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La politique a ceci de merveilleux que sa réalité dépasse toujours, invariablement la fiction. Il suffit de voir Donald Trump pour s'en convaincre : aucun scénariste, même totalement défoncé, n'aurait jamais envisagé un tel personnage en tant que candidat crédible à la Maison Blanche. De même qu'aucune série télé, même pas Law & Order : SVU, n'aurait d'elle-même déniché une intrigue comme l'affaire DSK. La vie politique, et c'est sans doute pourquoi beaucoup continuent d'éprouver pour elle une grande fascination tout en la méprisant dans le même temps, est presque une série télévisée en soi. Diffusée tous les jours, sur toutes les chaînes et à toutes les heures, qui ne s'arrête quasiment jamais à part une semaine l'été et trois jours à Noël. Chez nous, en France, c'est même de très loin la meilleure série télé du moment, à chaque moment de chaque année. On peut s'en lasser un peu, car comme tous les soaps dilués sur des décennies, elle a ses temps forts et ses temps faibles. Mais que Valérie Trierwieler sorte un livre ou que Nicolas Sarkozy soit mis en examen que tout de suite, l'étincelle se rallume.
Pour cette raison peut-être, la représentation de la politique dans les films et quelques rares tentatives de séries françaises n'a jamais dépassé le cas de l'essai courageux, dont on louait l'ambition tout en déplorant les limites, lourdeurs et facilités. Il faut dire ce qui est : en France, nous sommes beaucoup plus doués pour produire des politiciens à la chaîne plutôt que des séries. D'ailleurs, nous avons d'innombrables grandes écoles visant à accoucher de l’Élite de la Nation, mais bon pour courage pour trouver un cours de creative writing digne de ce nom. Le gros ratage des Hommes de l'ombre, tentative ambitieuse et totalement lourdingue de France 2 il y a quelques années, n'avait rien d'une surprise : il n'était que la conséquence logique d'approches fondamentalement incompatibles. Si l'on s'est parfois moqué de certaines séries françaises, on ne leur a jamais vraiment reproché de ne pas s'attaquer à ce sujet tout simplement parce que la fiction politique, tradition ancrée dans les mœurs anglo-saxonnes, n'en est pas une dans l'Hexagone. Elle ne l'a jamais été, même en littérature, même à d'autres époques. La France n'a jamais eu son The West Wing (paradoxalement archi-culte chez toute une génération de politiques français), mais elle n'a jamais eu non plus son Philip Roth. Et si la politique encombre les rayonnage de nos librairies, elle n'a généré que très peu de littérature durant ces quelques cent dernières années. Comment le pourrait-elle, dans un pays où la collusion entre pouvoir et médias est aussi souvent épinglée qu'elle semble immuable, et où la politique elle-même se mêle à longueur d'années de la culture et/ou du statut de créateur ?
Il y a tout cela dans Baron noir, et plein d'autres choses encore. Sur le papier, on est déjà agréablement surpris qu'elle existe en tant que telle. Dans les faits, on l'aime dès ses premières secondes (son pilote est d'ailleurs sans doute son meilleur épisode), parce qu'elle n'a pas peur de faire de la fiction là où d'autres auraient fait du pamphlet, ni du réalisme là où d'autres se serait cachés derrière l'agréable confort de l'allégorie. Toute en équilibre. Toute en dosage parfaitement mesuré. Rien n'y est jamais trop gros, parce que la vie politique française, avec ses centaines de micro-parti satellitaires, de subdivisions, de syndicats déguisés en assos et d'assos déguisées en syndicats, de structures imbriquées les unes dans les autres et parfois impossibles à démêler y compris pour leurs protagonistes... la vie politique française, oui, est elle-même bien trop grosse. Lorsque vous avez eu comme ministre Rachida Dati ou Emmanuel Macron, ou lorsque des gens n'ayant jamais été élus par qui que ce soit peuvent sérieusement envisager de concourir directement pour la Présidentielle... la transmutation du personnage d'Anna Mouglalis de jeune conseillère du Président en chef de parti rouée ne choque pas trois secondes. Quand vous avez vu l'un des hommes les plus puissants du pays, si ce n'est du monde, frayer avec un personnage aussi invraisemblable que Dédé la Saumure, ce n'est tout de même le personnage de Michel Muller qui va vous faire hausser les sourcils. D'une manière générale, si vous avez réussi à re-voter depuis la publication de Merci pour ce moment, vous ne devriez a priori rencontrer aucune objection à avaler goulument l'histoire que vont vous servir (sur un plateau) Eric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon.
