[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) N°112]
Hall of the Mountain Grill - Hawkwind (1974)
Chers amis de la Golbitude,
Bonjour, et bienvenue à bord du DR-480-HW2. Nous espérons que vous êtes confortablement installés et que vous ferez bon voyage. Le décollage est prévu à 21h48 heure terrienne, pour une durée approximative de quatre cents kilominutes. Nous vous rappelons qu'il est obligatoire d'attacher vos ceintures, pendant le décollage mais aussi durant l'ensemble du trajet. Notre compagnie déclinera toute responsabilité en cas d'accident durant les phases de perturbations, que nous prévoyons nombreuses au cours de ce voyage. Trous noirs, attaques de mercenaires aliens et bonds PRL sont à prévoir. N'oubliez pas de menotter vos enfants à leurs sièges, et de ranger vos animaux de compagnie dans les compartiments prévus à cet effet. En cas de petit creux, La Brioche Dorée met à votre disposition un buffet de pilules à volonté dans la queue de l'appareil.
Certains albums poussent au name-dropping d'influences. En fait, la plupart des albums d'aujourd'hui poussent à cela, mais certains un peu plus que d'autres. Il en fut toujours ainsi, j'imagine. Je suppose que déjà, en 1974, lorsque vous publiiez un album, vous deviez vous farcir des listes de groupes censés vous avoir influencés à longueur de chroniques (parfois même des dont vous n'aviez jamais entendu parler). Le bon côté des choses c'est que si vous aviez du bol, vous pouviez nourrir l'espoir de devenir en l'espace d'une petite décennie l'un de ces groupes name droppés à propos de ceux de la génération d'après. Dans une époque où perdurait l'illusion que tout restait encore à faire, cela pouvait tomber sur n'importe qui. C'est d'ailleurs en partie ce qui explique que de nos jours, les pires seconds couteaux des quarante dernières années se reforment en essayant de faire gober aux jeunes qui ne les écoutent pas qu'ils ont écrit autre chose que de vulgaires notes de bas de page dans l'histoire de la pop music. Bienvenue dans les années 2010, cette sinistre époque où l'histoire est réécrite chaque semaine, ou tout se vaut tant et si bien que l'on considère désormais comme plausibles des fadaises et autres théories du complot aussi invraisemblables que les Who ont fait quelque chose après The Who Sell out, les Stones n'ont pas splitté en 1974 ou Pink Floyd n'est pas un très grand groupe et n'a plus d'intérêt après le départ de Syd Barrett. Toutes croyances qui auraient bien fait rire du temps de ma jeunesse et qui pourtant, en cette époque troublée et incertaine, trouvent un écho croissant chez une population ne sachant plus à quels saints se vouer (bref : les péquenots qui ne lisent pas Le Golb).
Autant le dire, ce n'est pas dans une époque si tristement post-moderne que l'on peut encore croire à la réhabilitation de Hawkwind parmi les dix groupes les plus importants des seventies. Pour vous dire, la dernière fois que j'ai jeté un œil à la fiche fr.wikipedia du space rock, U2 était cité comme l'un des représentants du genre. Ce n'est apparemment plus le cas aujourd'hui, mais suffit à laisser imaginer le nombre d'années lumières qui restent à parcourir pour que le petit français de 2014 découvre les bienfaits du hashish, des psalmoldies de Michael Moorcock (qui ne figure d'ailleurs pas au générique de Hall of the Mountain Grill) et des couvertures de bouquins de la collection Présence du future. Quand l'hululant Bono peut se retrouver dans la même catégorie que le rauque'n'roll Dave Brock, même par erreur, c'est que même en vaisseau spatial, ça fait quand même une trotte.
Ainsi si vous qui passez par-là connaissez déjà vaguement Hawkwind, c'est que vous ne pouvez appartenir qu'à trois types de profils distincts. Soit vous êtes des gens cultivés, et même, j'oserai le dire : des gens biens. Soit vous êtes des habitués de ces pages dans lesquelles, bien que n'ayant jamais eu l'occasion de leur consacrer un article entier, j'ai souvent hurlé mon amour pour ces cosmopunks anglais (las, c'est de notoriété publique : dans l'espace, personne ne vous entend crier). Dernière possibilité : comme tout amateur de rock moyen, vous connaissez surtout Hawkwind comme étant le groupe dans lequel s'illustra un temps Lemmy Kilmister, avant Motörhead, avant la taule et surtout avant qu'il commence à se faire appeler ainsi. Peut-être savez-vous également que le titre "Motörhead", à la base, est une face B desdits Hawkwind. Ce qui, j'en conviens tout à fait, est mieux que rien. C'en est proche, du rien. Mais c'est tout de même un peu plus.
