mardi 28 octobre 2014

Rancid – Medal of Chocolate Honor

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C'est peut-être parce que nous avons trop renoncé que nous admirons tant ceux qui semblent prêts à mourir avec leurs idées. On admirera ce joueur de foot qui n'a jamais cherché à quitter le club de ses débuts, alors que le fondement-même de la discipline sportive est de se fixer des objectifs et de relever des challenges. On félicitera ce cinéaste qui produit toujours peu ou prou le même film parce que c'est ainsi, tu comprends ? Il a son univers, tu vois, c'est bien qu'il y ait encore des gens comme ça – et puis c'est la marque des grands, non ? Mieux que notre amour, et en même temps tellement moins, nous leur décernons notre respect, cette médaille en chocolat qui somme toute revient à leur faire savoir – à eux – qu'ils ne nous dérangent pas, et à nous faire oublier – à nous – que Steven Gerrard ne touche plus une bille ou que Woody Allen n'a plus rien à dire sur ce monde depuis son septième ou huitième film.


Quelque part entre le splendide Indestructible, il y a déjà plus de dix ans, et le jour où on a cru que Matt Freeman allait passer à la casserole pour cause de cancer-qui-n'en-était-pas-un, Rancid a atteint ce stade où un groupe est là à faire le même truc depuis tellement longtemps que cela n'aurait pas plus de sens de le haïr que de l'encenser. Ce moment – très confortable pour un artiste d'un certain âge – où les gens vous aiment plus pour qui vous êtes que pour ce que vous faites... cette frontière invisible au-delà de laquelle le "nouvel album" devient "le dernier disque" – en date ou tout court : cela ne semble soudain plus si important.

Il y a évidemment une certaine ironie à ce que le groupe de Berkeley ait choisi d'intituler son nouvel dernier opus Honor Is All We Know. Renvoi aussi explicite que maladroit à cette notion d'éthique, d'authenticité que l'on a toujours louée (parfois envers et contre tout) chez le quatuor et qui, les années aidant, a fini par prendre autant si ce n'est plus d'importance que le contenu de ses albums. Après tout qui, en 2014, peut bien attendre d'un groupe fondé en 1990 qu'il apporte quoi que ce soit au rock (donc aux gosses, donc au monde) d'aujourd'hui ? En revanche, on exige la transparence, l'intégrité à tous les étages – une sincérité inattaquable. Si Rancid doit publier un album totalement pourri (ce n'est pas le cas), que ce soit droit dans ses Doc et en s'auto-parodiant jusqu'à l’écœurement (c'est un peu le cas) plutôt qu'en essayant de surfer sur on ne sait quelle merdouille dans l'air du temps. Toute autre option relèverait de l'injure. Dans le fond, Rancid pourrait aussi bien ne plus sortir de LPs que cela n'enlèverait ni n'ajouterait rien à une histoire déjà écrite depuis longtemps.


Tout bien réfléchi, ce qui était déjà vrai en 1995 ne pouvait l'être qu'un peu plus deux décennies plus tard : on n'a jamais écouté Rancid de la même manière que l'on aurait écouté n'importe quel autre groupe punk de sa génération. Il n'a jamais été question que de musique avec ces gens-là, mais de cœur palpitant sous la crête. Ce qu'on attend fondamentalement d'un nouvel album de Rancid ? Eh bien, déjà, de pouvoir s'assurer qu'aucun d'entre eux n'a claqué d'une cirrhose depuis la dernière fois qu'on les a croisés. Puis, seulement dans un second temps, qu'ils nous donnent l'impression que rien n'a changé. A part nous, je veux dire. Parce que nous, on a le droit de vieillir – du moment qu'eux crèvent dans le cuir (et probablement la gerbe, aussi. C'est quand même Rancid). Rien de cela n'est évidemment vrai, mais c'est un détail. Rancid doit continuer la lutte, même si à la longue on ne sait plus bien contre quoi. Ils doivent le faire pour nous, parce qu'on n'a plus trop le temps, l'envie ou l'énergie. On a des dettes à payer, des gosses à nourrir, un nouveau job à trouver afin de pouvoir acheter le prochain album de Rancid. Derniers héros de la Génération X à ne pas avoir splitté ni même perdu de membre clé, Tim, Lars et Matt sont condamnés à chanter pour (et sur) une jeunesse blanche désormais ridée mais toujours aussi paumée - en plus d'être à présent fauchée et encore plus désenchantée qu'il y a vingt ans. Nous avons renoncé, oui. Beaucoup. Sommes passés du No Future au No Present puis au No, tout court. Dans les meilleurs moment de ce – seulement – huitième album ("Collusion Course", "In the Streets" ou cet "Already Dead" aux airs de Gun Club encore plus bourré que le vrai), Rancid fait cela admirablement. Du moins a-t-on envie... besoin de le croire. Que Tim Armstrong est remonté sur son fier destrier pour nous venger, nous, qui sommes comme lui – en juste un peu mieux lavés, car lui n'a pas besoin de se lever demain pour un entretien d'embauche. Peu importe que ce ne soit qu'un fantasme, peu importe que ce ne soit qu'un disque. Peu importe importe que celui-ci soit globalement médiocre et que trois titres au moins en soient inécoutables tant ils sont laids. Rancid est toujours debout et sachant cela, nous dormirons moins moins mal ce soir. Ou moins seuls.



Honor Is All We Know 
Rancid | Hellcat, 2014

4 commentaires:

  1. Joli article! et c'est vrai malheureusement que cet album est pas terrible du tout mais c'est vrai aussi qu'en s'en moque un peu :-)

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  2. Je sais pas si ton analyse (on peut dire ça?) est juste mais putain quel disque décevant, quand même! Alors pas si mal que ça c'est vrai si c'était quelqu'un d'autre, mais pas Rancid bordel! Evil's my friend, quelle bouse...

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    1. Le pire, c'est que ça reste dans la tête...

      (d'ailleurs, je ne te remercie pas d'avoir cité ce morceau ^^)

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