"Moi j'organise pas ma vie en fonction du calendrier des cinq prochaines élections [...] J'ai de l'ambition mais tu vois, moi, quand je monte à la tribune j'ai de l'eczéma. J'ai le dos cassé."
En choisissant de s'attaquer à cet univers, nos deux auteurs voient se dresser devant eux beaucoup d'écueils, et on ne peut qu'applaudir à la manière dont ils évitent la plupart d'entre eux. Premièrement, ils n'essaient pas de faire du pseudo-documentaire, ce qui fait que l'on enchaîne les deux premiers épisodes sans respirer : ils font de la fiction, de la vraie, assumée comme telle. Ancrée dans une réalité, géographique, sociale, politique (les noms des lieux et des partis sont conservés, chose absolument inimaginable dans une série française il y a de cela trois semaines). Mais fiction tout de même, extrêmement rythmée et n'ayant pas peur d'y aller franco sur les cliffhangers. Si tout n'est pas réussi de ce point de vue et si, de temps en temps, certaines ficelles sont un peu grosses, on ne peut globalement que les en féliciter (dans un monde où des gens réussissent à trouver le moindre intérêt à House of Cards passée sa première saison, on ne va tout de même pas leur reprocher une ou deux invraisemblances). D'autant que Baron noir a cette grande intelligence de partir d'une histoire très simple pour en explorer toutes les nuances, plutôt que de s'embarrasser (comme d'autres auraient été tentés de le faire) d'une intrigue trop complexe qu'il aurait fallu lutter pour résoudre en huit épisodes. Ou comment à la veille du second tour, le meilleur ami du candidat socialiste se retrouve à devoir étouffer une sinistre histoire d'office HLM, ne pouvant échapper à un inévitable lâchage de la part de celui qu'il considère comme un frère. Vexé et humilié, il décide donc de lui pourrir la vie – ça tombe bien : Philippe Rickwaert, c'est son nom, a plein d'excellentes idées pour ce faire.
Le chemin n'est pas facile, pour Rickwaert comme pour les scénaristes, d'autant que dans "série politique française", il y a certes "série politique", avec tous les pièges que cela comporte... mais il y a aussi "française" – ce qui en général peut vite amener à d'autres écueils. Ceux-ci sont également évités, et bien évités : tout d'abord, le casting est absolument impeccable, seconds rôles inclus. C'est le minimum, mais quiconque a regardé – au hasard – Dix pour Cent sait qu'il ne suffit pas de coucher deux-trois noms connus sur un bout de papier pour avoir un casting XXL (en revanche, ça suffit amplement pour avoir de bonnes critiques partout). Kad Merad, Anna Mouglalis et Niels Arestrup, eux, ne mettent que quelques minutes à habiter leurs personnages1. Et à donner envie de les suivre. Surtout, Baron noir évite le plus gros travers de la fiction télé hexagonale2, particulièrement meurtrier du côté des créations originales de Canal + : se reposer sur des concepts, oubliant qu'une bonne série, c'est avant toute autre chose une bonne histoire mettant en scène de bons personnages. Sobrement réalisée, presque trop parfois (la musique, assez ratée, paraît totalement anonyme – ce pourrait être celle d'Engrenages ou de n'importe quel thriller lambda), Baron noir ne verse pas dans l’esbroufe et colle au plus près de son trio central, sans trop se perdre en intrigues secondaires et surtout sans tomber dans un didactisme inévitablement tentant dès lors que l'on évoque la grandeur et la décadence des puissants (aucun type de show n'a un plus fort potentiel soapesque que la série politique, ce ne sont pas les scénaristes de House of Cards ou Game of Thrones qui iront vous dire