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C'est bizarre, un groupe qui change de dimension - et donc, petit à petit de public. On sait que ce genre de chose existe. On a lu des articles et même quelques livres qui le racontaient. Mais le voir de ses yeux, c'est autre chose. Ni bien ni mal. Cela ne crève pas plus le cœur que cela ne génère d'exaspération. C'est juste étonnant. Musicalement, sociologiquement étonnant.
Plus de trois ans qu'on n'avait pas eu l'occasion de voir Cheveu sur scène. À l'époque, le groupe campait à Mains d’œuvre, avait un album tout lo-fi et dégueu et grandiose à son palmarès, un autre dans les fourneaux qu'on attendait désespérément en se demandant s'il paraîtrait un jour. À force, on avait fini par en connaître tous les morceaux longtemps avant de le tenir entre nos mains. Il avait l'air génial. Il s'est avéré l'être. Et trois années ont passé, comme ça : flock. Ou pschit. Ou autre chose. Il y eut 1000, cet album somptueux, dérangé, qui mit à peu près tout le monde d'accord. Le secret ("Cheveu est le meilleur groupe français en activité") n'en était plus tout à fait un. Il y eut, encore, des commentaires élogieux - plein. Une ou deux couv' de trucs certes spécialisés (mais quand même, quoi : des couvs. Un groupe français. Qui fait plein de bruit.) Des articles jusque dans Télérama. Des concerts – tout le temps. Un genre de reconnaissance (il y a dix ans – un peu plus – on aurait osé le mot "succès"). Et alors qu'on commençait à peine à digérer 1000 arrive Bum. Un autre album dérangé. Une autre excursion, d'autres couleurs, dont on savait déjà au bout d'une écoute qu'on ne ressortirait pas un indemne non plus. Un truc plus propre, faussement plus mûr. Plus posé, mais seulement en surface. Et une release party à la Maroquinerie devant un public qu'on ne reconnaît qu'en partie. Plus le même look. Plus le même âge. Plus le même milieu. L'assemblée, joyeusement hétéroclite autrefois, semble plus compacte, et son excitation plus mesurée. Celle du groupe aussi, en un sens. Les montagnes russes noise demeurent mais ce n'est plus la même anarchie – ce n'est d'ailleurs plus tout à fait une anarchie. On se rappelait un groupe dégueulant de bruit et de fureur, parfois difficilement supportable au-delà de trente minutes. On retrouve des gens particulièrement rompus à l'exercice de la montée en puissance, face à une assemblée qui grimpe vers l'orgasme final d'une allure presque tranquille.
Si Bum est a priori un album plus pesant et – par moments – plus sombre (voir « Polonia » ou la redoutable « Monsieur Perrier »), ce n'est pas forcément ce qui saute le plus aux oreilles ce soir. Au contraire, les nouveaux titres s'agglomèrent à la perfection aux plus anciens, affichant une cohérence que d'aucuns auraient plutôt tendance à refuser de prime abord au groupe, étourdis sans doute par l'apparence foutraque de ses disques. Maître de son sujet (comme disent les mauvais journalistes sportifs. Et même les bons, maintenant que j'y pense), Cheveu profite d'un son délicieux pour étaler son magma dissonant sur des tartines de pop, le bruit ne couvrant l'efficacité des mélodies que par intermittence ou lorsque ses interprètes s'emballent. Ce qui arrive, semble-t-il, moins que par le passé – du moins durant le premier tiers du concert. Crispation peut-être. Kilomètres qui s'accumulent au compteur, éventuellement. S'il est toujours aussi habité, David Lemoine semble moins surexcité que l'espèce de moulin à parole abscons dont on gardait le souvenir, et la musique suit un chemin à peu près identique : elle opte pour la succession de convulsions plutôt que pour la crise d'épilepsie perpétuelle.
