vendredi 29 janvier 2016

Crystalis - Pink Gets Me High As a Kite

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La première réaction est de sourire face à un jeu dont l'introduction a considérablement vieilli, et dont le personnage est... rose. La seconde réaction est d'être consterné par la lenteur et la faiblesse des coups d'épée qu'il donne. La conclusion logique consiste à déduire que l'on ne va pas y jouer bien longtemps, à ce jeu tellement culte qu'il a fini par être à  peu près oublié de tous.

Comme beaucoup d'autres de l'époque (1990), Crystalis amuse avant d'exciter. Un brin trop ambitieux par rapport à ses moyens, il tente à la fois de révolutionner le RPG (en intégrant une storyline complexe et originale) et le jeu d'action (en faisant se dérouler les combats en temps réel, à la manière de The Legend of Zelda, référence quasi indépassable d'alors)... mais peine sur l'un et l'autre des tableaux, puisqu'au final le but du jeu reste de sauver le monde en tuant des bosses (aucune princesse n'était disponible pour être secoure), et qu'abattre le moindre ennemi demande dans un premier temps de longues minutes de réflexions - ne serait-ce que pour déterminer si cela en vaut réellement la peine. Autant dire que beaucoup n'auront pas été loin, l'écriture extrêmement confuse en faisant de toute manière un poids en plume en comparaison de ses modèles (citons encore Ys, même si cette série est chiante comme la pluie à la pèche). Spoiler alert : je l'ai néanmoins terminé. Deux fois.

Car c'était sans compter sur ce qui fait déjà le charme numéro un de ce que l'on n'appelle pas encore action-RPG, à savoir ces petits plaisirs simples que le genre enrobe d'éléments scénaristiques histoire de se donner bonne conscience : gambader à (en l’occurrence tout) petit trot dans les plaines, botter quelques culs ici ou là alors qu'on pourrait très bien contourner les monstres, le tout dans une chouette ambiance et si possible sur fond de musique épique. Ça tombe bien : la bande-son de Crystalis compte parmi les musts de l'époque, et colle parfaitement à une atmosphère post-apocalyptique un peu plus fine et nuancée que les cavalcades à travers Hyrule. Il n'en faut pas beaucoup plus pour se laisser happer et continuer à jouer un peu, ce que l'on ne regrettera finalement pas : le gameplay, beaucoup plus dynamique qu'il y paraît de prime abord, révèle petit à petit ses mécanismes astucieux, lesquels ne sont pas sans rappeler ceux d'un Secret of Mana... en moins ergonomique, évidemment. Parce que nous sommes tout de même en 1990, et que si l'on finit par ne plus du tout voir la roseur étrange du protagoniste, le déroulement du jeu va rapidement se charger de nous le rappeler.

A la décharge de notre hérose, 1990, c'était encore un peu les années 80.

Laissant d'abord reposer sa difficulté sur ses limites (absence de carte pour un monde particulièrement vaste1, faible endurance du héros, allers-retour incessants - et parfois assez perturbants - en direction du menu...), Crystalis devient au bout de quelques heures d'une difficulté et d'une complexité assez stupéfiantes... et perverses, puisque plus l'on avance dans le jeu, plus on s'éclate, et plus on a envie de le finir. Une gageure tant rien n'est fait pour vous facilitez la tâche. Accrochez-vous bien, surtout si avez moins de vingt-cinq ans ou n'avez commencé à jouer que dans les années deux-mille : voici non pas ce qu'est un jeu difficile, ce serait trop beau, mais simplement ce qu'était la difficulté moyenne d'un RPG moyen en 1990 :

a) l'absence d'indications est parfois totale, et si vous ne progressez sur la carte du monde que petit bout par petit bout, n'allez pas croire que cela va arranger quoi que ce soit : ça n'en sera que plus rageant, car la solution se trouve dans un périmètre restreint tout en étant totalement invisible à vos yeux. Il faut un certain temps pour comprendre que presque toutes les énigmes fonctionnent sur le même procédé : vous devez trouver l'objet A qui se trouve dans le lieu B et le donner au personnage C qui vous donnera en échange l'objet D qui, enfin, vous permettra de continuer votre périple. Bien entendu, vous ignorez l'existence ne serait-ce que d'un seul des ces éléments. Faudrait pas trop se mâcher le travail.