C'est évidemment à vous, représentants de cette troisième catégorie, que je m'adresse en priorité aujourd'hui. Il est plus que temps de réparer une terrible injustice, celle qui fait que les groupes de prog' les plus prétentieux et chiants dont l'Angleterre ait jamais accouchée sont aujourd'hui cultes tandis que Hawkwind, qui continue à publier des albums efficaces avec une impeccable régularité, reste généralement considéré comme un groupe relativement mineur. Hall of the Mountain Grill, dont il sera difficile de dire qu'il est son chef-d’œuvre tant ses cinq premiers albums sont exceptionnels, est le genre de disque qui peut vous faire pratiquer le name dropping à l'envers - c'est-à-dire que vous pourriez remplir un article entier rien qu'en citant les groupes qu'il a influencés. La moitié du grunge tient dans les sept minutes vingt de "The Psychedelic Warlords". Deux tiers du stoner viennent directement de ce disque. Toute la discographie de Monster Magnet était déjà écrite dès "Lost Johnny". Trois phrases qui, en exagérant à peine, suffisent à vous situer à quel genre d'album vous aurez à faire au moment de le glisser sur la platine. Trois phrases faciles et un brin paresseuses, qui ne prennent même pas le temps de s'arrêter sur les audaces de prod d'un "D-Rider" ou la merveille d'écriture que constitue "Paradox", monstrueuse ballade refermant l'album au terme de quarante-et-une minutes de super G au milieu des astéroïdes. Ah ça, Hawkwind n'a sans doute pas été le groupe le plus visionnaire du monde en matière de contenu : le vingt-et-unième siècle qu'il nous raconte un titre sur deux ne ressemble franchement pas au nôtre. Formellement en revanche, voici un groupe qui annonce deux décennies en seulement neuf titres, et qui n'a de surcroît pas à rougir devant la concurrence. C'est l'autre grande bizarrerie de cet album que d'être relativement resté dans l'ombre alors qu'il tient aisément la dragée haute aux Black Sabbath, BÖC et à n'importe quoi de son époque. De manière marginale, bien sûr, parce qu'il se veut inclassable et que space-rock ne veut dans le fond rien dire. Hawkwind, c'est sûrement là ce qui fait que sa postérité fut moins évidente que d'autres, est dans le fond un groupe intermédiaire, un groupe d'entre-deux vagues. Hawkwind est post-psyché sans être prog, pré plein de choses sans jamais en illustrer parfaitement aucune. Hall of the Moutain Grill, qui à l'époque marque une véritable rupture de ton avec ses psychédéliques prédécesseurs et s'inscrit dans la droite ligne du rouleau compresseur live Space Ritual, est un disque proto un peu tout et n'importe quoi. Proto-punk, proto-metal, proto-hardcore, proto-tout un tas de trucs - autant dire qu'il n'est fondamentalement rien. Rien à part une formidable odyssée, hors du temps, hors de tout, du genre qui vous recolle la proverbiale baffe chaque fois que vous le ressortez après quelques temps.
Trois autres disques pour découvrir Hawkwind :
In Search of Space (1971)
Space Ritual (1973)
Chose Your Masques (1982)
Je lis et apprécie le Golb depuis des années et j'écoute et soutiens Alain soral depuis des années.
RépondreSupprimerJe ne me sens pas paumé (ça comme dirait l'autre "c'était avant") ni haineux. Juste lucide.
Comme quoi le monde est complexe, ainsi que les gens qui le composent.
Amicalement,
Igor.
Ah bah quand même :)
RépondreSupprimerJ'ai l'impression d'attendre cet article, très bon d'ailleurs, depuis ma découverte du Golb ;)
Ca oui, alors ! Enfin, ça valait le coup d'attendre, remarque ;)
SupprimerC'est bon, c'est bon. Pas la peine d'en rajouter, en plus il est pas mal cet article, non ? ;-)
SupprimerIl est exquis ;) Même si tu parles finalement assez peu du disque.
SupprimerC'est la rubrique qui veut ça. Ce n'est pas vraiment - ou pas forcément - fait pour parler en profondeur d'un disque en particulier. C'est plus un genre de... je ne sais pas, de tribune.
SupprimerPutain mais c'est...bien!!!! je sais pas pourquoi j'ai toujours cru que Hawkwind était un groupe de heavy metal ringard qui parlait de donjons et dragons. J'ai carrément loupé un truc.
RépondreSupprimerEvidemment, que c'est bien ;-)
SupprimerJ'avais jamais écouté et je ne sais pas pourquoi parce qu'il faut bien avouer que ça tue sa race si tu m'accordes l'expression.