le contraire). Personnages complexes, aux ambitions aussi souvent contradictoires qu'elles sont contrariées, Rickwaert, Dorendeu et Laugier sont loin d'être d'un seul tenant, basés sur des archétypes (surtout les deux premiers) que les scénaristes désossent progressivement, méthodiquement. Antihéros tantôt inquiétant et tantôt touchant, Rickwaert n'est assurément pas qu'un homme politique pourri et corrompu (ce dont il n'a d'ailleurs aucunement conscience). Capable d'un immense cynisme et plutôt doué pour la manipulation, il n'en est pas moins un homme de conviction, élu de terrain aimé de ses électeurs de la troisième circonscription de Dunkerque, proche du peuple (ou croyant l'être), farouche opposant au FN, père attentionné et aimant. L'une scènes les plus fondatrices du personnage survient à l'épisode deux lorsque, menacé de perdre son siège, il envisage à voix haute d'envoyer des gens casser les urnes pour invalider l'élection et faire d'une pierre deux coups en accusant "les fachos". Devant la consternation de ses conseillers, il se reprend (et trouve une autre méthode aussi vicieuse mais moins extrême), chose que n'aurait assurément pas faite le premier Frank Underwood venu. On évitera l'énumération (d'autant que la série elle-même évite admirablement la liste de situations pré-mâchées), mais chaque personnage subit le même genre de traitement : Amélie Dorendeu est bien plus qu'une jolie technobobo parachutée de sa grande école ; quand à Laugier, il incarne admirablement la déconnexion lente et inéluctable du Pouvoir-avec-un-grand-P, et n'aura quasiment plus de scène en extérieur (voire même plus de scène ailleurs qu'assis à une table) durant la seconde moitié de la série.
Bien entendu, tout ce beau monde s'entre-déchire joyeusement sur fond de grogne sociale et de montée de l'extrême droite, sujet lui aussi habilement traité puisqu'à la fois omniprésent et parfaitement invisible : tout le monde en est conscient, personne n'y croit vraiment, sauf s'il s'agit de balancer son instrumentalisation à la tronche du rival. On ne peut décidément pas dire que la classe politique sorte grandie d'une telle série, mais Baron noir a ceci d'assez exceptionnel qu'épousant au plus proche le point de vue de ses héros, aussi contestable soit-il, elle parvient à trouver un juste un milieu entre les grandes tendances de la série politique des dernières années. Loin du thriller quasi cartoonesque à la House of Cards ou du drame shakespearien à la Boss, elle est également à des années lumières de l'humanisme joyeux de l'axe Sorkin/Borgen. Elle n'est pas forcément meilleure que toutes ces séries – elle ne le cherche pas. Elle n'a pas besoin d'être bêtement meilleure puisqu'elle parvient à être elle-même, à chaque plan, avec ses propres défauts mais avec surtout une liste impressionnante de qualités. Euphorisés par ces dernières, ce qui se comprend, beaucoup de critiques ont présenté Baron noir comme la série politique française tant attendue. C'est évidemment le contraire qu'il faut comprendre : Baron noir, à tout point de vue, le fond comme la forme ou la qualité finale, est une série que l'on n'attendait absolument pas, dont on n'aurait même pas osé rêver lorsque le projet a été annoncé.
1. Sans vouloir lui faire offense, car il est sympathique, on n'était pas trop sûr pour Merad, archétype de l'acteur – globalement surestimé – qu'on a beaucoup trop vu dans tout et n'importe quoi... or, il est absolument irréprochable ici.
2. A quelques exceptions près comme Un village français, Fais pas ci fais pas ça ou, dans une moindre mesure, Les Revenants.