b) preuve que la civilisation présentée dans ce jeu est bel et bien décadente, ses architectes semblent n'avoir été capables de bâtir que d'immenses enchevêtrements de couloirs étriqués et de passerelles sur lesquelles on pourrait difficilement stationner à plus deux. Ce qui doit être déjà bien chiant lorsque l'on est un simple promeneur mais devient une vraie torture s'agissant d'un guerrier devant courageusement (mouais) sauver le monde. Autant dire que si vous avez souri quand j'ai parlé plus haut de contourner les monstres dans les A-RPG, vous allez sacrément être punis : nous seulement le contournement est la plupart du temps inenvisageable, mais on se trouve rapidement dans la situation de devoir choisir entre se défendre ou se soigner. J'insiste sur l'expression se défendre : plus vous avancerez dans ce jeu (et l'atmosphère étant de plus en plus envoûtante, croyez-moi : vous allez avancer, parfois à votre corps défendant), plus l'usage du verbe attaquer vous semblera superflu.

Par contre, si vous aimez taper dans le vide, les attaques spéciales sont nombreuses et fort jolies

c) De toute façon attaquer, c'est bien joli, mais encore faut-il être en mesure de triompher. Si la faible endurance du héros et sa force physique de moucheron sont rapidement compensées par le full package habituel (armures, expérience, items... il finit même par aller presque trop vite), ce qui est d'ailleurs plutôt rare pour le genre et l'époque (Link, par exemple, devient plus résistant mais pas nécessairement plus balaise), rassurez-vous : certains ennemis n'en demeureront pas moins pas moins impossibles à ne serait-ce que blesser à moins d'avoir le bon objet. Que vous obtenez généralement vingt minutes après avoir traversé une zone peuplés des ennemis en question, bien évidemment. Heureusement que les niveaux d'expérience montent très vite, ce qui fait que l'on meurt paradoxalement assez peu.2

d) L'expérience monte très vite, mais attention : toute chose en ce bas monde a un prix (ils étaient très moraux, ces jeux vidéo qui nous rendaient violents et épileptiques). Celui que l'on paie dans Crystalis n'a ni nom, ni visage, juste une silhouette menaçante : celle du Général Kelbesque, deuxième boss du jeu. Survenant en réalité assez longtemps après le début de la partie (vu qu'on a beaucoup gambadé en rond avant de parvenir à lui), ce brave monsieur en armure symbolise le moment très embarrassant où la plupart des joueurs (sauf vous, grâce à moi) se retrouveront comme des cons à taper dans le vide, sans même parvenir à toucher leur adversaire. Cela risque de donner une scène à la fois drôle et un peu pathétique, puisque ce général - comme tous les bosses du jeux - n'est pas spécialement fort, il y a donc peu de chance de perdre face à lui. Mais il n'y en a aucune - absolument : aucune - de gagner non plus, sauf à avoir le niveau d'expérience suffisant. Et vous vous doutez bien qu'il n'y a nulle part un petit panneau ou une bonne âme pour vous le signaler au préalable - encore moins pour vous dire à combien s'élève le niveau en question. Démerdez-vous. Vous voulez pas non plus qu'on vous vende la soluce avec le jeu, quand même ?

Je conçois que le tableau ne fasse pas très envie, et pourtant, bizarrement, le jeu est vraiment sympa. D'une part parce qu'il est rapide et accorde une place égale au scénario et à l'action, offrant au passage une liberté de mouvement qui détonne avec la plupart des jeux contemporains. D'autre part parce qu'en dépit des stigmates du temps, il se révèle au fil des chapitres très moderne dans son déroulement, et plein de trouvailles habiles - voire carrément novatrices pour l'époque (je vous laisse les découvrir, vous verrez, certaines sont vraiment étonnantes). Et enfin parce que, décidément, ces musiques sont irrésistibles et contribuent à créer une ambiance tout à fait singulière, presque mélancolique par instants.