RépondreSupprimerJ'aurais ajouté "de sa mère", personnellement ;-)
SupprimerJe fais partie des gens qui ont découvert Hawkwind à cause de Lemmy. Et effectivement ce Hall of the Mountain Grill est vraiment très bon même si j'ai une préférence pour In Search of Space (sur lequel Lemmy ne joue pas, comme quoi...). C'est vrai que c'est assez inclassable comme musique, psyché mais sans vraiment l'être, hard mais sans vraiment l'être, prog mais sans vraiment l'être non plus... Il y a de tout sur cet album, riffs hard rock, basse lourde, synthés, boucles électroniques, envolées de violons ou de saxophone, ce groupe est presque un genre musical à lui tout seul... Et on entend déjà Motörhead sur Lost Johnny (bon, davantage celui de Metropolis que celui de Ace of Spades). Celà dit, on ne retrouve ni le sens du riff de Black Sabbath, ni la froideur classieuse et le sens de l'accroche "pop" de BÖC, ni le côté planant du Floyd, encore moins l'intensité de Motörhead, c'est souvent le problème des groupes "entre deux vagues"... Et c'est peut-être pour ça que le groupe est resté un peu méconnu malheureusement.
RépondreSupprimerDu reste, j'aimerais bien découvrir ce qu'ils ont fait par la suite mais la taille de la discographie m'a toujours un peu refroidi. J'avais tenté le Live Chronicles sans être vraiment convaincu. Je tenterai le "Chose your Masques" mais si tu as d'autres albums à conseiller je suis preneur.
Alors en gros, pour approfondir Hawkwind, je recommande évidemment et avant tout les albums des années 70. Assez différents les uns des autres, mais tu as peu de chances de tromper avec cette période-là. Pour parler des disques post-74, les meilleurs à mon avis sont Warrior on the Edge of Time (1975, le premier intégralement écrit par Moorcock) et PXR5 (1979, qui marque le déclin du groupe en terme de popularité mais reste d'un excellent niveau). La suite est d'une qualité plus fluctuante ; dans les années 80 il y a surtout Sonic Attack (81) et Chose Your Masques (1982, donc), qui sont les derniers grands albums, la suite est disons plus dispensable, même s'il ça reste à peu près toujours d'une qualité variant de "honnête" à "très bonne". J'ajoute que le dernier en date, Onward, il y a deux ans, était vraiment très chouette... mais bon, là c'est peut-être plus le fan qui parle...
SupprimerTrès bonne chronique en tous cas, ça m'a donné envie de me replonger dans ce groupe. :)
RépondreSupprimerRe coucou!
RépondreSupprimerMerci pour pour la découverte en tous cas, vinyle commandé ce jour (ainsi que "In Search of Space" et "DoReMi Fasollatido").
Igor (le soralien).
Voilà qui fait plaisir à lire !
SupprimerEt si je peux me permettre, je trouve que "Igor (le soralien)", ça sonne bien, comme surnom ;-)
Je m'exprime ici à défaut de pouvoir le faire sur un vieux post que tu as fait en octobre 2008 et dont l'accès au commentaire n'est pas ou plus ouvert.
RépondreSupprimerVoici le lien :
http://www.legolb.com/2008/10/ultimate-rocknroll-hall-of-shame.html#more
Misplaced Childhood - Marillion (1985)
Vraiment j'ai beaucoup ri en lisant cela et je suis de tout cœur avec toi sur ce coup. En 85, j'avais 15 ans et j'aimais Marillion et "Misplaced Childhood" fut et reste leur chef d’œuvre période Fish. J'ai arrêté d'écouter au départ du chanteur. Ca doit faire une éternité que je n'ai pas écouter ce disque et ça va pas me rajeunir de réécouter cela. De même je ne connais pas "Foxtrot" de Genesis et je suis curieuse de l'entendre, mais j'ai un excellent souvenir de "Nursery crime".
Je continue de parcourir ton blog et et je m'amuse toujours autant tout en notant quelques un de tes conseils.
Salut Magali,
SupprimerEffectivement, les commentaires sont fermés sur la plupart des articles datant d'avant la fin 2008 (date d'un déménagement de blog qui a pris... longtemps). Mais je suis ravi d'apprendre que je ne suis pas le seul à avoir été foudroyé... que dis-je ? FULGURE !... par la beauté de Misplaced Childhood. Un album qui n'a pas fait de bien à ma réputation, mais continue occasionnellement d'en faire à mon moral.
Bonjour,
RépondreSupprimerOn est le lundi 21 avril (Pâques) et toujours pas de nouveau post de ta part. Quand je pense qu'à une époque tu publiais une moyenne de 30 posts par mois. Je vois que j'arrive un peu trop tard sur ce blog. T'as du faire une cure de desintox graphomaniaque.
Salut Magali,
SupprimerEn fait on m'a attaché les bras dans le dos pendant deux mois afin de m'empêcher de consacrer un article à une intégrale Marillion :-)
Je carbure en ce moment au Vouvray et je viens de réécouter Misplaced Childhood de Marillion. Et bien mon cher Thomas, je suis en totale communion avec toi. Le disque est toujours aussi beau qu'à sa première écoute. J'étais au bord des larmes en écoutant "Lavender" et j'ai chanté à tue-tête sur "White feather". Que tous les indies inrocks esthètes dandys me crachent à la figure si tel est leurs désirs, moi c'est aussi cette musique qui me remue les tripes.
RépondreSupprimerLes amicales perfidies du GOLB me manquent...
RépondreSupprimer;-)
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