Pour cette raison peut-être, la représentation de la politique dans les films et quelques rares tentatives de séries françaises n'a jamais dépassé le cas de l'essai courageux, dont on louait l'ambition tout en déplorant les limites, lourdeurs et facilités. Il faut dire ce qui est : en France, nous sommes beaucoup plus doués pour produire des politiciens à la chaîne plutôt que des séries. D'ailleurs, nous avons d'innombrables grandes écoles visant à accoucher de l’Élite de la Nation, mais bon pour courage pour trouver un cours de creative writing digne de ce nom. Le gros ratage des Hommes de l'ombre, tentative ambitieuse et totalement lourdingue de France 2 il y a quelques années, n'avait rien d'une surprise : il n'était que la conséquence logique d'approches fondamentalement incompatibles. Si l'on s'est parfois moqué de certaines séries françaises, on ne leur a jamais vraiment reproché de ne pas s'attaquer à ce sujet tout simplement parce que la fiction politique, tradition ancrée dans les mœurs anglo-saxonnes, n'en est pas une dans l'Hexagone. Elle ne l'a jamais été, même en littérature, même à d'autres époques. La France n'a jamais eu son The West Wing (paradoxalement archi-culte chez toute une génération de politiques français), mais elle n'a jamais eu non plus son Philip Roth. Et si la politique encombre les rayonnage de nos librairies, elle n'a généré que très peu de littérature durant ces quelques cent dernières années. Comment le pourrait-elle, dans un pays où la collusion entre pouvoir et médias est aussi souvent épinglée qu'elle semble immuable, et où la politique elle-même se mêle à longueur d'années de la culture et/ou du statut de créateur ?
Il y a tout cela dans Baron noir, et plein d'autres choses encore. Sur le papier, on est déjà agréablement surpris qu'elle existe en tant que telle. Dans les faits, on l'aime dès ses premières secondes (son pilote est d'ailleurs sans doute son meilleur épisode), parce qu'elle n'a pas peur de faire de la fiction là où d'autres auraient fait du pamphlet, ni du réalisme là où d'autres se serait cachés derrière l'agréable confort de l'allégorie. Toute en équilibre. Toute en dosage parfaitement mesuré. Rien n'y est jamais trop gros, parce que la vie politique française, avec ses centaines de micro-parti satellitaires, de subdivisions, de syndicats déguisés en assos et d'assos déguisées en syndicats, de structures imbriquées les unes dans les autres et parfois impossibles à démêler y compris pour leurs protagonistes... la vie politique française, oui, est elle-même bien trop grosse. Lorsque vous avez eu comme ministre Rachida Dati ou Emmanuel Macron, ou lorsque des gens n'ayant jamais été élus par qui que ce soit peuvent sérieusement envisager de concourir directement pour la Présidentielle... la transmutation du personnage d'Anna Mouglalis de jeune conseillère du Président en chef de parti rouée ne choque pas trois secondes. Quand vous avez vu l'un des hommes les plus puissants du pays, si ce n'est du monde, frayer avec un personnage aussi invraisemblable que Dédé la Saumure, ce n'est tout de même le personnage de Michel Muller qui va vous faire hausser les sourcils. D'une manière générale, si vous avez réussi à re-voter depuis la publication de Merci pour ce moment, vous ne devriez a priori rencontrer aucune objection à avaler goulument l'histoire que vont vous servir (sur un plateau) Eric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon.
"Moi j'organise pas ma vie en fonction du calendrier des cinq prochaines élections [...] J'ai de l'ambition mais tu vois, moi, quand je monte à la tribune j'ai de l'eczéma. J'ai le dos cassé."
