[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - Hors-série N°14]
Domitille Barbier écoutait Première consultation et j'écoutais Domitille Barbier. Notre triangle fonctionnait plutôt bien ainsi. La tête ne savait certes pas trop ce que faisaient les jambes (hélas), de même que je n'avais qu'une vague idée de ce que racontait ce gynécologue qu'elle semblait tant aimer, mais s'agissant d'accompagner Domitille Barbier faire ses devoirs en culotte, j'étais prêt à quelques concessions. Elle avait deux ans de plus que moi, tout de même. Et facilement un an de plus de seins, de jambes... de hanches que les filles de ma classe. Il me me semble que ce genre de situation mérite d'être appréciée à sa juste valeur, surtout lorsque Domitille Barbier a plus envie de se dandiner que de faire son commentaire de lecture sur George Dandin (mais qui sommes-nous pour juger ?)
Doc Gynéco sera assurément le premier à me le pardonner, mais en toute franchise, je n'écoutais absolument pas son disque qui pourtant tournait en boucle depuis des heures. En fait, lorsque je n'étais pas en train d'essayer de transpercer la culotte de Domitille Barbier par la force de mon regard pénétrant (n'essayez pas chez vous les enfants : ça ne marche pas et en plus, vous pourriez finir au poste), je promenais ce dernier sur son étagère à CDs dans l'espoir d'en trouver un autre plus à ma convenance. Mission complexe, puisque que comme toute fille ayant célébré ses dix-sept ans cette année-là, Domitille Barbier avait bondit en l'espace de trois ans et demi de Christian Roch à "Come As You Are", avant de glisser irrémédiablement vers "Viens voir le Docteur" au terme d'une trop longue escale du côté de "Pour que tu m'aimes encore". On ne s'en rend sans doute pas bien compte aujourd'hui, si l'on n'y était pas, mais Première consultation fut un raz-de-marée comme on en vit peu dans l'histoire de la pop française. Quasiment chacune de ses chansons fut un hit, même celles n'étant pas sorties en single, l'album lui-même ayant eu une durée d'exploitation de presque deux ans (truc totalement invraisemblable aujourd'hui). Entre 1996 et 1998, toutes les filles du pays écoutaient Doc Gynéco. Même ma petite cousine de quatre ans. Même ma mère. Toutes les vierges de France rêvaient secrètement de se faire déniaiser par le Julio Iglisesias de la sodomie. Peut-être même ma mère ! C'était incroyable ; c'est devenu indescriptible. C'était une autre époque, où tout le monde écoutait encore la même chose, au même moment. Elle n'était pas forcément meilleure que la nôtre, mais elle avait aussi ses avantages, et je ne parle pas uniquement du fait de regarder Domitille Barbier faire ses devoirs en culotte, à faire des clic clic boum avec ses petits doigts sans trop s'attarder sur la noirceur du morceau en question. Moi non plus, du reste – on m'excusera d'avoir eu d'autres préoccupations, même si tout engoncé dans mon pucelage, je ne me rendais pas vraiment compte que deux ans d'écart à cet âge en valaient bien dix. Domitille Barbier ne remuait pas ses fesses ni ne suçait son stylo pour m'aguicher, précisément parce que je n'étais pas digne de l'être. J'étais un gamin, je ne pouvais donc pas réellement éprouver de désir pour elle. J'étais juste là, sans véritable raison, et elle se comportait simplement comme elle l'aurait fait si elle avait été seule.
Il m'a fallu des années pour réaliser que Domitille Barbier était une pisseuse arrogante bien contente de demander à un gamin de l'aider pour son commentaire composé, très vraisemblablement devenue une connasse prétentieuse, mariée avec médecin après avoir échoué à le devenir elle-même. Il m'en a fallu pas mal également pour réaliser que Doc Gynéco était un des plus grands songwriters dont notre pays ait accouché, comme quoi j'en rajoute beaucoup quand je dis qu'il suffit de savoir manier les mots pour me séduire (je parle de Bruno, là. Pas de Domitille). Aurais-je été plus concentré que j'en aurais peut-être entendu un peu plus, mais je persiste à croire que je n'étais de toute façon pas assez intéressé par le sujet pour m'y pencher. Ma connaissance du rap était alors encore trop lacunaire et trop américaine, et mon aversion pour tout ce qui passait à la radio bien trop viscérale. Sans Domitille Barbier, je n'aurais sans doute jamais entendu que des bribes de Première consultation. Et sans Anne-Lise Delamotte, je n'aurais probablement jamais tendu l'oreille.
