d'un Jim Thompson. Le problème - on aurait dû le deviner dès la couverture - c'est que Roger Jon Ellory, malgré tout son talent, n'a à peu près rien de commun avec Jim Thompson, qu'il se contente au mieux d'imiter lourdement sans jamais en retrouver ni la sécheresse inquiétante ni, et c'est sûrement là que le bât blesse le plus, l'ironie froide rendant les séquences les plus insupportables totalement fascinantes. Si l'on ne peut lui enlever un sens de la narration assez efficace, tout particulièrement lorsqu'il s'agit de gérer les twists, l'Anglais a malheureusement le plus souvent l'air aussi couillon et bourrin que son personnage principal, ce Digger qui pourrait parfois presque effrayer si son auteur, sans doute flippé à l'idée d'aller au bout de son propos en proposant la vision distordue d'un sociopathe, n'en avait pas fait un crétin congénital dont le moindre geste défie toute logique humaine - ce qui vaut toujours mieux, me dira-t-on, que lorsque l'auteur se propose de nous expliquer son comportement à grands coups demarteau piqueur psychologie et de digressions pseudo-déterministes que les plus larges d'esprit trouveront au minimum fumistes (les plus exigeants verront leurs mâchoires se décrocher face à des réflexions franchement limites, sous leur apparent humanisme). Je qualifie Digger de personnage principal, car il est rapidement admis que son frère, le gentil Clarence, n'est qu'un prétexte : ce qui fascine Ellory est indiscutablement la sauvagerie du duo Digger/Earl, les pérégrinations de l'intellectuel de la famille perdant d'ailleurs tout commencement de début d'intérêt à la minute où la vie sépare les deux frangins. Un gamin paumé qui va Dieu sait où en faisant du stop, flanqué d'une adolescente qu'il ne se tape même pas, c'est tout de même beaucoup moins rigolo qu'un taré qui viole et mutile à peu près toutes les femmes qu'il croise et serait bien infoutu de dire pourquoi il le fait, puisque Digger est mû par des forces invisibles le dépassant de loin, voire est possédé (le mot est écrit à plusieurs reprises) par l'esprit du maniaque qui l'a kidnappé, ce qui on en conviendra est bien commode pour éviter au lecteur de se poser trop de questions. Au premier rang desquelles celle, il est vrai sans intérêt pour un auteur enchaînant les hits, concernant ses motivations : à quoi sert Bad Signs et qu'est-il supposé raconter, on n'est franchement pas trop sûr de le savoir à la fin, même si on l'aura avalé avec une grande aisance (peut-être plus grande, paradoxalement, que certains autres livres d'Ellory, pourtant nettement plus réussis). On est même tenté de se demander si la surenchère permanente à laquelle il se livre n'est pas un moyen inconscient, de la part de l'écrivain, de ne jamais prendre le temps de se le demander. C'est sûrement réussi en ce qui le concerne. Pour ce qui est d'obtenir le même effet chez le lecteur, on osera conseiller à Roger d'écrire des bouquins deux fois moins longs afin de minimiser les risques.
1. En France - il en a publié deux autres entre temps en Angleterre.
Il y a tellement de choses perturbantes dans le dernier Ellory1 qu'on se demande un instant si l'auteur du splendide A Quiet Belief in Angels n'a pas légèrement grillé un fusible. Traitement du Mal comme d'une maladie contagieuse (plus rance et réac, tu meurs), violence à la limite du soutenable - le plus souvent à l'adresse des femmes - complaisamment étalée sur des chapitres entiers, clichés de mauvaises séries B balancés à la va-comme-je-te-pousse... c'est peu dire qu'on a bien du mal à reconnaître le type qui, il y a quelques années encore, bluffait tout le monde avec ses polars mutants où le fait divers le plus banal débouchait immanquablement sur une fresque mâchant les coins et les recoins de la société pour mieux l'interroger.
Ce n'est clairement pas le propos ici - si tant est qu'il y en ait réellement un. On entend bien qu'Ellory, qui connaît ses classiques et ne manque jamais de rendre hommage à ses Maîtres, ait voulu se payer un petit noir bien serré, à l'ancienne, sans doute histoire de se rappeler d'où il vient. Personne n'aurait l'idée de lui jeter la pierre, et dans une époque où règnent sur les charts les thrillers à deux balles, les romans policiers à papa et les contrefaçons scandinaves, il est sain qu'un des auteurs les plus populaires des dernières années se pique de s'inscrire dans la filiation d'un Jim Thompson. Le problème - on aurait dû le deviner dès la couverture - c'est que Roger Jon Ellory, malgré tout son talent, n'a à peu près rien de commun avec Jim Thompson, qu'il se contente au mieux d'imiter lourdement sans jamais en retrouver ni la sécheresse inquiétante ni, et c'est sûrement là que le bât blesse le plus, l'ironie froide rendant les séquences les plus insupportables totalement fascinantes. Si l'on ne peut lui enlever un sens de la narration assez efficace, tout particulièrement lorsqu'il s'agit de gérer les twists, l'Anglais a malheureusement le plus souvent l'air aussi couillon et bourrin que son personnage principal, ce Digger qui pourrait parfois presque effrayer si son auteur, sans doute flippé à l'idée d'aller au bout de son propos en proposant la vision distordue d'un sociopathe, n'en avait pas fait un crétin congénital dont le moindre geste défie toute logique humaine - ce qui vaut toujours mieux, me dira-t-on, que lorsque l'auteur se propose de nous expliquer son comportement à grands coups de
👎👎 Bad Signs [Mauvaise étoile]
R.J. Ellory | Orion, 2011 (Sonatine, 2013, pour l'édition française)
1. En France - il en a publié deux autres entre temps en Angleterre.
Ce qui s'appelle se faire rhabiller. En même temps, c'est vrai que ses livres sont de moins en moins intéressants.
RépondreSupprimerPas encore lu (mais acheté) (mais du coup je me dis que ce n'était pas le meilleur investissement de l'année !)
RépondreSupprimerOh ben flûte. Je me réjouissais d'aller l'acheter.
RépondreSupprimerNe supporterais pas qu'il me déçoive : j'ai trop aimé ses livres précédents. :´(
16 jours...
RépondreSupprimerÇa ne me regarde en rien, mais je m'inquiète.
Quelqu'un aurait des nouvelles ?
Merci d'avance.
Les dernières semaines ont été longues, remplies et compliquées. Pas d'inquiétude à avoir, mais merci d'en avoir quand même ;-)
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