En choisissant de s'attaquer à cet univers, nos deux auteurs voient se dresser devant eux beaucoup d'écueils, et on ne peut qu'applaudir à la manière dont ils évitent la plupart d'entre eux. Premièrement, ils n'essaient pas de faire du pseudo-documentaire, ce qui fait que l'on enchaîne les deux premiers épisodes sans respirer : ils font de la fiction, de la vraie, assumée comme telle. Ancrée dans une réalité, géographique, sociale, politique (les noms des lieux et des partis sont conservés, chose absolument inimaginable dans une série française il y a de cela trois semaines). Mais fiction tout de même, extrêmement rythmée et n'ayant pas peur d'y aller franco sur les cliffhangers. Si tout n'est pas réussi de ce point de vue et si, de temps en temps, certaines ficelles sont un peu grosses, on ne peut globalement que les en féliciter (dans un monde où des gens réussissent à trouver le moindre intérêt à House of Cards passée sa première saison, on ne va tout de même pas leur reprocher une ou deux invraisemblances). D'autant que Baron noir a cette grande intelligence de partir d'une histoire très simple pour en explorer toutes les nuances, plutôt que de s'embarrasser (comme d'autres auraient été tentés de le faire) d'une intrigue trop complexe qu'il aurait fallu lutter pour résoudre en huit épisodes. Ou comment à la veille du second tour, le meilleur ami du candidat socialiste se retrouve à devoir étouffer une sinistre histoire d'office HLM, ne pouvant échapper à un inévitable lâchage de la part de celui qu'il considère comme un frère. Vexé et humilié, il décide donc de lui pourrir la vie – ça tombe bien : Philippe Rickwaert, c'est son nom, a plein d'excellentes idées pour ce faire.
Le chemin n'est pas facile, pour Rickwaert comme pour les scénaristes, d'autant que dans "série politique française", il y a certes "série politique", avec tous les pièges que cela comporte... mais il y a aussi "française" – ce qui en général peut vite amener à d'autres écueils. Ceux-ci sont également évités, et bien évités : tout d'abord, le casting est absolument impeccable, seconds rôles inclus. C'est le minimum, mais quiconque a regardé – au hasard – Dix pour Cent sait qu'il ne suffit pas de coucher deux-trois noms connus sur un bout de papier pour avoir un casting XXL (en revanche, ça suffit amplement pour avoir de bonnes critiques partout). Kad Merad, Anna Mouglalis et Niels Arestrup, eux, ne mettent que quelques minutes à habiter leurs personnages1. Et à donner envie de les suivre. Surtout, Baron noir évite le plus gros travers de la fiction télé hexagonale2, particulièrement meurtrier du côté des créations originales de Canal + : se reposer sur des concepts, oubliant qu'une bonne série, c'est avant toute autre chose une bonne histoire mettant en scène de bons personnages. Sobrement réalisée, presque trop parfois (la musique, assez ratée, paraît totalement anonyme – ce pourrait être celle d'Engrenages ou de n'importe quel thriller lambda), Baron noir ne verse pas dans l’esbroufe et colle au plus près de son trio central, sans trop se perdre en intrigues secondaires et surtout sans tomber dans un didactisme inévitablement tentant dès lors que l'on évoque la grandeur et la décadence des puissants (aucun type de show n'a un plus fort potentiel soapesque que la série politique, ce ne sont pas les scénaristes de House of Cards ou Game of Thrones qui iront vous dire le contraire). Personnages complexes, aux ambitions aussi souvent contradictoires qu'elles sont contrariées, Rickwaert, Dorendeu et Laugier sont loin d'être d'un seul tenant, basés sur des archétypes (surtout les deux premiers) que les scénaristes désossent progressivement, méthodiquement. Antihéros tantôt inquiétant et tantôt touchant, Rickwaert n'est assurément pas qu'un homme politique pourri et corrompu (ce dont il n'a d'ailleurs aucunement conscience). Capable d'un immense cynisme et plutôt doué pour la manipulation, il n'en est pas moins un homme de conviction, élu de terrain aimé de ses électeurs de la troisième circonscription de Dunkerque, proche du peuple (ou croyant l'être), farouche opposant au FN, père attentionné et aimant. L'une scènes les plus fondatrices du personnage survient à l'épisode deux lorsque, menacé de perdre son siège, il envisage à voix haute d'envoyer des gens casser les urnes pour invalider l'élection et faire d'une pierre deux coups en accusant "les fachos". Devant la consternation de ses conseillers, il se reprend (et trouve une autre méthode aussi vicieuse mais moins extrême), chose que n'aurait assurément pas faite le premier Frank Underwood venu. On évitera l'énumération (d'autant que la série elle-même évite admirablement la liste de situations pré-mâchées), mais chaque personnage subit le même genre de traitement : Amélie Dorendeu est bien plus qu'une jolie technobobo parachutée de sa grande école ; quand à Laugier, il incarne admirablement la déconnexion lente et inéluctable du Pouvoir-avec-un-grand-P, et n'aura quasiment plus de scène en extérieur (voire même plus de scène ailleurs qu'assis à une table) durant la seconde moitié de la série.