Anne-Lise avait exactement le même âge que Domitille Barbier, mais je l'ai rencontrée plus tard, à une époque où l'écart semblait moins important et où la perte de mon pucelage avait allégé mes fonctions cérébrales d'une douzaine de kilos. C'est sans doute pourquoi pour sa part, elle dansait simplement à poil, ce qui n'était pas forcément plus sexy mais collait autrement mieux aux Liaisons dangereuses – le deuxième faux album de Gynéco, principalement composé de collaborations et de featurings divers dont celui avec Bernard Tapie n'est ni le plus mauvais, ni le plus invraisemblable. Un disque dont je sentais bien, sans tout à fait pouvoir me l'avouer, que je l'aimais beaucoup. J'étais fasciné par l'aura malsaine qui se dégageait du "Summertime" façon MC Jean Gab'1, je trouvais la réactualisation de l'"Hexagone" de Renaud largement au niveau de l'originale et d'une manière générale, j'adorais la prod', hyper chiadée et consistante pour un truc sur lequel les mecs les plus actifs faisaient tout au plus trois morceaux. J'aimais bien également son petit côté ringard et suranné, puisque les Liaisons dangereuses étaient déjà un best-seller de bac à soldes depuis six mois après sa sortie ou à peu près. Je trouvais qu'il fallait une sacrée intégrité, après avoir enquillé les disques d'or, pour enchaîner derrière avec un disque sur lequel on est totalement en retrait, pour mettre le pied à l'étrier aux potes ou juste s'amuser à faire un truc différent (surtout au moment où tout le monde se mettait à pomper votre précédent album). Et puis "L'Homme qui ne valait pas dix centimes", le seul vrai titre de Gynéco en solo, avait une sacrée gueule, avec ses couleurs mariachis et le décalage entre l'indolence du flow et la colère affleurant des lyrics.
Mon histoire d'amour contrariée avec Bruno a commencé ici, à peu près au moment, j'y pense, où s'est achevée celle avec Anne-Lise Delamotte. J'ai déterré Première consultation, ce qui n'a pas été bien compliqué vu qu'il appartient à cette catégorie d'albums dont on se demande parfois s'ils n'en ont pas pressé plus qu'il n'y a d'habitants dans le pays, et passés des premiers instants où je me suis aperçu que je le connaissais déjà par cœur, j'ai commencé à l'écouter. Les mots d'abords, glissants, pimpants, toujours choisis avec finesse même si (c'est un peu tabou de dire ça) Gynéco fera parfois plus maîtrisé ou original sur ses albums tardifs que personne n'a jamais écoutés. Ensuite la prod' et les instrus, tous organiques ou presque, qui m'ont fait réaliser pourquoi au-delà de ses hits l'album m'avait marqué à l'époque. Il y avait un truc, là. Que je n'avais pas vu quelques années plus tôt, aveuglé par les rotations lourdes, les passages télé, les filles qui braillaient "Ma salope à moi" au milieu de la cour du lycée. Un groove, terrible par instants, mais surtout une présence – peut-être même une âme. Le rap variète existait avant et n'a eu de cesse de triompher sur les ondes françaises dans les années qui suivirent, mais un morceau du Doc ne ressemblait à rien d'autre qu'à un morceau du Doc. Un fantasme vivant de directeur marketing aux dents longues : un produit fini avant même d'avoir à le bosser ; un artiste complet et parfait à seulement vingt-deux ans, avec un style, une belle gueule, un personnage borderline juste comme il faut et de meilleures punchlines que le chargé de com. Le cerveau de MC Solaar pour plaire au critique, l'exotisme de Frankie Vincent pour faire danser en boite, le côté libertinage beauf-mais-goguenard de Gainsbarre histoire de gratter deux ou trois polémiques à deux balles. Et en plus, le mec réclame qu'on le classe en variétés ! Que demande le
Bien évidemment, je me suis mis à acheter tous ses disques, à peu près au moment où tout le monde a cessé de le faire. Les années 2000 venaient de commencer. Les gens écoutaient d'autre trucs. Le rock revenait en force et subitement, "Viens voir le Docteur" ne faisait plus mouiller ni bander grand-monde. Quality Street n'avait mis que cinq années à paraître mais entre les téléphones portables, Internet et le 11 septembre qui pointait le bout de son nez, il aurait aussi bien pu s'en écouler le triple. C'est comme ça, vous savez, qu'on devient un ringard. Pas en faisant quelque chose de particulier, juste en changeant moins vite que le monde. Quand paraît Quality Street, qui n'est pourtant pas (encore) un vrai gros bide, tout a déjà trop changé. Le monde est devenu trop cynique, trop sérieux pour que les divagations mélancoliques d'un chanteur pété de thunes qui pose en costard pour Mondino intéressent grand-monde. Il est bon, pourtant, cet album. Très. Le casting est encore plus imbitable que celui des Liaisons (d'un autre côté, un disque de Doc Gynéco était probablement le seul endroit sur terre où l'on pouvait croiser en l'espace de quelques morceaux Laurent Voulzy et RZA) mais paradoxalement, on n'y entend que son auteur, magistral, en pleine introspection nonchalante, dégainant une ballade romantique (et visionnaire !) pour raconter qu'il ne sait pas remplir sa feuille d’impôts ou se la jouant gentil décadent à qui la contemplation arrache un sourire un peu triste.
