vendredi 24 janvier 2014

Just Ruin It

[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) N°111]
Types of Wood & I Fucked up Types of Wood - Whirlwind Heat (2006)

Pile ou face ? La bourse ou la vie ? Fellation ou cunnilingus - non, tu n'as pas le droit de répondre 69. Comment peut-on sincèrement aimer le 69, d'ailleurs ?

Les trois zozos de Whirlwind Heat sont des psychopathes. Ça ne date pas de la semaine dernière et c'est bien pour cela que a) ils seront vénérés par ce blog jusqu'à la fin de leurs jours, et b) ils n'ont jamais eu le plus petit commencement de vague succès, même poussés par Jack White au moment où celui avait atteint le zénith de sa notoriété. Certains groupes ne percent jamais parce que la vie est injuste, le système dégueulasse et les auditeurs des mongoliens doublés d'incultes. D'autres sont juste trop bizarres, trop barrés ou s'en branlent - les trois options étant valables dans ce cas précis (nous parlons tout de même d'un groupe dont l'un des meilleurs morceaux raconte un passage à la banque du sperme). Jouer du rock'n'roll sans guitare, c'est typiquement le genre d'idée géniale qu'on a à dix-sept ans après le split de son deuxième groupe et qui, bien heureusement, ne prête pas à conséquence. Whirlwind Heat a bâti un son à partir de cette idée conne comme une coupe au bol, et s'y tient bon an mal an depuis. C'est un détail monstrueux, un truc stupide et un brin superficiel qui concorde à en faire l'un des plus grands groupes contemporains et de très loin. Pourquoi ? Tout simplement parce que lorsque l'on écoute Whirlwind Heat, on ne songe à aucun moment audit détail ; pour l'anecdote, au moment d'écrire cet article, je l'avais presque totalement occulté. C'est en fouillant dans mes vieilles notes que je me suis rappelé qu'effectivement, ce power trio au son dément n'avait pas de guitariste. Fuck alors.


Fuck, la transition est toute trouvée. I Fucked up Type of Wood est le titre de l'un de ces deux disques siamois, mais il va sans dire qu'I am Fucked up sera le titre de la bio non-autorisée de ce groupe gentiment dérangé. Cela ne suffisait sans doute pas de virer la guitare, d'avoir un nom imprononçable même pour certain de ses compatriotes, de jouer des shows complètement cintrés et de publier un premier opus qui pourrait à lui seul faire office de blind test sur le thème des couleurs. Ce n'était pas encore assez de publier un EP fulgurant composé de chansons noise d'une minute ni de torcher toute les scènes revival post-punk et garage et pop et Dieu sait quoi en quelques titres - non non non et non : il fallait trouver plus déviant, plus idiot et plus génial. Ce sera donc fait avec un deuxième album fabuleux, distordu, virtuose. Un OVNI pop basé à 99 % sur des rythmiques élastiques et des textes farfelus, soutenu par un tube aspergerien de toute beauté ("Reagan") et étalant une collection d'hymnes popoïdes sans issue. Hétéroclite, beuglard, complètement expérimental mais absolument pop, Types of Wood peut se vanter d'être un des rares albums des années 2000 à ne ressembler quasiment à rien (ou à Devo, peut-être... mais c'est pareil, non ?), tout en paraissant dans le même parfaitement cohérent voire familier. Plus qu'au parrain Jack White, c'est à Beck - qui leur offrit d'ailleurs sa première partie - que l'on pense parfois, moins pour le son que pour la capacité qu'il avait il y a deux cents ans à nous faire attendre l'imprévu (qu'il disait). Le Beck psychédélique et hystérique de Stereopathetic Soul Manure et Odelay, donc - ceci allait sans dire. Comme lui, Whirlwind Heat arrive sur cet album à surprendre au minimum une fois par chanson sans jamais donner le sentiment de tomber dans le procédé : Types of Wood est éclatant de maîtrise, brillant par la virtuosité de sa section rythmique et la solidité de mélodies qui, même vaguement crachées dans le micro ("Gene Pool Style", "Uptight") si ce n'est carrément braillées ("Air Miami"), attrapent l'auditeur par le colbac pour ne plus jamais le lâcher. Le premier opus du groupe était réussi et excitant ; de Types of Wood, on tombe immédiatement amoureux, pour un peu qu'on n'ait jamais développé une aversion naturelle pour la pop tordue et le punk synthétique (si, ça existe, juré - cf. "Slugger" ou la démente "Umbrella People").


Concernant I Fucked up Types of Wood, son jumeau maléfique et bottleneck, les théories divergent. Dans le fond, si on a bien compris que l'un des deux était supposé avoir été foiré, on n'a jamais trop compris si le Types of Wood foiré était l'original qu'il fallait rehausser, ou son extension qui dès lors n'aurait plus été qu'une chute - la version ratée du chef-d’œuvre susmentionné. Aucune importance évidemment, puisque tout cela est on ne peut moins sérieux et que les deux sont on ne peut plus brillants. En délivrant une version lo/fi de son deuxième album, oscillant entre blues épais ("I Fucked up Air Miami") et torch song cradingue avec One Foot in the Grave en ligne de mire ("I Fucked up Reagan" est plus Beck que n'importe quelle chanson de Beck des dix dernières années), Whirlwind Heat prouve surtout, avec juste ce qu'il faut d'(auto)trahison et de mauvaise foi, qu'une bonne chanson est une bonne chanson, quels que soient les outrages qu'on lui fasse subir. Entendons-nous bien : il ne s'agit en aucun cas de balancer de vulgaires versions acoustiques des morceaux de Types of Wood ; ce serait trop facile et surtout beaucoup trop normal. I Fucked up Types of Wood est une relecture complète et improbable de l'album "pas foiré" (ou totalement chié) ; changements de tempos, interprétation radicalement différente et largement parodique (voir "I Fucked up Up-tight" et son chant ultra affecté)... I Fucked up... a beau avoir tout d'une blague, il est une blague géniale ne devant son statut d'EP qu'à sa publication discrète un soir de Noël. Pour le reste, quelqu'un découvrant les chansons en l'état les aimerait tout autant que leurs versions électriques-à-pogo ("I Fucked up Umbrella People" et son kazoo étant quasiment irrésistible... et que dire d'"I Fucked up the Sound Is Round", dont les parties délirantes au vocoder mériteraient d'être remboursées par la CPAM ?...) Ce n'est évidemment pas l'album essentiel du groupe, puisqu'il lui ressemble volontairement si peu, mais c'est en quelque sorte son existence (et le fait qu'il se suffise à lui-même) qui achève d'en faire un groupe à part, aux ressources inépuisables - en tout cas moins épuisables que chez d'autres dont on taira les noms (acte de compassion s'il en est tant 90 % de la production contemporaine semble fade à côté de Whirlwind Heat). On a tout à fait le droit de préférer le second au premier, ou le contraire. Ils composent les deux faces d'une même pièce foufou-furieuse, même si je ne vais pas vous mentir : il me semblerait presque aberrant qu'on puisse ne pas les chérir tous les deux.

 
Trois autres disques pour découvrir Whirlwind Heat :
 
Do Rabbits Wonder? (2003) 
Flamingo Honeys (EP/2004)
Scoop du Jour (2008) 
 

6 commentaires:

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