Bien entendu, tout ce beau monde s'entre-déchire joyeusement sur fond de grogne sociale et de montée de l'extrême droite, sujet lui aussi habilement traité puisqu'à la fois omniprésent et parfaitement invisible : tout le monde en est conscient, personne n'y croit vraiment, sauf s'il s'agit de balancer son instrumentalisation à la tronche du rival. On ne peut décidément pas dire que la classe politique sorte grandie d'une telle série, mais Baron noir a ceci d'assez exceptionnel qu'épousant au plus proche le point de vue de ses héros, aussi contestable soit-il, elle parvient à trouver un juste un milieu entre les grandes tendances de la série politique des dernières années. Loin du thriller quasi cartoonesque à la House of Cards ou du drame shakespearien à la Boss, elle est également à des années lumières de l'humanisme joyeux de l'axe Sorkin/Borgen. Elle n'est pas forcément meilleure que toutes ces séries – elle ne le cherche pas. Elle n'a pas besoin d'être bêtement meilleure puisqu'elle parvient à être elle-même, à chaque plan, avec ses propres défauts mais avec surtout une liste impressionnante de qualités. Euphorisés par ces dernières, ce qui se comprend, beaucoup de critiques ont présenté Baron noir comme la série politique française tant attendue. C'est évidemment le contraire qu'il faut comprendre : Baron noir, à tout point de vue, le fond comme la forme ou la qualité finale, est une série que l'on n'attendait absolument pas, dont on n'aurait même pas osé rêver lorsque le projet a été annoncé.
👍👍 Baron noir (saison 1)
créée par Eric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon
Canal +, 2016
1. Sans vouloir lui faire offense, car il est sympathique, on n'était pas trop sûr pour Merad, archétype de l'acteur – globalement surestimé – qu'on a beaucoup trop vu dans tout et n'importe quoi... or, il est absolument irréprochable ici.
2. A quelques exceptions près comme Un village français, Fais pas ci fais pas ça ou, dans une moindre mesure, Les Revenants.
Bon t'as fini de me faire regarder des séries françaises sérieux? Si on peut plus compter sur ce pays pour produire des trucs dispensables, où on va? ;)
RépondreSupprimerT'inquiète pas, on me souffle dans l'oreillette que Canal a encore beaucoup de séries dispensables et prétentieuses en stock ^^
SupprimerExcellente série en effet, malgré une fin un peu décevante (mais elle n'est pas encore passée, je crois, alors : chut)
RépondreSupprimerOui, chut. C'est ce soir pour ceux qui suivent la diff télé.
SupprimerJ'adore ! Ca ne m'est pas arrivé souvent de bloquer comme ça sur une série française. Vivement le final!
RépondreSupprimerJe viens juste de commencer, mais c'est vrai, cela s'annonce très bien.
RépondreSupprimerTrès bon article, au passage.
Merci Pauline ;-)
SupprimerC'est incroyable, même lorsque tu encenses la même chose que les critiques, tu trouves moyen de leur coller un petit taquet en passant ;-)
RépondreSupprimerOh, ça ne se voulait vraiment pas un "taquet", comme tu dis. Je trouve ça très bien que pour une fois les critiques TV encensent un truc à juste titre. Bon après, évidemment, comme ils encensent automatiquement toutes les séries de Canal, il fallait bien que ça arrive. Même une montre cassée donne l'heure une fois par jour...
SupprimerMerde, en fait tu as raison : je ne peux pas m'en empêcher :-/
Supprimer;-)
SupprimerLa force de l'habitude, sans doute !
"une intrigue trop complexe qu'il aurait fallu lutter pour résoudre en huit épisodes"
RépondreSupprimerAh ah ah ! A ce propos, une saison 3 est-elle prévue après le bouillon de l'année dernière ?
Le bouillon de qui que quoi ?
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