Je le fais jamais, alors pour une fois :
RépondreSupprimer<3 <3 <3 <3 <3 <3
Beurk :-/
SupprimerEXCELLENT ARTICLE !
RépondreSupprimerOn ne dira jamais assez à quel point Première consultation est au Top du Top du rap français.
(On le dit plus aujourd'hui, quand même, qu'il y a quelques années)
Très juste analyse sur le décalage au moment de Quality Street. Le rap c'est un peu comme le foot --- cinq ans, c'est très long.
Après sa production récente...
Il me semble que ça vaut pour la musique en général. Très peu d'artistes peuvent se permettre de disparaître pendant cinq ans sans que cela ressente sur la perception de leur public, surtout si celui-ci est composé d'adolescents qui par définition sont amenés à évoluer.
SupprimerJ'admire ton obstination, perso j'ai laissé tombé ses "nouveaux" albums il y a un bon moment (après je crois "Un Homme nature", un truc assez immonde), c'est une certitude pour moi que c'est l'homme d'un seul album mais comme tu le dis c'est un tel sommet qu'on a du mal à lui en vouloir et qu'on (enfin je peux pas m'empêcher de lui garder une certaine sympathie.
RépondreSupprimerTrès bon article sinon, enfin comme toujours cette rubrique qui est décidément la meilleur de ce blog (c'est dit!)
A+
C'était déjà dit, je crois... mais merci ;-)
SupprimerIntéressant ce que tu dis à propos de l'insuccès de Quality Street.
RépondreSupprimerJe trouve tout de même que c'est un bien moins bon album que le précédent, même s'il est bien meilleur que les suivants.
Ce qui est paradoxal, c'est que si Doc Gynéco est devenu un type ringard faisant des choses ringardes, Première consultation n'a quasiment pas vieilli, ni dans le son ni dans les textes (Dans ma rue pourrait être un morceau de 2018, sans problème).
C'est étonnant qu'il ait été si en phase avec son époque, voir un peu en avance, et puis qu'il ait lâché l'affaire aussi vite. Chez la plupart des musiciens, cela prend un peu plus de temps en général.
Je ne trouve pas cela si étonnant, ni d'ailleurs si rare. J'ai l'impression qu'il n'a jamais eu grand-chose à foutre d'avoir une "carrière" et s'est facilement laissé happer par le succès. D'autant qu'en terme de positionnement, il avait vraiment le cul entre deux chaises, on l'a un peu oublié aujourd'hui.
SupprimerMeilleur MDAMERQAM depuis...Bon Jovi?
RépondreSupprimerEt je sais à peine qui est Doc Gyneco!
Il n'est pas si sympa qu'il en a l'air, ce com', sachant que le MDAM sur Bon Jovi date d'il y a plus de quatre ans ^^
SupprimerPremière consultation est le meilleur album francophone des années 90. Point.
RépondreSupprimerLa suite est à l'avenant, mais, comme tu le notes, il y a toujours (enfin : souvent) "quelque chose à sauver". Je trouve que tu passes un peu vite, sur le soutien à Sarko. Ce n'est pas qu'une petite anecdote. Cela a été loin et, surtout, cela a vraiment marqué sa chute. Il s'est vraiment fait lynché par la presse, Angot le raconte bien dans son livre, c'était très violent, même s'il l'avait sûrement un peu cherché.
Lecture très intéressante, en tout cas, même si je n'envie pas le sort de Domitille Barbier (si elle existe vraiment) ;)
C'est marrant que vous soyez si nombreux à bloquer sur le passage où j'évoque son glissement vers la ringardise, ce qui n'était pas le principal propos du texte. Sur le soutien à Sarkozy, il s'est mangé pas mal de moquerie et je me rappelle en effet (c'est loin...) quelques débordements qu'un type aussi pacifique ne méritait assurément pas. Mais je me rappelle également qu'il s'était totalement renié et ridiculisé en écrivant un livre sur le sujet que lui-même n'arrivait plus à défendre trois mois plus tard. Il paraissait être le seul à ne pas s'apercevoir qu'il était totalement instrumentalisé, c'était tout de même assez pathétique.