A noter qu'un remake relativement foireux a été réalisé une dizaine d'années plus tard sur Game Boy Color (pléonasme ?). Entre temps, l'original avait déjà pris un coup de vieux, et cette version non seulement n'apportait pas des masses de nouveautés, mais réussissait à plomber les qualités de l'édition N.E.S. (en modifiant notamment des pans entiers de l'intrigue, à commencer par sa fin). Je crois même avoir réussi à tuer le Général Kelbesque en cinq minutes, ce qui m'a ôté toute envie d'aller plus loin.



👍 Crystalis 
A-RPG, N.E.S. | SNK, 1990


1. Tellement vaste, à dire vrai, que je ne suis pas parvenu à en trouver une carte complète pour illustrer cet article !
2. Je réalise d'ailleurs en l'écrivant que je n'y suis même jamais mort, ce qui peut sembler surprenant après tout ce que je viens d'énumérer.

15 commentaires:

  1. Si tu attaques directe avec 3 pages sur des jeux que personne connait ça va pas être un triomphe ton truc ;-)

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    1. En même temps il y a 10 ans, j'ai commencé en parlant de livres et de disques que personne ne connaissait... jusqu'à ce qu'arrivent des gens qui les connaissaient. Et puis pour les jeux comme pour n'importe quelle autre rubrique, j'écrirai en premier lieu sur ce qui m'inspire. Pas nécessairement le meilleur, et certainement pas le plus "populaire".

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    2. La toute première chronique musicale du Golb c'est Outside de Bowie.
      La seconde c'est probablement Led Zep III.. Des disques que personne ne connaît ;-)

      Alors je suis d'accord avec ta démarche, avec ce que tu dis, mais ne réécrit pas l'histoire mon ami :-)

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    3. Tu as compris l'idée, va.

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    4. Je ne voulais pas être vexant ! :-)

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  2. Je suis trop jeune pour avoir eu une NES mais il y a un truc qui m'a toujours fait rêvé : les jaquettes ! Rien à voir avec l'esthétique du jeu les 3/4 du temps, souvent kitsch mais en fait tellement marrantes :-)

    Sinon bien content de cette 1ere salve qui prend un peu par surprise vu que le jeu est complètement oublié. Mais l'article est vraiment fun à lire ;)

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    1. Dans le genre, je te recommande si tu ne connais pas la pochette de Megaman 2. Mémorable aussi bien pour son kitsch que pour le fait qu'elle n'ait rien eu à voir avec le jeu lui-même ^^

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    2. Y à des pochettes Sega comme ça en rafale.
      Des trucs ou la version occidentale essayé à mort de faire dark et sérieux, qu'il maque juste "réalisé par Zack Snyder" dessus.

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  3. Alors là chapeau. Je croyais connaitre la plupart des jeux NES, erreur ! Mais euh, il est sorti en France à l'époque ou tu l'as connu quelques années plus tard ?

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    1. Je te rassure, non. Le remake GBC est sorti en France, mais pas l'original NES. A vrai dire je ne sais même pas comment je l'ai trouvé, j'ai une liste de 10 km de longs de RPG auxquels je dois jouer avant de mourir, avec aussi bien des grands titres que des trucs totalement inconnus trouvés Dieu sait où... et qui d'ailleurs, généralement, sont assez pourraves. Crystalis, c'était vraiment l'exception qui confirme la règle ^^

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    2. (de toute façon, comme je le disais dans l'article d'intro, c'est finalement assez rare que je rejoue aux jeux de ma jeunesse. Jouer à des vieilleries ne me pose aucun problème, mais j'ai quand même besoin de nouveauté - il y a tellement de trucs qui étaient impossibles à avoir à l'époque et que le Web et les solderies ont rendu accessibles aujourd'hui...)

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  4. J'avais un pote qui l'avait à l'époque! Je me souviens très bien du bonhomme rose.

    Voilà c'est tout :D

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