C'est différent. C'est bien. Le groove est vraiment terrifiant par instants, comme sur cette « Madame Pompidou » à couper le souffle, post-punk zoulou fendu de part en part par des breaks dignes de la pire techno de supermarché. S'il y a un tournant au concert, c'est ici. Pas pendant « Charlie Sheen », « Like a Deer in the Headlights » ou autre incontournable du groupe. Pas non plus au moment d'une des pépites du dernier-né (qui n'en manque pas, ses trois premiers titres composant l'une des entames d'album les plus remarquables qu'on ait entendues depuis des lustres), ni d'un des deux ou trois passages paraissant écrits dans l'unique but d'envoyer la purée en live (« Juan in a Million », « Albinos »...). Non : pendant « Madame Pompidou ». Soit donc le titre le plus faible de Bum, un truc franchement irritant, peut-être la seule chanson dans toute la discographie du groupe dont les ambitions chelou sonnent forcées, trop théâtrales peut-être, à la r'garde-moi comme j'suis inclassable. Et là, comme ça, live, non seulement cela passe comme une lettre à la poste, mais c'est peut-être le meilleur moment du set, avec popotins qui roulent de consort et atmosphère un tantinet malsaine. Le décalage est amusant, d'autant que la réciproque fonctionne également : on ne peut pas dire que les meilleurs moments de Bum (notamment cette fameuse triplette « Pirate Bay » / « Slap & Shot » / « Polonia », dont on ne se lasse pas sur disque) soient les plus marquants de la soirée. Pour la première fois peut-être, Cheveu vient de publier un album qui ne gagne pas nécessairement à être passé à la moulinette live. Sa force devient, sur scène, sa faiblesse : il s'écoute. Se chante plus qu'il ne se braille. Sans jamais marquer de cassure brutale avec ses prédécesseurs, il ne s'appréhende pas de la manière, et dans le contexte d'un show où chaque intro fait grimper l'excitation générale, l'émotion réelle que suscitent certaines chansons se retrouve de fait un peu noyée dans le boucan ambiant. Dit comme ça, cela sonne un peu comme un reproche ; il est bien entendu que cela se veut un compliment. À chaque étape de son parcours, Cheveu semble un peu plus mûr, un peu plus solide – et son univers, un peu plus riche. À peine si l'on se rappelle aujourd'hui avoir découvert son premier album les yeux écarquillés en se demandant ce que c'était ce truc. Aujourd'hui, la réponse semble évidente pour à peu près tout le monde : le meilleur groupefrançais en activité.
👍👍👍 Bum
Cheveu | Born Bad, 2014
C'est bizarre, un groupe qui change de dimension - et donc, petit à petit de public. On sait que ce genre de chose existe. On a lu des articles et même quelques livres qui le racontaient. Mais le voir de ses yeux, c'est autre chose. Ni bien ni mal. Cela ne crève pas plus le cœur que cela ne génère d'exaspération. C'est juste étonnant. Musicalement, sociologiquement étonnant.
Plus de trois ans qu'on n'avait pas eu l'occasion de voir Cheveu sur scène. À l'époque, le groupe campait à Mains d’œuvre, avait un album tout lo-fi et dégueu et grandiose à son palmarès, un autre dans les fourneaux qu'on attendait désespérément en se demandant s'il paraîtrait un jour. À force, on avait fini par en connaître tous les morceaux longtemps avant de le tenir entre nos mains. Il avait l'air génial. Il s'est avéré l'être. Et trois années ont passé, comme ça : flock. Ou pschit. Ou autre chose. Il y eut 1000, cet album somptueux, dérangé, qui mit à peu près tout le monde d'accord. Le secret ("Cheveu est le meilleur groupe français en activité") n'en était plus tout à fait un. Il y eut, encore, des commentaires élogieux - plein. Une ou deux couv' de trucs certes spécialisés (mais quand même, quoi : des couvs. Un groupe français. Qui fait plein de bruit.) Des articles jusque dans Télérama. Des concerts – tout le temps. Un genre de reconnaissance (il y a dix ans – un peu plus – on aurait osé le mot "succès"). Et alors qu'on commençait à peine à digérer 1000 arrive Bum. Un autre album dérangé. Une autre excursion, d'autres couleurs, dont on savait déjà au bout d'une écoute qu'on ne ressortirait pas un indemne non plus. Un truc plus propre, faussement plus mûr. Plus posé, mais seulement en surface. Et une release party à la Maroquinerie devant un public qu'on ne reconnaît qu'en partie. Plus le même look. Plus le même âge. Plus le même milieu. L'assemblée, joyeusement hétéroclite autrefois, semble plus compacte, et son excitation plus mesurée. Celle du groupe aussi, en un sens. Les montagnes russes noise demeurent mais ce n'est plus la même anarchie – ce n'est d'ailleurs plus tout à fait une anarchie. On se rappelait un groupe dégueulant de bruit et de fureur, parfois difficilement supportable au-delà de trente minutes. On retrouve des gens particulièrement rompus à l'exercice de la montée en puissance, face à une assemblée qui grimpe vers l'orgasme final d'une allure presque tranquille.