SupprimerExcellent billet, qui réhabilite adroitement un bonhomme qui n’avait pas forcément mérité d’être mis au ban de la sorte (il faut se souvenir que Faudel en avait pris sévèrement pour son grade et pour les mêmes raisons que le Doc) et assez fin également sur la trajectoire de l’individu en résonance d’une personnelle plus ou moins fictive - je ne sais pas, je ne me suis pas amusé à Googler Domitille Barbier ;)
RépondreSupprimerCeci dit, je me dois d’amener un peu de nuance dans tout ce concert de louanges ^^.
-J’étais au collège quand le Doc passait à la radio. Je crois que c’est la seule période de ma vie où j’ai volontairement écouté Skyrock (ça n’a duré que quelques mois). Écouter Doc Gynéco, c’était écouter Stomy Bugsy, Passi ou les Neg’Marrons dans la foulée. Doc me faisait plus rire qu’autre chose (ses passages télévisés sont des moments d’anthologie et d’absurdité) mais c’est à peu près tout. Certes, on y rit jaune (cf « Nirvana » justement ou « Né ici », que je préfère plus que « Dans ma rue ») entre deux références explicites aux parties de jambes en l’air qu’il égrenait un peu partout mais de là à dire que c’est « L’un des plus grands songwriters que notre pays ait accouché », je tique un peu. Vraiment. Tu me diras que c’est subjectif forcément. Mais ne serait-ce que dans le même registre, questions lyrics et lyrisme, je trouve MC Solaar ou Akhénaton/Shurik’n à mes yeux (très très) largement au-dessus : Prose Combat ou L’Ecole du Micro d’Argent sont de purs chefs-d’œuvre. Question écriture au sens large, je n’en parle même pas.
- Idem : « Première consultation est le meilleur album francophone des années 90 ».
Euh...
Je ne voudrais pas me lancer dans le name dropping (c’est souvent assez vain) mais j’avoue que c’est un peu pousser Mémé dans les orties en ce qui me concerne ^^
Perso, j’y mettrais davantage « Osez Joséphine » ou « Fantaisie Militaire » de Bashung.
Je dirai même que c'est pousser Domitille Barbier et Anne-Lise Delamotte dans les orties (et il y en a une qui n'a pas de culotte apparemment)... Même si perso je ne penserai pas forcément à Bashung :-)
SupprimerTout d'abord, désolé pour la réponse tardive, j'ai été débordé cette semaine.
SupprimerJEOFFROY >>> Je dois dire que je trouve ta remarque assez étrange. Je ne vois vraiment pas en quoi qualifier le Doc de grand songwriter reviendrait à minorer ce qu'ont pu produire d'autres songwriters avec d'autres sensibilités. Je ne suis pas en train de parler des autres, et je ne le compare d'ailleurs pas à qui que ce soit dans ce domaine.
Je pense moi aussi que le meilleur album francophone des années 90 serait plus probablement Fantaisie militaire... ou un autre, il y a tout de même beaucoup de candidats à ce titre... cela dit, moi, je n'ai pas écrit ça ^^
LYLE >>> Je ne veux même pas savoir à quelle horreur tu penses :-D
j'ai appris récemment que ce premier disque de Doc Gyneco était un chef d'oeuvre et non un gentil disque de rap variétoche pour ados (à ma décharge, je n'ai jamais fréquenté Domitille Barbier ou toute autre de ses copines se dandinant en culotte devant moi).
RépondreSupprimermagnifique description du parcours musical et des étagères à CDs des filles de l'époque, je valide !
Ha ha, oui, l'époque a laissé quelques stigmates de nos jours dans ces étagères à CDs, surtout désormais que les gens n'achètent plus de disques, c'est assez facile de remonter la piste ^^
SupprimerBravo de militer pour la réhabilitation de Bruno. J'ai un souvenir bizarre d'être au ciné avec ma meilleure amie à l'époque et de voir un spot "Le ministère de la Culture présente..." en intro du clip de Nirvana. C'est tellement improbable que c'est vrai.
RépondreSupprimerAvec le recul ça ne me semble pas si improbable, c'est très Gauche Plurielle, non ? Quand on se rappelle Jack Lang allant s'extasier devant des tags "nique la police" (je caricature à peine), on a dans une même logique, c'était... comment dire ? Une autre époque :-)
SupprimerBon allez, demain matin je m'écoute Première Consultation au réveil en mangeant des Golden Grahams. Si le voyage temporel marche comme dans un certain bouquin de SF que j'ai lu (et dont j'ai hélas oublié le titre), il se pourrait que je me retrouve soudainement en 1997, vu la déco de mon appart.
RépondreSupprimer