Wooden Wand est un habitué de ce blog, mais rarement de ses gros titres ; s'il est sans doute l'un des artistes que je suis avec le plus d'intérêt depuis des années, il est tout à fait possible que son nom ne vous soit pas particulièrement familier. En raison de sa grande productivité autant que du côté très éclaté de sa discographie (de la folk au rock psyché en passant par le blues ou les opus Angelsoflightesques de ses débuts), ses ouvrages ont souvent eu droit ici à des brèves, et pourtant presque tous depuis sept ou huit ans, et il y en a eu un paquet, finissaient la saison bien calés dans les différents CDG - parfois carrément par packs de deux (en 2013 et 2014, notamment). Comme de juste, il était également présent dans le 10 Years After des 10 Years After, discrètement planqué en Face B.
Il n'y a pas véritablement de raison à cela. Lyriciste de très haut niveau et mélodiste doué, Wooden Wand est assurément l'un des singer-songwriters les plus intéressants des dix dernières années ; certains de ses albums, en particulier ceux du cru 2013 (Blood Oath of the New Blues et Wooden Wand & The World War IV), sont au-delà du simplement recommandable. Il est très rare qu'un LP de James Jackson Toth (de son vrai nom) ne renferme pas au moins une ou deux vraies, grandes chansons, quel que soit le registre du jour. Mais je n'ai la plupart du temps rien à dire dessus, si ce n'est que tel ou tel disque mérite le détour (honnêtement, ils le méritent presque tous).
Les trois Toth's Laws n'auraient pas dû faire exception à cette règle, d'autant qu'elles venaient enrichir une année déjà chargée d'un très bon album "officiel", Clipper Ship, paru début mai chez Three Lobed Recordings. Comme à chaque fois, dès le premier morceau, l'affaire était entendue : c'était du bon, voire en l’occurrence ("I Wanna Go Down to the Basement") de l'excellent. Mais je n'avais strictement rien à dire de plus. C'est en m'interrogeant sur le sens du titre de cette trilogie que je me suis rendu compte que cette fois-ci, j'allais devoir prendre le clavier. Toth's Law fait en effet référence à un principe selon lequel l'art le plus puissant naîtrait non pas du travail et de la contrainte, mais de la facilité, du ludisme. Ce n'est évidemment pas vrai : il n'y a aucune règle à ce sujet (et encore heureux), mais cette "loi" a quelque chose d'amusant en ce qu'elle prend le contrepied de toutes les présupposés contemporains, et on imagine assez bien ce que son application stricte pourrait donner dans le cas d'un songwriter qui a toujours une guitare traînant pas loin de l'endroit où il se trouve.
Wooden Wand s'en inspire donc ici bien au-delà du titre (même si je suppose que si moi aussi j'avais le nom d'un dieu, ça me travaillerait pas mal). Il développe lui-même très bien sa démarche dans un texte d'accompagnement - on pourrait presque s'abstenir d'y ajouter quoi que ce soit : "Celles de mes chansons qui résonnent le plus auprès de leurs auditeurs sont celles que j'écris pendant la pub, pendant que le popcorn est dans le micro-monde ; des chansons si évidentes que je suis convaincu qu'elles existent déjà, que quelqu'un quelque part a déjà écrit cette mélodie/phrase/refrain. Ce sont des chansons qui viennent trop facilement et trop vite, me laissant le sentiment qu'elles ne doivent pas avoir tellement de valeur. L'une se verra écartée ou négligée parce qu'elle m'en rappelle une autre (et une meilleure), l'autre parce que ses paroles me paraîtront sur- ou sous-écrites, une autre encore parce qu'elle sera trop poppy ou trop catchy ou trop bête ou trop quelque chose. La frontière entre inébranlable intégrité et auto-sabotage pur et simple est très mince."
L'esprit taquin sera tenté de remarquer que c'est une manière comme une autre de donner du sens à ce qui ne sont après tout que des compiles de démos et de morceaux plus ou moins inexploités. On pourrait en effet le dire, ne fût-ce cette évidence qu'une fois la démarche entendue, celle-ci paraît limpide. Aussi limpide que les chansons qui en découlent, décousues (plus de dix ans séparent la plus ancienne de la plus récente) mais similaires dans la fluidité de leurs mélodies et la simplicité de leurs architectures. Quiconque connaît quelques albums de Wooden Wand sait que même les plus roots sont extrêmement travaillés, tant au niveau de production qu'en terme mécanique interne. Les différentes chansons entrent toujours en parfaite résonance les unes avec les autres, tant et si bien que la spontanéité est très rarement ce qui les distingue. Il n'y a pas d'équivalents à "Hall of Mirror", "You Could Have a Job" ou "It's a Lie" sur les albums officiels de Wooden Wand. Il y a des choses qui peuvent ressembler, qui ont parfois l'apparence de ces pépites "négligées" ("Art of War", par exemple, aurait eu sa place sur la moitié des derniers ouvrages de son auteur), mais celles-ci ont une pureté n'appartenant qu'à elles. Une singularité des plus... singulières, puisque c'est précisément le fait qu'elles semblent (yes indeed) instantanément familières qui rend "Jinx" ou "Everything I've Lost" adorables.
Ces principes ne fonctionneraient pas n'importe quel domaine musical. Quelque part, le seul fait de les édicter souligne déjà que Wooden Wand s'envisage plus, inconsciemment en tout cas, comme un artiste indie que comme un artiste country/folk. Ce qui fait la force de cette dernière n'est jamais l'originalité, ou en tout cas pas seulement, mais le fait de pouvoir inscrire le morceau dans quelque chose de plus grand qu'elle (une tradition, un héritage... un récit collectif). C'est encore plus vrai du blues ; on a tous dans notre entourage un(e) ami(e) qui n'y connaît rien et qui trouve que tous les morceaux sont pareils - remarque de néophyte, sans doute, mais réalité, aussi : beaucoup de morceaux de blues se ressemblent. La vraie musique populaire est ainsi faite : plein de gens ne se connaissant pas font plus ou moins la même chose au même moment. En choisissant de l'assumer plutôt que de se voiler la face, Wooden Wand réussit quelque chose de très fort, symboliquement autant que musicalement. Tout n'est pas exceptionnel, évidemment, dans ces trois copieuses compilations (encore que le niveau soit globalement très relevé). Mais rien n'est là au hasard, ou plutôt tout est né par hasard, ce qui rend ces chansons encore plus précieuses.
👍👍 Toth's Law, vol. 1, 2 & 3
Wooden Wand | Autoproduction, 2017
Eh bien moi, j'avais remarqué cet habitué du Golb puisque je l'ai même découvert grâce à toi !
RépondreSupprimerEn revanche je n'étais pas au courant de cette triple publication donc je ne vais pas manquer de m'y pencher (la chanson en extrait est très belle).
Merci !
D'ailleurs je viens de voir que sur le seul autre "vrai" article que j'ai écrit sur Wooden Wand, il n'y avait qu'un seul commentaire... le tien :-)
SupprimerPas mal!
RépondreSupprimerUn peu bizarre de découvrir un artiste par ses raretés mais ouais, pas mal et la démarche est intéressante.
Ma foi... une bonne chanson est une bonne chanson, peu importe qu'elle soit une "rareté", non ? Je ne pense pas que découvrir Wooden Wand via un de ces disques procure une image biaisée de lui, si ce n'est qu'il aborde des registres plus variés sur album.
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