C'est différent. C'est bien. Le groove est vraiment terrifiant par instants, comme sur cette « Madame Pompidou » à couper le souffle, post-punk zoulou fendu de part en part par des breaks dignes de la pire techno de supermarché. S'il y a un tournant au concert, c'est ici. Pas pendant « Charlie Sheen », « Like a Deer in the Headlights » ou autre incontournable du groupe. Pas non plus au moment d'une des pépites du dernier-né (qui n'en manque pas, ses trois premiers titres composant l'une des entames d'album les plus remarquables qu'on ait entendues depuis des lustres), ni d'un des deux ou trois passages paraissant écrits dans l'unique but d'envoyer la purée en live (« Juan in a Million », « Albinos »...). Non : pendant « Madame Pompidou ». Soit donc le titre le plus faible de Bum, un truc franchement irritant, peut-être la seule chanson dans toute la discographie du groupe dont les ambitions chelou sonnent forcées, trop théâtrales peut-être, à la r'garde-moi comme j'suis inclassable. Et là, comme ça, live, non seulement cela passe comme une lettre à la poste, mais c'est peut-être le meilleur moment du set, avec popotins qui roulent de consort et atmosphère un tantinet malsaine. Le décalage est amusant, d'autant que la réciproque fonctionne également : on ne peut pas dire que les meilleurs moments de Bum (notamment cette fameuse triplette « Pirate Bay » / « Slap & Shot » / « Polonia », dont on ne se lasse pas sur disque) soient les plus marquants de la soirée. Pour la première fois peut-être, Cheveu vient de publier un album qui ne gagne pas nécessairement à être passé à la moulinette live. Sa force devient, sur scène, sa faiblesse : il s'écoute. Se chante plus qu'il ne se braille. Sans jamais marquer de cassure brutale avec ses prédécesseurs, il ne s'appréhende pas de la manière, et dans le contexte d'un show où chaque intro fait grimper l'excitation générale, l'émotion réelle que suscitent certaines chansons se retrouve de fait un peu noyée dans le boucan ambiant. Dit comme ça, cela sonne un peu comme un reproche ; il est bien entendu que cela se veut un compliment. À chaque étape de son parcours, Cheveu semble un peu plus mûr, un peu plus solide – et son univers, un peu plus riche. À peine si l'on se rappelle aujourd'hui avoir découvert son premier album les yeux écarquillés en se demandant ce que c'était ce truc. Aujourd'hui, la réponse semble évidente pour à peu près tout le monde : le meilleur groupe
👍👍👍 Bum
Cheveu | Born Bad, 2014
(phrase évidemment très drôle, puisque je suis chauve. Poilante, même)
Je tiens à dire que j'ai écrit beaucoup d'articles sur Cheveu sans jamais faire de jeu de mots pourri. Je suis donc immunisé, désormais.
RépondreSupprimer(je dirais même que, par défi, c'est probablement le groupe sur lequel j'ai fait le moins de jeux de mots)
Ah ouais, carrément ? Ouais remarque, c'est vrai que le nouvel album est encore excellent (ça va devenir lassant à force)
RépondreSupprimerOh, ça va, je ne me lasse pas trop de ce genre de truc ^^
SupprimerUn concert sur le Golb ! Avec des vraies photos !! CHEVEUUUU !!!
RépondreSupprimerOui, avec de "vraies photos". Et même, avec des photos, déjà :-)
SupprimerGloire soit rendue à la nouvelle photographe officielle du Golb, dont j'invite à cliquer sur son petit lien pour admirer le travail.
Je crois que je n'avais pas accroché à leur opus précédent. Trop bruitiste finalement pour moi, alors que j'aime Sonic Youth.
RépondreSupprimerMais là, avec une telle chronique, je vais être obligé d'écouter le nouveau !
C'est normal, je pense. Je veux dire par-là qu'il y a différentes formes de bruitismes et que celui de Cheveu n'est pas vraiment comparable à celui de Sonic Youth. Cheveu ne se revendique d'ailleurs pas comme un groupe expérimental, c'est plus un groupe noise ou punk, dans l'esprit.
SupprimerJ'attendais d'avoir écouté le nouveau pour commenter et donc : OUI :)
RépondreSupprimerOh mince j'ai commenté en anonyme :)
Supprimer;)
SupprimerOui oui oui dérangé, cette apparente débilité derrière laquelle se cache un grand truc, Mme Pompidou déterrée pour une danse du ventre, Polonia grâce à qui j'ai vu Buffet Froid (les mêmes absurdités et violence sans réponses ?), Johnny Hurry Up qui m'a rappelé Baxter Dury (!)
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Et cet article dont je ne sais pas si je dois être fier http://bangbangblog.over-blog.com/article-cheveu-bum-122325080.html
Bien vu, pour Baxter Dury ! Je cherchais en vain à quoi me faisait penser ce morceau (ça ne m'étonne d'ailleurs pas que ce soit toi qui me fournisses la réponse ^^).
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